Une chronique politique sans parti pris

L’antithèse

 

Mon blog précédent anticipait les premiers sondages qui paraissent maintenant : l’initiative constitutionnelle contre le port de la burqa dispose d’une majorité et sera sans doute acceptée. Elle rencontre en effet un sentiment très courant dans l’opinion publique : toute manifestation sur la voie publique d’une adhésion à l’Islam constitue une provocation, un danger, une incitation à l’islamisation de la Suisse.

Un courriel adressé à l’auteur précise cette inquiétude par une formule simple et claire : l’Islam constitue l’antithèse du christianisme. Ce dernier est paré de toutes les vertus et le précédent de tous les dangers. Les chrétiens sont doux et pacifiques, tolérants des autres religions au point de s’abstenir de tout prosélytisme, tandis que les musulmans seraient, au contraire, des fanatiques agressifs contraignant à la conversion par la force, ne laissant le choix qu’entre la mort et la récitation de la chahada.

Cette conviction explique que le souverain populaire s’engage pour l’interdiction aussi bien de la burqa que des minarets. Pourquoi ? Cela vaut la peine de le découvrir et d’y réfléchir. Ce n’est pas qu’une affaire de religion, cela n’en a toutes les apparences que pour mieux dissimuler la réalité : c’est une affaire de pouvoir. Comme le pouvoir est en Suisse le mieux partagé du monde, il appartient à tous, il se divise entre confédération, cantons et communes, les membres des exécutifs sont soumis à la volonté du véritable souverain, le peuple qui est roi. Pareillement à tous les monarques, il se méfie de toute concurrence, il invoque le sacré pour être inviolable. Ce sont les premiers mots de la Constitution, ce sont les assermentations de députés ou d’officiers dans les cathédrales, c’est la croix sur le drapeau.

Dans la masse de nos concitoyens, il subsiste le sentiment très fort d’être un peuple élu. La Suisse est évidemment une Terre promise puisque tant d’étrangers aspirent à habiter. Ils sont tout juste supportables s’ils pratiquent la même tradition, celle des chrétiens. Et donc les voisins, Français Allemands, Italiens sont acceptables : nous restons entre chrétiens. Cela ne veut pas dire que les Suisses soient de grands bigots, il n’y en a pas un sur dix qui se rende à la messe ou au culte tous les dimanches. En revanche, le baptême, la confirmation, le mariage et les funérailles reçoivent encore une adhésion. Ces importantes étapes de la vie nécessitent aussi un peu de sacralisation.

En résumé la majorité des chrétiens de Suisse sont des chrétiens des quatre saisons de la vie. Ils ne peuvent pas se dire de bons chrétiens, mais ils pensent ferme que mieux vaut un mauvais chrétien qu’un bon musulman. Très précisément parce que ce dernier prend sa foi trop au sérieux et parfois, ailleurs qu’en Suisse heureusement, tout à fait au tragique.

Et voilà pourquoi le minaret et la burqa sont inacceptables, insolubles, inconcevables. Ils témoignent d’une foi ardente en Dieu. Mais quel Dieu ? Le leur, pas le nôtre. Voici vingt siècles nous nous sommes approprié le Dieu d’Israël. Comme il nous appartient depuis vingt siècles, c’est un pur détournement que de prétendre rendre un autre culte au même Dieu que nous, de nous obliger à envisager qu’il n’y aurait qu’une seule religion sous des confessions diverses, qu’il n’y aurait qu’un seul Dieu qui n’appartient à personne, qu’il est possible de l’honorer en pratiquant le jeune du ramadan, alors que nous, les chrétiens, avons supprimé l’injonction du carême.

Certes des chrétiens se comportent parfois de façon violente. Les Croisades, les Guerres de Religion, la colonisation, la Shoah, la guerre d’Irak leurs sont reprochés par de mauvais esprits. Mais la violence chrétienne s’exerce toujours à juste titre. Dès le Moyen Age, le génial Thomas d’Aquin a élaboré une théorie de la guerre juste, qui prescrit au citoyen ordinaire de s’engager dans l’armée sans aucun scrupule et qui prohibe l’objection de conscience.

Ainsi l’invasion de l’Irak en 2003 par les américains (chrétiens) peut-elle être justifiée par ce que l’on ignorait et que l’on était bien obligé de suspecter : la présence d’armes de destruction massive, les liens entre l’Irak et le terrorisme, la présence de Ben Laden. La suite a démontré que ces suspicions n’étaient pas fondées, mais cela n’a plus d’importance. Il existe un droit à l’erreur. Nous avons défendu de bonne foi une mauvaise cause, ce qui vaut mieux que défendre de mauvaise foi une juste cause. Le 1er décembre 2008, le président Georges W. Bush a reconnu, concernant les armes de destruction massives, que « Le plus grand regret de toute cette présidence consistera dans la défaillance du renseignement en Irak. ». Typique de l’esprit de repentance chrétien alors que les djihadistes ne regrettent jamais rien. Faute avouée, faute pardonnée.

La véritable antithèse entre christianisme et Islam est donc la suivante : nous avons élaboré un mécanisme imparable de rétablissement de la bonne conscience. Mon correspondant, qui proclame cette antithèse, est de bonne foi, car il adhère au préjugé le mieux établi dans l’opinion publique : nous sommes toujours du côté du bien et donc nos adversaires sont du parti du mal.

Avec ce préjugé d’appartenir à la pointe de la civilisation, on peut tout justifier : les chrétiens allemands ont admis les assertions de la propagande nazie selon laquelle les Juifs étaient les responsables des malheurs de l’Allemagne et qu’il fallait les mettre hors d’état de nuire. Les gardiens des camps de la mort étaient catholiques, protestants ou orthodoxes mais rien dans leur éducation religieuse ne les mettait en garde contre leurs actions.

Rien non plus ne mettra en garde ceux qui voteront la proscription de la burqa. Au contraire, ils auront le réconfortant sentiment de s’engager pour une juste cause avec une inoxydable bonne foi. Cela vaut tout de même mieux que d’avoir une mauvaise conscience qui ne sert à rien et qui est nuisible à la santé morale.

 

 

 

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