Une chronique politique sans parti pris

La gabegie de la prévoyance professionnelle

« L’étude sur les caisses de pension suisses 2019 publiée aujourd’hui par le Credit Suisse analyse les principaux défis du deuxième pilier du point de vue des caisses de pension et des assurés. La comparaison intergénérationnelle réalisée par les économistes du Credit Suisse met en évidence que le montant des rentes des premier et deuxième piliers par rapport au dernier revenu passe de quelque 57% en 2010 à 46% en 2025, et chute même de 51% à 37% dans le segment des revenus supérieurs. Sans relèvement de l’âge de la retraite, il sera difficile d’assurer la pérennité de la prévoyance professionnelle. »

Ce diagnostic est imparable. Si l’âge de la retraite n’est pas modifié, le système ne peut plus tenir ses promesses. En le créant, on a garanti des pensions équivalentes aux deux tiers du dernier revenu. En le maintenant tel quel, on ne fournira plus qu’un tiers. Les promesses non tenues déconsidèreront le principe même d’un système national et obligatoire.

Depuis la création du système jusque maintenant, sur plus d’un demi-siècle, la durée de survie à 65 ans a doublé, de dix à vingt ans. Pour assurer la stabilité de l’AVS, qui est un système par répartition, il faudrait : soit augmenter de dix ans la durée du travail ; soit diminuer les rentes de moitié ; soit doubler les cotisations, soit combiner les trois méthodes. La seule mesure qui fut systématiquement esquivée est la prolongation de la durée du travail. Pour la raison évidente que cela échouerait devant le peuple.

On continue à payer les pensions mais au rabais : en excluant les veuves (elles sont incapables de se défendre! il faut en profiter) ; en ne compensant pas tout de suite le renchérissement c’est-à-dire en diminuant le pouvoir d’achat des rentes.

On n’augmente pas les cotisations mais on accroit la TVA et on affecte ce gain au soutien des pensions. Cela revient tout de même à faire payer les actifs par une taxe plutôt que par une cotisation. On taxe aussi les retraités, dont on diminue de la sorte le pouvoir d’achat en feignant de ne pas diminuer la pension nominale. Enfin on bouche les trous avec les taxes sur le tabac, l’alcool et les jeux. Le vice viendrait ainsi au secours de la vertu. Mais en pratique c’est l’inverse : lorsque l’on essaie de décourager le tabagisme ou l’addiction aux jeux, on ne s’attaque plus au vice mais aux pensions, symbole de la vertu. Le fumeur apaise sa conscience en se disant qu’il soutient les retraités.

Le Conseil fédéral, le parlement, les partis, n’ont pas le courage de proposer l’allongement de la durée du travail. Et cependant la vérité des chiffres finira par l’imposer, mais dans l’improvisation, c’est-à-dire quand les réserves de l’AVS seront épuisées et quand les rentes de la LPP versées aujourd’hui ne permettront plus de verser celles de la génération suivante.

Face à cette impasse, à ce déni de réalité, à ces promesses impossibles à tenir, une initiative est lancée par les jeunes PLR. Typique d’une entreprise qui risque l’échec. Le parti ne s’engage pas, mais investit ses jeunes.

Ceux-ci s’engagent dans trois directions simultanées : même âge pour les hommes et les femmes ; augmenter l’âge à 66 ans progressivement ; lier l’âge de la retraite à l’espérance de vie. Cette dernière mesure à elle seule permettrait de résoudre le problème. Les deux premières créent plus de confusion et, en particulier, la première mobilisera contre elle l’électorat féminin.

On ne citera pas ici le texte de l’initiative, en particulier l’article 112, alinéa 2, a ter. Parce qu’il est incompréhensible et prétend régler les trois objectifs à la fois. Sa rédaction maladroite et confuse ouvre la porte au refus de signer la liste des initiants, à des discussions passionnées lors de la campagne, à de nouvelles incertitudes lors de la loi d’application. Une seule citation extraite du texte en donne toute la saveur : « l’âge de la retraite correspond à la différence entre l’espérance de vie et la valeur de référence, multipliée par le facteur 0, 8, plus 66 ». Qui peut comprendre cela ? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? C’est tellement mal emmanché que l’on suspecte une volonté morbide de courir à l’échec.

En parallèle de l’AVS, insuffisante pour assurer le maintien du niveau de vie, le système de capitalisation, dit LPP ou du deuxième pilier, agglomère les cotisations versées par et pour chacun des travailleurs dans un capital personnel, redistribué à partir de la retraite. La fraction distribuée chaque année s’appelle le taux de conversion.

Tout dépend du taux de conversion. Or la durée de la survie au-delà de la prise de pension mène au calcul du taux de conversion : il suffit de diviser 100 par cette durée exprimée en années. A partir de 65 ans, elle est actuellement de 21 années et le taux calculé vaut donc 100/21 =4,76%. Cependant la loi le fixe actuellement à 6,8%.

En conséquence, on paie présentement les retraités, au-delà de leur dû, en partie avec l’argent des cotisants actuels, qui seront dépourvus lorsque leur tour sera venu. C’est le système Madoff : promettre un revenu démesuré, financé en réalité par les nouveaux déposants, jusqu’à l’effondrement de cette pyramide de Ponzi.

Mais la Nature qui est plus sage que les hommes nous a suppléé. Grâce à l’épidémie de Covid, l’espérance de vie est en train de diminuer. Bienfait du virus : il permettra de payer un peu plus longtemps des pensions moins indécentes.

 

 

 

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