Une chronique politique sans parti pris

Ouvrir ou non

 

Telle est la question existentielle, agitée dans tous les sens la semaine passée. Alain Berset est venu confirmer que l’on n’ouvrira pas les restaurants les salles de spectacles, les stades  avant Pâques. Il fut aussitôt stigmatisé par l’UDC, prompte à capter les mécontents pour en faire des électeurs. Son président est venu s’expliquer lors du téléjournal de samedi. Il a démontré cette habileté suprême du politicien chevronné à ne jamais répondre à des questions précises et gênantes comme de savoir si, étant en mesure de décider, il prendrait la responsabilité de tout ouvrir et en assumerait la responsabilité.

Car tel est bien le dilemme. La fermeture prolongée affaiblit des secteurs entiers de l’économie, provoque des faillites, maintient au chômage des travailleurs qualifiés, empêche de former les apprentis. L’ouverture dans la situation incertaine d’aujourd’hui risque sérieusement de lancer une troisième vague, de déborder les hôpitaux et d’entraîner des morts. On se retrouve donc devant une sommation brutale du style : la bourse ou la vie.

Si les décideurs optent pour la prudence, on leur reprochera de nuire à l’économie alors que la troisième vague ne se produira forcément pas, du fait des mesures qui auront été prises. S’ils optent pour l’ouverture, on leur attribuera les morts. Il faudrait avant toute intervention publique sur le sujet, essayer de se mettre dans la situation du décideur. Au-delà des préoccupations bassement électoralistes, il est dans la situation d’un défi classique. Si en poussant sur un bouton vous pouvez gagner un million,  mais un méchant Chinois, tortionnaire ou escroc, inconnu de vous, mourra instantanément, que faites-vous?. Les morts résultant d’une ouverture hâtive sont aussi des anonymes pour le décideur, ce ne sont que des chiffras dans la statistique quotidienne. On comprend leur dilemme et on ne voudrait pas se trouver à leur place.

Or il existe dès à présent une méthode pour concilier les deux : ouvrir sans tuer. On estime que le quart des Vaudois sont munis d’anticorps, soit parce qu’ils sont guéris du Covid, soit parce qu’ils sont vaccinés. A fermer sans nécessité impérieuse des restaurants qui pourraient ne servir que des immunisés selon la liberté du commerce, on discrimine et ces entreprises, et leurs clients potentiels. Les non vaccinés empêchent les vaccinés de vivre et leur font subir de la sorte une discrimination. Dans quelques mois, la force des choses fera que chacun portera sur soi sa carte d’identité et son certificat de vaccination et considèrera cette double exigence comme légitime.

Cette proposition marquée au coin du bon sens élémentaire suscite une indignation vertueuse : on exerce de la sorte une discrimination négative à l’égard des non vaccinés. Cette réouverture partielle des lieux publics ne serait légitime que si tous ceux qui souhaitent être vaccinés en aient eu la possibilité. Rien n’est plus odieux que la discrimination négative. Eliminer un individu sur base de son appartenance à un groupe fondé sur l’appartenance sociale, la couleur de la peau, la pratique d’une religion, le sexe, une maladie viole son droit élémentaire d’accéder à un emploi, à des études, à un logement.

La discrimination négative a tellement mauvaise presse que l’on en vient à la confondre avec l’autre face de la médaille, la discrimination positive, celle qui donne plus de chances à ceux qui ont fait l’effort de surmonter leur appréhension et à ceux qui ont la chance d’être plus âgés. La question revient en force au sujet des vaccinés contre le Covid. Faut-il exercer une discrimination positive en leur permettant de mener une vie normale, en allant au théâtre et au restaurant, en utilisant les transports publics sans masques, en franchissant les frontières sans mise en quarantaine ?  A ne pas accepter cette discrimination positive, on exerce à leur égard une discrimination négative. Pour l’instant la réponse est vague et les autorités auront bien du mal à faire accepter ce genre de décision.

Elle viole apparemment le droit fondamental de ne pas se faire vacciner. Or, ce droit n’est déjà pas absolu. Le vaccin contre la fièvre jaune est exigé en vertu du règlement sanitaire international, qui lie 196 pays dans le but de limiter la propagation des risques pour la santé publique.  Certains pays africains l’imposent comme condition d’entrée sur leur territoire, même si le voyageur ne fait que transiter par un aéroport. Personne n’est obligé de voyager en Afrique mais celui qui l’entreprend doit se plier à des règles sanitaires. Ce n’est pas une discrimination. C’est une mesure fondée de salubrité publique.

Le refus de la discrimination positive mène à des situations absurdes. On cite le cas d’un EMS dont tous les résidents sont vaccinés et doivent cependant prendre leur repas en chambre. Les tests et les quarantaines applicables aux étrangers pénétrant en Suisse ne prévoient pas d’exception pour ceux qui seraient vaccinés.

A fermer sans nécessité impérieuse des restaurants qui pourraient ne servir que des clients immunisés selon la liberté du commerce, on discrimine et ces entreprises, et leurs clients potentiels. Les non vaccinés empêchent les vaccinés de vivre et leur font subir de la sorte une discrimination. Personne n’est obligé de fréquenter un restaurant, un théâtre ou un stade mais celui qui le souhaite devra se plier à des règles de salubrité publique.

Conclusion : on peut ouvrir ce qui est fermé à ceux qui peuvent y pénétrer et vacciner la plus vite possible les autres. Il est inutile d’attendre encore un mois. Mais le décideur qui devrait et pourrait adopter cette mesure se rendra impopulaire à l’égard des trois quarts de la population qui n’est pas munie d’anticorps et son parti en subira les conséquences électorales. Dès lors, on peut conclure que ce qui pourrait être fait tout de suite ne le sera pas. L’impact électoral l’emportera longtemps sur le bon sens élémentaire.

 

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