Une chronique politique sans parti pris

Le renard, gardien des poules

 

La Fontaine n’a pas rédigé de fable avec ce titre pour mettre en scène la naïveté de ceux qui confient la garde du plus précieux à un prédateur. Ils découvrent trop tard qu’ils ont déposé leur argent entre les mains d’un escroc, leur enfant à la garde d’un pédophile, le pouvoir politique aux bons soins d’un intrigant. Trump, Bolsonaro, Orban, Poutine en sont des exemples contemporains. L’Eglise catholique s’est rendu compte avec des décennies de retard qu’elle confiait les enfants à des prêtres à la sexualité déréglée. Les investisseurs du monde entier ont fait confiance à Madoff ou à Marcel Ospel. Le Conseil fédéral sera représenté dans l’ultime négociation avec l’UE par Guy Parmelin, le moins europhile de ses membres.

Autant d’accidents de parcours, pensera-t-on. Il est inévitable que dans le commerce entre individus des erreurs de jugement se produisent. Certes. Mais autre chose est le fonctionnement du Conseil fédéral, comme de tous les exécutifs suisses. Selon la règle de la concordance, ils doivent comporter des représentants des partis les mieux représentés au niveau du législatif. Le gouvernement de coalition, ailleurs figure obligée en seul temps de guerre, est une institution perpétuelle en Suisse. Voici sept siècles son peuple a déclaré sa méfiance à l’égard de tous les pouvoirs. Au fil du temps, il a concocté l’acratie, la dissolution du pouvoir, son émiettement, sa dissémination entre plusieurs niveaux, plusieurs partis, plusieurs personnes. N’importe qui peut décider de n’importe quoi:

Dans quelques jours aura lieu à Bruxelles l’ultime négociation entre les gouvernants au plus haut niveau de l’UE et de la Suisse pour décider du futur de la relation entre les deux entités (on n’oserait pas dire les Etats). Notre pays sera représenté par Guy Parmelin, vigneron de son métier, en tant que président de la Confédération, en tête à tête aves Ursula von der Leyen,  bardée de diplômes de médecin et d’économiste. Telle est la Suisse, qui s’enorgueillit d’être représentée par un agriculteur pour prouver que cela vaut bien une universitaire.

Ce n’est pas la seule différence et elle n’a au fond pas d’importance comparée à une opposition radicale. La Présidente de la Commission de l’UE croît au destin de l’Europe. Le président de la Confédération helvétique n’y croit pas. Ce n’est que peu dire. Il représente au gouvernement son parti farouchement opposé à tout rapprochement avec l’UE. C’est encore peu dire. La raison d’être de l’UDC est cette opposition qui fédère dans le parti tous les Neinsagers, ceux qui sont pour ce qui est contre et contre ce qui est pour. Sur tous les sujets. Pas seulement l’ouverture du cœur du continent sur celui-ci, mais aussi contre le vote des femmes, contre la politique sociale, contre les musulmans, contre les étrangers, contre les homosexuels.

De deux choses l’une. Ou bien Guy Parmelin adhère profondément à la ligne de son parti ; ou bien il n’est membre de l’UDC que par opportunisme pour accéder au pouvoir. Dans les deux cas de figure, il est mal placé pour défendre à Bruxelles un dossier qui n’est pas le sien, qu’il ne connaît pas dans le détail, pour lequel il n’a aucun attrait. Il va défendre une cause qui est celle du Conseil fédéral, pas la sienne propre. Il répétera ce qu’on lui a dit de dire. Fera-t-il preuve d’éloquence, de passion, de conviction dans la négociation ? On peut en douter. Il y avait en Grèce antique des sophistes, maîtres de la rhétorique, qui se flattaient de défendre toute thèse et aussi son contraire. On ne fera pas à Guy Parmelin l’injure de l’assimiler à cette détestable coterie.

S’il désirait vraiment conclure à Bruxelles, le Conseil fédéral a donc choisi délibérément le pire avocat. Est-ce un signe de son sentiment profond? Pourquoi n’a-t-il pas envoyé Ignazio Cassis, ministre des Affaires étrangères, chargé du dossier depuis longtemps et sans doute moins ignorant de ses subtilités? Est-ce une façon détournée de condamner l’entreprise à un échec certain et d’en imputer ensuite la faute à Guy Parmelin, bouc émissaire tout désigné ? Ou bien est-ce une défiance sur les capacités réelles d’Ignazio Cassis ?

A ces questions, il n’y a pas de réponse claire. Il n’est même pas exclu que l’affaire réussisse, bien que l’on doive plutôt pronostiquer qu’elle finira en eau de boudin. Pendant longtemps le dossier était entre les mains de Roberto Balzaretti, secrétaire d’Etat du DFAE et directeur de la Direction des affaires européennes. On ne voit pas qui pourrait obtenir plus ou mieux que ce qu’il n’a pas obtenu. L’équipée de Guy Parmelin à Bruxelles restera donc une énigme, un symbole voyant du refus d’octroyer la gouvernance au plus qualifié, de confier une once de pouvoir à tous ceux dont la tête dépasse. Le destin de la Suisse est confié au hasard, ce maître de l’évolution biologique, ce gardien de la roulette. Tout pronostic est vain.

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