Face à l’opportunité d’une vaccination, les campagnes opposées fleurissent: ” Tantôt le fait que la vaccination sur base d’ARN messager soit une innovation suscite une méfiance insurmontable : comment pourrait-on imaginer qu’il existe une recherche digne de ce nom, capable d’obtenir des résultats, indépendante des menées des pharmas qui sont attirées par le seul lucre ? Tantôt le fait que le virus n’arrête pas de muter, comme tous les virus de son espèce, permet d’affirmer placidement que les vaccins déjà développés se révèleront inefficaces. Enfin, la rapidité du développement laisse croire que toutes les précautions n’ont pas été prises et que des effets secondaires gravissimes se manifesteront tôt ou tard. Ne vous vaccinez surtout pas car non seulement cela ne sert à rien mais c’est carrément dangereux.” C’est du grand n’importe quoi.
Les messages les plus contradictoires circulent alimentés par les atermoiements, les contradictions, les retards des autorités publiques. Tout se passe comme si la vaccination venait d’être inventée, comme s’il était légitime de la mettre en doute, comme si nous étions toujours au XVIIIe siècle. Ce qui signifie en clair qu’une fraction de la population y est toujours. Certains croient que la Terre est plate, d’autre que le Soleil tourne autour de la Terre, la plupart que l’évolution est une invention diabolique d’un triste individu appelé Darwin.
Revenons aux fondamentaux. Le siècle dernier, la variole a provoqué près de 500 millions de morts dans le monde. Dès 1902, la loi française rendit la vaccination antivariolique obligatoire au cours de la première année de vie ainsi que les revaccinations des 10e et 21e années. La dernière épidémie de variole date de l’hiver 1954-55 à Vannes. Il y eut 16 morts sur 73 cas. La variole a été totalement éradiquée en 1980 grâce à une campagne de l’OMS . Au XXIe siècle, seuls des échantillons de ce virus sont encore conservés à des fins de recherche par des laboratoires habilités par l’OMS. Donc il n’y a plus de variole et plus de vaccination. Elle n’était du reste pas sans danger avec des cas d’encéphalopathie mortels. Le décès concerne 1 ou 2 personnes par million.
Cela vaut donc la peine de raconter comment l’auteur de ce blog a traversé en mars 1962 une des dernières épidémies. Il vivait à Kinshasa comme professeur à l’Université Lovanium avec sa famille comportant trois enfants en bas âge. En principe tous les expatriés étaient vaccinés avant leur arrivée au Congo. En revanche la population locale ne l’était pas systématiquement. Et donc une épidémie de variole s’est déclenchée début 1962 à Kinshasa avec des résultats foudroyant, de l’ordre de 500 morts par jour. L’hôpital universitaire alerta tous les résidents de l’Université : la protection assurée par le vaccin reçu avant le départ n’était pas optimal. Il fallait revacciner avec un vaccin plus efficace mais aussi plus dangereux. Complication supplémentaire : l’hôpital ne disposait plus de désinfectant, ni même de savon, il fallait donc se munir d’un gant de toilette et d’un savon. C’est dans ces conditions acrobatiques que nous fûmes tous vaccinés, le doyen de la Faculté de médecine en premier lieu pour donner l’exemple. Or, il souffrait d’asthme. Quelque temps plus tard il en mourut. Dans notre communauté universitaire, il fut la seule victime.
De leur côté les autorités publiques n’étaient pas restées passives. La vaccination de la population fut confiée à l’armée congolaise. Celle-ci utilisa une méthode radicale. Des barrages sur les rues fréquentées arrêtaient les passants, leur épaule était scarifiée avec un tesson de bouteille et le vaccin appliqué sans demander l’avis de l’intéressé. Effectivement l’épidémie fut rapidement arrêtée.
De cet épisode, l’auteur a retenu quelques leçons de chose :
1/ Face à une épidémie, il faut se vacciner. On court un risque moindre que de ne pas le faire.
2/Les pouvoirs publics ont le droit, voire le devoir, de rendre la vaccination obligatoire.
3/ Tous les pays ne sont de loin pas égaux face à une épidémie. Les médicaments indispensables manquent dans les pays les plus pauvres.
4/ Une campagne coordonnée sur toute la planète peut débarrasser définitivement d’un virus.
5/ Il existe des virus bien plus dangereux que le Covid 19. C’est contre une épidémie gravissime qu’un pays riche doit se prémunir. La létalité du virus Ebola du Congo est de 90%.
6/ C’est prendre une lourde responsabilité que de faire campagne contre la vaccination. Cela vaudrait la peine de la sanctionner comme un délit.
Ces leçons apprises dans une circonstance particulière ne sont sans doute pas adaptable ici et maintenant en Suisse. Mais dans certaines circonstances différentes elles devraient être envisagées. Autant les institutions présentes sont adaptées et performent dans la vie ordinaire de la nation, autant faut-il les préserver pour ce genre de situation, autant faut-il être prêt à les modifier si et quand cela devient indispensable. Le Conseil fédéral reconnait avoir commis des erreurs dans sa gestion passée de l’épidémie. Ce n’est pas la faute de personnes en particulier mais de l’articulation du pouvoir, exercé par un groupe de politiques sans unité de pensée, asservis à la volonté des cantons. Cela a coûté des vies humaines, épuisé le système médical, ruiné des entreprises et créé du chômage. La question qui se pose est dès lors : que faut-il corriger?