Une chronique politique sans parti pris

Le devoir de désobéissance civile

 

 

Quelques jeunes gens s’en sont pris au Crédit Suisse pour promouvoir la cause de protection du climat. Relaxés puis condamnés en Vaud, puis relaxés à Genève, leur tribulation témoigne de la perplexité du pouvoir judiciaire. Les magistrats se souviennent du mythe d’Antigone, à l’origine de la littérature occidentale dans la tragédie de Sophocle. Antigone viole la loi de Thèbes en se référant à une loi non-écrite d’origine divine et elle est exécutée. C’est le débat fondamental entre la légalité et la légitimité qui inspire toute la réflexion de l’Occident. Il a été illustré par des figures historiques comme Socrate, Jésus de Nazareth, Jeanne d’Arc, Giordano Bruno, Galilée, Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, Andrei Sakharov, Alexandre Soljenitsyne, Julian Assange. Tous ont payé leur désobéissance de leur vie ou de leur liberté.

 

« La désobéissance civile est le refus assumé et public de se soumettre à une loi, un règlement, une organisation ou un pouvoir jugé inique par ceux qui le contestent, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique. » Il existe non seulement un droit, mais aussi un devoir de désobéissance civile quand un Etat prescrit aux citoyens des obligations contraires aux Droits de l’homme.

 

Ainsi lors de l’occupation nazie, les fonctionnaires de l’Etat français avaient-ils le droit -et aujourd’hui nous estimons le devoir- de ne pas appliquer les lois antisémites promulguées par Vichy, dès le 3 octobre 1940, avant toute intervention de l’occupant. Après la libération certains qui n’avaient qu’obéi à leurs supérieurs ont été sanctionnés, tandis que certains, qui avaient désobéi, ont été approuvés, à commencer par Charles de Gaulle. En Suisse, Paul Grüninger, commandant de la police du canton de St-Gall,  s’est engagé personnellement pour sauver des centaines de réfugiés juifs du renvoi en Autriche. Cette action lui a valu d’être élevé par Israël au rang de Juste parmi les nations. Démis de ses fonctions par le canton et condamné en 1940, il n’a été réhabilité pleinement qu’en 1996, bien après sa mort.

Existe-t-il un devoir analogue au sein d’une Eglise en matière de morale ou de doctrine ?  Les 95 thèses de Luther furent le prototype d’une résistance spirituelle à ce qui était une pratique de simonie, la vente d’indulgences pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre. Il en résulta un schisme, explicable par l’intrication des pouvoirs temporel et spirituel selon la règle cujus regio ejus religio.

L’actualité en donne une autre illustration, à la jonction du civil et du religieux, comme il convient dans cette tension éternelle entre deux droits. Le pape François vient de se prononcer pour une union civile entre les couples homosexuels, afin que ceux-ci bénéficient de la protection légale accordée à tous les couples dans divers domaines. Simultanément le Conseil national accepte à une majorité écrasante le projet de mariage pour tous et le droit pour les couples lesbiens au don de sperme, c’est-à-dire un droit à l’enfant. La seule nuance qui subsiste est au niveau du vocabulaire. Le pape utilise soigneusement le terme d’union civile pour éviter le mot mariage. Mais on en est au niveau de la terminologie, qui n’intéresse que des théoriciens déconnectés de la réalité vécue.

On revient de très loin et on n’en revient pas partout. Il reste 72 Etats au monde, c’est-à-dire la majorité, dans lesquels l’homosexualité est encore punie, jusqu’à la peine de mort ou la prison à perpétuité. L’homosexualité a été considérée comme un trouble mental jusqu’en 1990 par l’OMS. Le Catéchisme de l’Eglise catholique de 1992 stipulait que « les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté » car « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnes »

De même, la Manif pour tous du 13 janvier 2013 rassembla pourtant à Paris près d’un demi-million de personnes, concordant avec la condamnation de la loi autorisant le mariage entre homosexuels par les cardinaux Vingt-Trois et Barbarin. Il faut noter qu’à l’époque – il y a à peine sept ans- toutes les confessions abondèrent dans le même sens : catholique, protestante, évangélique, juive, musulmane. Une sorte d’unanimité œcuménique avait promu l’homophobie au rang d’impératif de la foi religieuse, alors qu’aujourd’hui les lois civiles la considèrent comme un délit. Le livre Sodoma de Frédéric Martel a démontré, au terme d’une enquête sur le terrain, que la Cité du Vatican comporte de nombreux prélats au niveau le plus élevés qui pratiquent l’homosexualité, tout en s’en dissimulant par la multiplication de propos homophobes.

Aujourd’hui, on aboutit à la situation paradoxale où le pape lui-même entre en résistance spirituelle à l’égard des décrets de ses prédécesseurs et en opposition frontale à son entourage. Il rejoint la société civile qui a développé des positions analogues aux siennes au sujet de l’homosexualité, de la peine de mort et du divorce. D’une certaine façon, le christianisme en tant qu’inspiration culturelle a débordé les frontières de l’institution ecclésiale, représentée par les clercs. Plutôt que de se lamenter rituellement sur une prétendue déchristianisation de l’Europe, on devrait comprendre que l’Evangile inspire désormais la société civile, en avance sur les Eglises.

Il reste que la désobéissance civile, d’inspiration religieuse ou philosophique, est une arme à brandir avec discernement. Il existe par exemple un mouvement anti masque en opposition avec les lois tentant d’enrayer l’épidémie. Cette défense très particulière de la liberté se heurte au principe général selon lequel celle de chacun s’arrête là où commence la liberté d’autrui, celle de continuer à vivre. Il y a donc matière à pesée d’intérêt. On ne voit pas qui d’autre que l’ordre judiciaire pour l’exercer. Encore les magistrats ne feront-ils rien d’autre que de se conformer à l’opinion publique, qui est en Suisse le véritable souverain.

PS. Mon dernier roman vient de sortir “La carrière de craie”, Editions l’Harmattan. Se commande dans les bonnes librairies.

 

 

 

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