Il existe à Genève 105 établissements d’enseignement privé à tous les niveaux. Dans le canton de Vaud, il y a 28 établissements dans le primaire et secondaire qui scolarisent 7% des élèves vaudois en âge d’obligation. Il existe une Loi vaudoise 400.455 sur l’enseignement privé qui énumère les conditions très strictes imposées à ces établissements. Mais pas question de les subsidier. Il peut en coûter aux parents chaque année de 10 000 à 100 000CHF (en internat). Le système est donc à deux vitesses : le public pour les gens modestes, le privé pour les fortunés. C’est du reste le meilleur moyen de pérenniser les grandes fortunes : privilégier leurs rejetons.
Ce n’est pas le cas au-delà des frontières. Sur les 13 millions d’élèves en France, environ 17 % sont scolarisés dans l’enseignement privé. 97 % de ceux-ci le sont dans des établissements privés subventionnés, et 3 % dans des établissements privés hors contrat. 97 % relèvent de l’enseignement catholique.
La controverse pour ou contre le subventionnement du privé est un des grands classiques du débat politique. Les détracteurs d’un subventionnement du privé n’en citent que les désavantages. Ils oublient les atouts de la liberté d’enseignement. Elle amène une concurrence propre à rehausser la qualité de l’offre d’enseignement, comme l’a constaté le rapport PISA dans les pays du nord de l’Europe. Et elle favorise l’innovation. C’est en Suisse, avec Rousseau, Pestalozzi et Claparède que sont nées les plus belles inventions de la pédagogie moderne. Et c’est le pays où n’existe pas de concurrence à une échelle suffisante.
Dans les faits, il existe un quasi-monopole d’Etat en matière d’éducation. Mis à part dans les cantons du Jura, de Lucerne et de Bâle-Campagne, où certaines écoles privées sont partiellement subventionnées, les parents ne disposent d’aucune aide financière s’ils sortent leurs enfants du public. Toutes les initiatives récentes dans ce sens ont été rejetées, aussi bien au niveau des cantons que du Parlement fédéral. Par idéologie, la gauche n’attaquera pas le système, par consanguinité la droite fera de même.
Ecoles bilingues ou trilingues, établissements internationaux, institutions pour surdoués, écoles confessionnelles, pédagogies alternatives, la palette proposée par le privé est vaste. Elle reconnaît que tous les enfants naissent égaux en droit mais pas identiques. Selon leur famille, l’éducation sera conçue dans un certain cadre : catholiques intégristes, évangélique, écologistes, artistes. Selon l’individu, une pédagogie sera plus adaptée qu’une autre. L’école publique ne peut proposer qu’un menu unique, adapté à la moyenne de la classe. Pas question de privilégier les plus doués qui pourraient progresser plus vite et autrement. Ce sont les sacrifiés du système, qui ne vise pas à enseigner au mieux mais à formater un citoyen moyen.
La gestation de l’être helvétique requiert plutôt, selon l’attente du peuple et du politique, de la modestie, de la retenue, de l’austérité, qualités civiques qui excusent l’incompétence résultante. Dès lors, les débâcles de Swissair et de l’UBS, l’incapacité de gérer les pensions et les soins de santé, les mésaventures de l’aviation militaire et de l’informatique publique, le scandale des cars postaux, la gabegie des négociations avec l’UE, la médiocre gestion face à l’épidémie, tous ces échecs politiques constituent des certificats de légitime gouvernance pour des acteurs peu doués et donc excusables. Ils ne sont jamais sortis des frontières, ils ne comprennent pas l’anglais, ils sont totalement incultes, ils commettent gaffe sur gaffe. Mais c’est rassurant : ils sont à hauteur humaine. Ils sont pareils aux citoyens les moins doués qui peuvent s’y identifier. Ces médiocres ont mérité d’être réélus.
Or cette règle subit de temps en temps des exceptions manifestes qui en démontrent l’excès de rigidité. Cesla Amarelle, ministre de l’instruction du canton de Vaud, a évoqué l’opportunité de cours de mathématiques réservés aux filles, pour les encourager à faire des études dans les branches techniques et scientifiques, où elles sont actuellement en minorité. Si l’objectif va de soi, la méthode est ambigüe. Faut-il donner ces cours aux filles parce qu’elles seraient moins aptes à ces études ?
