Une chronique politique sans parti pris

Les trois leçons de l’épidémie

 

 

Jadis, lors d’un fléau, guerre, famine épidémie, les Eglises organisaient des prières. Nos ancêtres imaginaient les épreuves et les mauvais coups du sort comme étant autant de signes de la colère divine envers des êtres humains indifférents à ses commandements. Ce fut longtemps et cela est encore parfois l’interprétation animiste. Dieu ou des esprits se manifestent par des phénomènes tels que tempête, sécheresse, maladie, foudre, séisme. Si les fidèles leurs adressent des prières ou consentent à des sacrifices, il est possible d’être épargné par l’épreuve ou de l’adoucir. Le sens manifesté par la catastrophe est la révélation de la transcendance, la punition des péchés, l’incitation à la conversion. Le malheur n’est jamais absurde, il révèle un péché méconnu, il invite à la conversion.

Cette interprétation religieuse n’est plus possible et c’est bien dommage parce que c’était tellement plus simple même si c’était imaginaire. Il suffisait de prier suffisamment fort pour que tout revienne en ordre. Face à l’épidémie les Eglises ont gardé un silence prudent. Elles savent qu’elles ne sont plus le remède contre un virus tandis que la médecine est vraiment armée. Seuls quelques évêques français ont osé protester contre la prohibition des messes. En Suisse, rien de la sorte. Pasteurs rabbins et imams se sont aussi abstenus. Les experts médicaux sont devenus les grands prêtres du culte contemporain et vaticinent pour ou contre le vaccin.

Depuis trois siècles nous avons ainsi élaboré une autre mythologie, celle de la Science, qui explique les phénomènes par des causes naturelles. L’épidémie présente est due à un virus, transmis de l’animal à l’homme, probablement en Chine : point barre. Les esprits invisibles n’ont rien à voir là-dedans. S’il faut chercher un responsable, c’est l’humanité en général, trop encline à se déplacer d’un continent à l’autre, les gouvernements qui ne prévoient pas la survenance possible d’une épidémie, les citoyens qui n’obéissent pas aux consignes de sécurité. En bref tout le monde est responsable, c’est-à-dire personne. L’épidémie est aussi absurde que le sont les hommes, ce que l’on sait depuis longtemps et ce qui ne nous apprend pas grand-chose. A y réfléchir cependant, il est des leçons à tirer, plutôt que de chercher un bouc émissaire..

La première leçon, la plus évidente et la moins acceptée, c’est que notre système technique est si puissant qu’il permet de mettre au point un vaccin en moins d’une année. En particulier le vaccin à ARN messager, depuis longtemps dans le pipe-line de la recherche, a fait une irruption instantanée dans les applications médicales. Cela n’a suscité ni l’enthousiasme, ni l’admiration des foules, bien au contraire, mais une méfiance radicale : « si le progrès de la médecine semble s’accélérer, c’est que les spécialistes mentent. Les agences gouvernementales qui doivent autoriser la vaccination sont manipulées. La science n’est qu’une illusion. Le progrès n’est pas possible». Cette leçon n’est donc pas perçue par une fraction importante de la population à la mesure de son ignorance de la question. Elle vit dans notre siècle avec une mentalité médiévale.

La seconde leçon c’est que l’économie productiviste et la consommation à outrance, l’obsession du PIB et la spéculation boursière, ne sont pas des évidences, des fatalités, le destin inévitable, qui constituerait la seule religion planétaire et le seul sens donné à la vie. Soumis au confinement, les consommateurs ont moins consommé, se sont limités aux besoins immédiats de l’alimentation, ont renoncé aux WE à Londres pour du shopping, ont déféré l’achat de vêtements à la mode, ont été privés des restaurants, des discothèques, des théâtres, des concerts. Tout en évitant de succomber au Covid, ils ne sont pourtant pas morts, ni d’ennui, ni de solitude, ni de mal-être. Ils se sont peut-être même convertis à une certaine vie intérieure. Certains ont appris que l’on peut se passer de beaucoup de divertissements, d’agitations, de tapages. Cela s’appelait jadis faire une retraite.

La troisième leçon est la découverte forcée de la solidarité. On ne se guérit pas tout seul d’une épidémie, on ne l’éteint pas en se protégeant, mais aussi en protégeant les autres. Même si un masque ne protège pas complètement le porteur, il protège aussi les autres et si tout le monde est masqué, tout le monde est protégé. Il ne sert à rien de fermer les restaurants dans un canton si ceux du canton voisin sont ouverts. Il ne sert à rien de fermer les stations de ski d’un pays, si celles du pays voisin sont ouvertes. Il est impossible d’éradiquer le virus d’un pays européen, si ce n’est réalisé pour tout le continent. La Suisse a découvert avec une certaine stupéfaction qu’elle n’était pas la Nouvelle-Zélande, ce qu’elle a pourtant longtemps imaginé. Elle est vraiment entourée de terres habitées par des Européens qui parlent allemand, français et italien comme nous.

Ces trois leçons serviront-elles à éviter une troisième vague, puis un ressac perpétuel ? On peut en douter. Elles mettent en cause  profondément nos habitudes, nos préjugés et jusqu’à nos institutions. En temps de paix elles sont parfaites pour gérer la routine mais pas dans des circonstances extraordinaires qui exigent de la rapidité, de la détermination, de la cohésion. La concordance au Conseil fédéral rend celui-ci inerte, lent, procrastinateur. Le fédéralisme engendre un beau désordre sur un tout petit territoire. On n’échappe pas à la nécessité d’une autorité unique, une sorte de général sanitaire qui aurait tout à dire sur le seul sujet de l’épidémie, tout comme le général militaire prévu par la Constitution commande seulement l’armée. On n’échappe pas non plus à l’évidence d’une nécessaire coordination avec nos pays voisins. L’épidémie doit être enrayée sur le continent, pas sur un seul pays.

Enfin l’épidémie sert de répétition générale pour la lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons vécu à moindre frais durant quelques mois. Nous pouvons l’accepter sur la durée en nous ingéniant à aménager une civilisation de la sobriété, de la solidarité, de la durabilité.

 

 

 

 

 

 

 

Quitter la version mobile