Une chronique politique sans parti pris

Les armes des pauvres

 

Comme ils ne possèdent rien d’autre, leurs corps sont leurs seules armes. Les travailleurs louent leurs bras à un employeur pour acquérir leur pitance. Les prostituées sont obligées de pousser cette logique jusqu’au bout. Mais la masse des pauvres constitue aussi une arme redoutable.

On en a la révélation par l’épidémie qui perturbe le jeu coutumier de l’économie. Pour l’éteindre, il faut que la majorité de la population mondiale soit vaccinée. Or, selon la logique habituelle les nations riches ont acheté les vaccins et les nations pauvres n’en ont pas les moyens. Non seulement de les acquérir mais aussi de les administrer faute de personnel et d’infrastructures. Dans un pays riche 20% de la population est vaccinée en moyenne : dans un pays pauvre 0.2%. Dès lors, si l’épidémie persiste dans le monde sous-développé, le virus continuera à muter et peut-être de devenir à la fois encore plus agressif et incontrôlable par les vaccins existants. De gré ou de force, les riches devront payer les vaccins des pauvres et même y envoyer parfois des équipes médicales. Quoi qu’il en coute ! Ce sera une reconnaissance tardive mais obligée de la solidarité absolue entre tous les habitants de la planète. Nous nous sauverons ou nous perdrons tous ensemble.

Cette solidarité devra s’étendre à tout ce qui conditionne la survie, la nourriture, la formation, l’emploi. Aux portes de l’Europe se situe l’immense continent africain avec un milliard trois cents millions d’habitants. Dans la plupart des pays du continent, la croissance de la population dépasse 2% par an. En outre, il y a une forte proportion de jeunes parmi la population africaine dans son ensemble, 41% de la population africaine ayant moins de 15 ans. Dès lors la visée des deux milliards n’est pas loin.

Pour beaucoup de jeunes, le seul espoir est de parvenir en Europe afin d’échapper à la pauvreté absolue, à la faim, à l’illettrisme, au chômage à vie, à la guerre. Dès lors la Méditerranée est le lieu d’un exode périlleux sur des embarcations précaires avec un contingent sans cesse renouvelé de morts. Seules quelques ONG tentent de pallier ce désastre avec des moyens trop faibles et sans cesse entravés par les Etats européens. L’Europe s’efforce de contenir ce flot en subsidiant la Turquie, la Lybie et le Maroc afin de servir de chiens de garde. Ce dernier a utilisé ses aspirants à l’émigration dans une opération spectaculaire pour agir sur l’Espagne. Les 6000 corps de migrants jetés sur la plage de Melilla ont été utilisés comme une arme. Elle est imparable sauf à revenir aux grands principes dont nous nous gargarisons tous les matins et à les prendre au sérieux.

Car que représentent ces quelques milliers de désespérés par rapport aux deux milliards qui tôt ou tard tenteront une action de masse sur l’Europe, tandis que les Latinos font de même vers les Etats-Unis ? Dans certaines circonstances, encore inimaginables aujourd’hui, les frontières de l’Europe seront submergées.

La seule façon de se prémunir contre ce cataclysme serait de développer l’Afrique, pour qu’elle puisse exploiter ses prodigieuses richesses et fixer sur place cette marée humaine. On sait que la seule façon d’enrayer une démographie galopante est l’éducation, en particulier des filles. Un système efficace de sécurité sociale qui assure des pensions décentes persuade les adultes qu’ils ne doivent pas seulement compter sur une nombreuse progéniture pour assurer leur vieillesse. Cela suppose un revenu qui est loin d’être atteint : au Burundi moins d’un dollar par habitant et par jour.

Tout cela avait bien été tenté durant la colonisation, qui s’est arrêtée inopinément aux alentours de 1960, parce qu’elle ne respectait pas la dignité élémentaire des Africains, traités comme des non-citoyens. Une décolonisation hâtive et bâclée a ranimé les conflits tribaux et religieux. Les structures administratives léguées par les colonisateurs se sont pulvérisées. La corruption est devenue la règle. Des lobbys industriels se sont substitués aux pays colonisateurs pour mettre les ressources en coupe réglée. Rendue aux Africains, l’Afrique est devenue pour ceux-ci le lieu de la guerre, de la famine et de la peste, une caricature d’indépendance et de démocratie, un repoussoir.

Certes il existe un palliatif. Le Conseil fédéral et le Parlement ont alloué à la Coopération internationale un montant total de 11,25 milliards de francs pour la période actuelle de la stratégie de la Suisse (2021-2024). Cela permet de parer au plus pressé par des opérations ponctuelles mais cela ne va pas changer le sens de l’Histoire. Un jour deux milliards d’Africains exigeront la justice et seront prêts à la revendiquer sur le territoire de l’Europe béate. Suisse y compris. Comme facteur positif, nous aurons notre aviation militaire à six milliards pour nous défendre. Et si on détournait ce pactole pour aider au développement ?

 

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