Non, car il y a déjà plus d’étudiantes que d’étudiants. Le taux de femmes dans les études supérieures a passé de 38% en 1990 à 50,4% en 2015. Dans certains bastions masculins, la part d’étudiantes a fortement progressé, passant notamment pour l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 18% en 2000 à 29% en 2014. On est loin de la situation voici un demi-siècle où les étudiantes ingénieurs se comptaient sur les doigts de la main. La transition s’opère spontanément.
Alors que le déséquilibre inverse existe en médecine où les filles sont bien plus nombreuses que les garçons. Or, on ne propose pas de cours de biologie réservés aux mâles pour les attirer en médecine. Pourquoi réclamer un équilibre des sexes dans chaque faculté ? Les filles ont manifestement moins envie de devenir ingénieur que médecin. Ont-elles tort ?
Pour aller au fond du problème, on peut estimer que le désamour des filles pour la technique provient du milieu, de la famille, de l’école obligatoire, de la presse, des réseaux sociaux. C’est dans l’unique mesure où cet environnement a rapidement changé que davantage de filles se sont inscrites à l’EPFL. C’est un problème de civilisation. Plus il y a de femmes dans les exécutifs, dans la direction des entreprises, dans les conseils d’administration, plus leurs filles seront tentées de suivre la même carrière.
Ajoutons-y des crèches à des prix abordables, des congés parentaux, des allocations familiales, une égalité raisonnable des salaires et l’on aura alors fait tout ce qu’il fallait. Plus et mieux qu’un cours supplémentaire de mathématiques réservé aux filles, qui est au fond l’aveu d’un niveau trop faible des gymnases.
Qu’est-ce qui prépare vraiment à réussir sa première année de polytechnique ? Les cours dispensés lors des dernières années d’enseignement secondaire sont inspirés par le ludique, la mode intellectuelle, les fantaisies des différents cantons. Par exemple dans le canton de Vaud on enseigne la cryptographie (?), la détermination des décimales du nombre pi (!), le pavage, mais pas vraiment la trigonométrie. C’est intellectuellement intéressant mais pas immédiatement utile pour un technicien dans l’âme.
Car, en première année de polytechnique, tous les étudiants sont censés disposer du même bagage initial. Ce qui n’est pas le cas. Dès lors le problème n’est pas la tendance des filles à refuser de devenir ingénieures, mais la situation de tous les étudiants sans discrimination de sexe. Les candidats suisses à l’EPFL réussissent moins bien en première année que les étudiants étrangers. Seulement 43% de réussites contre 57% pour les Français et même 61% pour les autres étrangers. Les résidents de la Suisse seraient-ils moins intelligents ?
Bien évidemment non, mais tout titulaire d’une maturité suisse, quelle que soit l’option et quel que soit le résultat, doit selon la loi être accepté à l’EPFL. Le passeport rouge à croix blanche ne garantit pas qu’ils bénéficieront d’une illumination du Saint Esprit, qui leur soufflerait les bonnes réponses aux examens. Au contraire, engager des porteurs de maturité suisse mal préparés en mathématiques et physique est un véritable traquenard. Parce qu’ils ont le droit juridique de s’inscrire, on les trompe en laissant croire que cela garantit leur réussite.
En revanche l’EPFL peut fixer les critères d’admission des étudiants provenant de l’étranger. Pour les Français, il faut un bac scientifique avec une note de 16 en moyenne. Ce barrage a été mis en place pour freiner le flux de candidats étrangers attirés par l’excellente réputation de l’EPFL, probablement avec l’ETHZ la meilleure école d’ingénieurs du continent. La dépense par étudiant dans l’enseignement supérieur est la plus élevée dans quatre pays de l’OCDE, le Luxembourg, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse, au-dessus de 25 000 dollars par an. Nous ne sommes pas les meilleurs parce que nous sommes plus intelligents, mais les plus riches.
Les conséquences sont évidentes. Mieux un étudiant est préparé, plus il a de chances. Dans une école d’ingénieurs de très haut niveau il n’est pas possible de tricher avec sa formation antérieure. Un certain nombre de matières doivent être maîtrisées à fond. On n’a pas le temps de recommencer leur acquisition. Au-delà de la réussite à l’EPFL, cela pose la question d’une unification des exigences au niveau du gymnase. Une trentaine de systèmes disparates d’éducation secondaire ne préparent pas à l’enseignement unifié et exigeant qui suit.
La concurrence internationale pose le véritable défi : c’est en sélectionnant et en encourageant les meilleurs que l’on fournira du travail à tous. C’est en créant un système d’émulation, voire de concurrence, entre les écoles qu’on y atteindra.