Une chronique politique sans parti pris

Le beau message de Harouna Kaboré

 

Ce ministre du Burkina Faso était en Suisse mardi dernier aux côtés d’Isabelle Chevalley, pour critiquer l’initiative sur les multinationales responsables. Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la politique suisse est inventive, puisqu’il s’agit d’une première. Jamais un ministre étranger ne s’était hasardé à intervenir dans une campagne de votation suisse. Jamais un politicien suisse n’avait eu recours à l’expédient d’un appui étranger. Mais il faut un début à tout.

Harouna Kaboré s’est légitimement inquiété des conséquences socio-économiques de l’initiative, qualifiée de néocolonialiste. On ne dispose malheureusement pas dans la presse des excellents arguments qu’il a utilisé pour défendre cette thèse intéressante. On imagine deux extrêmes.

Soit, il a expliqué que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes burkinabè, que les travailleurs sont protégés par des lois rigoureuses et que l’environnement l’est tout autant. Dans ce cas, il est évident que l’initiative jette un discrédit immérité sur un pays à la pointe de la politique sociale et environnementale. Si tel est le cas, l’initiative est une offense à l’honneur de sa nation. Elle est bel et bien néocolonialiste

Soit, il a expliqué que la situation n’était pas tout à fait satisfaisante, que le Burkina Fasso n’est pas la Suisse, mais que le travail mal payé et polluant au bénéfice d’une entreprise suisse vaut mieux que pas de travail du tout et que la justice intègre de son pays réprime les excès les plus graves. Là aussi, l’initiative est une agression à l’égard d’un pays modeste mais fier de son indépendance.

Ces deux cas de figure justifient pleinement l’adjectif néocolonialiste infligé aux initiants. Ce n’est pas parce que la Suisse est la patrie des droits de l’homme et de l’environnement qu’elle peut imposer ses exigences à un pays laborieusement en voie de développement. Nous n’avons que trop tendance à anathématiser comme corruption ce qui n’est qu’une plaisante coutume locale, intégrée à tous les échelons du pouvoir, de l’agent de police au président de la République. Si les caisses de l’Etat sont vides au point de ne plus payer les salaires de la fonction publique, il est normal que celle-ci se rétribue au moyen de cadeaux librement consentis par des citoyens quémandeurs et reconnaissants.

Le néocolonialisme est pire que tout, parce qu’il se pare des apparences de la vertu, tandis que le colonialisme pur et dur assume pleinement sa condition. Il exploite matériellement le pays colonisé sans prétendre lui imposer les mœurs du colonisateur : il affecte le corps mais point l’âme.

Certains esprits moroses se sont inquiétés de savoir qui paya le voyage du ministre. Pire. Ils ont évoqué les bénéfices que tirerait le gouvernement burkinabé ou certains de ses membres de l’activité au Burkina de sociétés ayant leur siège en Suisse. Ce ne sont là que des affaires privées qu’il est malvenu d’étaler sur la place publique. D’ailleurs, les commissions versées aux autorités locales par des entreprises suisse sont défalquées des bénéfices de celles-ci en Suisse, en toute légalité helvétique faut-il le souligner.

Cependant ne risquerait-on point que l’UDC puisse s’indigner devant « l’intolérable ingérence étrangère dans la politique intérieure suisse » ? Aucun danger :   ce parti est le plus opposé  de tous à l’initiative parce qu’elle est directement contraire à nos intérêts bien compris. Ce qui se passe ailleurs ne nous concerne pas. Hors la Suisse, point de salut.

Ainsi tout est sous contrôle. Même les pays prétendument exploités viennent clamer leur indignation jusqu’à Berne. C’est du jamais vu. Et l’on ne peut que souhaiter que l’habitude s’en prenne. Soit dit en passant, on peut déplorer qu’aucun ministre thaïlandais ne soit venu se plaindre, jusqu’à présent, de la répression en Suisse des pédophiles suisses agissant dans son pays.  Il y a là une lacune qu’il urge de combler. Notre conception étriquée de la vertu n’est pas un impératif mondial. L’hypocrisie helvétique permet d’importer des prostituées sur le sol national alors qu’elles préfèreraient peut-être rester en famille. Après le Burkina Faso la Thaïlande nous adresserait ainsi une rude leçon de morale pratique.

 

 

 

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