Une chronique politique sans parti pris

Pas de mariage pour tous?

Parmi les derniers pays d’Europe occidentale à ne pas autoriser le mariage pour tous, la Suisse pourrait rattraper son retard. Le parlement fédéral a accepté d’ouvrir l’institution à tous les couples. La loi inclut le don de sperme pour les couples de lesbiennes, la naturalisation facilitée du partenaire et l’adoption conjointe.

Cette loi votée en décembre 2020 par le parlement devra passer l’épreuve des urnes. Trois comités référendaires sont engagés dans la bataille. Le principal, emmené par l’UDF et des personnalités UDC, combat le principe du mariage homosexuel. Il a récolté plus de 50’000 signatures. Environ 10’000 supplémentaires proviendraient d’un comité de droite, qui s’oppose au projet parce qu’il ouvre la voie à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de lesbiennes. Enfin, la Fondation pour la famille, basée à Grimisuat (VS), apporterait encore quelque 5000 paraphes.

Telle est donc l’ultime bataille en Suisse pour donner pleinement droit de cité à l’homosexualité, qui fit si longtemps l’objet de persécutions et demeure contestée. Même aujourd’hui, en Iran, au Soudan, en Arabie saoudite et au Yemen, l’homosexualité est passible de la peine de mort.

Cette votation donnera lieu à des débats passionnels qui n’auront pas un rapport direct avec la loi, mais avec les préjugés, les traditions, les inconscients de la fraction la plus conservatrice de la population. Il n’est pas exclu que la loi puisse être refusée par le peuple. Pourquoi ?

L’argument majeur et unique des initiants est une pétition de principe : le mariage unit un homme et une femme. Si l’on accepte cette prémisse il n’y a plus rien à dire. Mais de quel mariage s’agit-il exactement ?

Pendant longtemps, il fut exclusivement religieux. Si les époux avaient du bien ou des espérances, un notaire consignait les conventions financières. Dans maints pays, c’est toujours le cas. L’instauration du mariage civil vient d’une loi de 1792. C’est une invention de la révolution française pour annihiler la religion. Cette cérémonie laïque n’est en soi que fort peu de chose : elle a le seul mérite d’avoir des conséquences juridiques en matière de propriété, de fisc, de succession.

Dans de nombreux pays, le mariage civil se déroule en même temps que la cérémonie du mariage religieux, même si les deux sont théoriquement distincts. Ainsi, dans la plupart des Etats américains, mais aussi au Royaume Uni, en Irlande, en Israël et en Pologne, le mariage est célébré par  toute  autorité religieuse qui officie également comme un agent public. Ce n’est que dans certains pays, comme l’Argentine, la Belgique, la France, la Russie, la Suisse ou la Turquie, que le mariage civil doive être célébré avant que ne se déroule la cérémonie religieuse. Comme si la première cérémonie possédait une supériorité sur la seconde.

On peut dès lors se demander si le refus du mariage pour tous n’est pas le signe de l’adhésion inconsciente au mariage religieux. Ce serait le cas pour certains initiants qui craignent que la contagion se propage, du mariage civil au mariage religieux, jusqu’à la religion elle-même. En empêchant les homosexuels d’accéder à une cérémonie civile, ils estiment défendre la foi elle-même. Ils se trompent.

Car le pape François lui-même s’inscrit en faux contre ce préjugé : « Les personnes homosexuelles ont le droit d’être en famille. Ce sont des enfants de Dieu, elles ont le droit à une famille. Ce qu’il faut c’est une loi d’union civile, elles ont le droit à être couvertes légalement »

L’évêque de Fribourg a confirmé ce point de vue en déclarant que l’homosexualité n’était ni un crime, ni un péché. Seule la barbarie des temps passés a pu faire croire l’inverse. Les homosexuels ont droit au respect de leur dignité et à la protection particulière que la loi accorde à toutes les minorités. La Nature crée les hommes et les femmes différents les uns des autres. Cette diversité n’est pas une faiblesse pour une société mais une force. Le formatage d’individus sur un modèle unique attente à ce que la Nature (ou Dieu pour les croyants) a voulu.

Un autre type d’opposition à la loi vise un point particulier : l’accès au don de sperme. Ce dernier n’est aujourd’hui possible en Suisse que pour les couples hétérosexuels infertiles. Comme un couple lesbien n’est pas dans ce cas, il doit se rendre à l’étranger, ce qui met cette possibilité à la seule portée des milieux favorisés. Avec la loi, les couples de lesbiennes pourraient y avoir accès en Suisse. Selon les opposants cela « entraînerait des problèmes d’identité pour les enfants puisque le projet entérine juridiquement l’absence de père ». Cette position repose sur une autre pétition de principe : un enfant a absolument besoin d’un père et d’une mère pour se structurer.  Si on accepte cet impératif, il n’y a de nouveau plus rien à dire. Or, un mariage (civil) sur deux se termine par un divorce, les familles monoparentales ne sont pas exceptionnelles et les enfants n’y sont pas particulièrement malheureux.

La votation sur le mariage pour tous, même si elle ne tourne pas au refus, stigmatise une fois de plus une minorité. Il semble que pour une large fraction de la population, il faille pour être vraiment citoyen se conformer à une norme aussi bien en sexualité qu’en religion. Si d’aucuns s’en écartent, ils sont suspects et méritent d’être privés de certains droits : pas de mariage, pas d’enfant, comme pas de burqa, ni de minarets. Cette mise en déshérence réjouit les gens qui se croient  normaux, ils se sentent meilleurs, ils sont confortés dans le mépris qu’ils portent à ceux qui ne sont pas comme eux. Leur liberté n’est pleine que si celle d’autres est bornée.  Leur bonheur n’est entier que s’il est interdit à autrui.

Quitter la version mobile