Une chronique politique sans parti pris

Tuer au nom de Dieu 

 

 

Le conflit entre Arabes et Juifs en Palestine est la répétition d’un affrontement qui date de la création d’Israël en 1948, c’est-à-dire de 73 ans. C’est donc le plus long conflit du monde, qui semble se poursuivre indéfiniment jusqu’à ce qu’une communauté réussisse à éliminer l’autre. L’Allemagne vient de se prononcer sur la légitimité d’Israël à se défendre, en souvenir de ce que fut l’attitude de ce pays à l’égard des Juifs. Et donc les échanges de bombes en Palestine ne sont que le lointain résultat de ce que fut l’antisémitisme des chrétiens pendant vingt siècles. L’acte fondateur de l’Etat d’Israël fut la Shoah.

Les trois religions monothéistes ne peuvent s’empêcher de nourrir un conflit triangulaire, vieux de deux millénaires. Il est insoluble parce qu’il se justifie au nom de Dieu, accaparé par chacune des religions. Leurs théologiens se rendent bien compte qu’il s’agit du même Dieu mais ils prétendent jouir d’une relation privilégiée, d’un fil direct avec le Ciel, d’en interpréter mieux que les autres les commandements de Celui-ci, par exemple pas d’homosexualité, pas de contraception, pas de femmes en chaire. Ils ne font pas la guerre eux-mêmes, ils la déplorent même, mais ils entretiennent la bonne conscience des combattants. Jamais ils n’iront jusqu’à condamner leurs propres guerriers.

A un moment ou l’autre de leur histoire, toutes les religions ont été impliquées dans ce détournement spirituel. Et la guerre devient alors absolue, puisqu’elle ne se limite pas à un conflit d’intérêt, mais devient une croisade, laïque (le communisme, le nazisme) ou religieuse (Saint-Barthélemy, guerre de Kappel, djihad,). Du XVIe au XVIIIe siècle, l’Europe a été le théâtre de cette folie. Son ultime avatar en Suisse est l’odieux et ridicule article constitutionnel interdisant la construction de minarets. Et plus récemment l’interdiction de la burqa, encore plus mesquine La majorité du peuple suisse, qui ne pratique plus aucune religion, ne supporte pas qu’une autre tradition surgisse en son sein.

Il est donc nécessaire de clarifier, de vérifier et de purifier ce que les hommes appellent religion. Et cela vaut pour toutes les confessions, y compris le christianisme avec ses différentes chapelles. Le critère d’une fausse religion est sa prétention à être unique. La marque des vraies religions est la tolérance, l’humilité et le respect des autres confessions. Il faut que chaque croyant reconnaisse que tout autre croyant lui est semblable, ni inférieur, ni supérieur, mais autre, inscrit dans une tradition différente. Il n’est donc pas nécessaire ou essentiel de le convertir. La personne qui prétend avoir une ligne directe avec le Ciel est au bord de la folie et peut devenir meurtrière avec la meilleure conscience du monde. Elle finit par croire qu’elle garantit son propre salut éternel en envoyant les infidèles dans l’autre monde, où ils souffriront une torture éternelle.

Ceci vaut aussi pour ce qu’il faut bien appeler des religions laïques, qui nient la transcendance, et la remplacent par une idéologie : le racisme, le nationalisme, le marxisme, le productivisme, l’écologisme. Les sociétés évoluées négligent par trop leur hygiène spirituelle. Par un paradoxe révélateur, elles sont souvent crédules face à des superstitions grossières comme l’horoscope, la numérologie, la voyance, la télépathie, la géomancie, l’imposition des mains par un rebouteux. Férues de rationnel, elles succombent au déraisonnable. Et elles suscitent en leur sein des jeunes affolés par leur vide spirituel. Ce sont eux qui se jettent dans le djihad en désespoir de cause.

Il n’y aura pas de paix entre les peuples s’il n’y a pas de paix entre les religions. Ou plus exactement si tous ne conviennent pas qu’il n’y a qu’une seule religion qui inclut aussi les agnostiques. Dès lors surgit une interrogation fondamentale : peut-on, doit-on organiser une Eglise quelconque sur un modèle centralisé ou bien faut-il accepter une diversité d’opinions et de pratiques, en fonction de la géographie ou de la sociologie ?

En Suisse on sait par expérience qu’un modèle centralisateur de l’Etat est destructeur de l’unité réelle qu’il prétend incarner dans une uniformité de façade. Si l’on prétend imposer la même « religion » à un Suédois et à un Zaïrois, on court à l’échec, tant les cultures, les sensibilités, les circonstances sont différentes. Il serait temps que les pontifes prennent la mesure des avancées de la société civile, qui est devenue plus tolérante, plus ouverte, plus bienveillante, plus respectueuse : en un mot plus chrétienne que certaines Eglises.

Nous sommes la première société où la plus large communauté est celle des incroyants  et des non pratiquants de toute nature. Ils vivent en paix avec eux-mêmes parce que tout simplement ils vivent dans un pays en paix. L’Etat n’est pas organisé pour et par une coterie de riches et de généraux. Il existe une véritable solidarité à l’égard de tous les défavorisés, handicapés, pauvres, chômeurs, malades, personnes âgées, prisonniers. Certes ce n’est pas parfait, mais cela a le mérite d’exister. A la limite, si certains, ravagés par une crise, ne parviennent même plus à se nourrir, spontanément surgissent des distributions alimentaires. Le pouvoir ne se mêle plus de la sexualité des adultes consentants. La peine de mort et la torture sont abolies. Les femmes et les enfants sont moins maltraités qu’ils ne le furent ici et qu’ils ne le sont encore ailleurs. Ce sont autant de manifestation d’une véritable religion, celle qui relie entre eux tous les vivants dans le respect mutuel.

 

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