Une chronique politique sans parti pris

La sobriété heureuse

 

 

Les épreuves ont un sens. Elles visent notre  véritable croissance, notre édification, notre élévation. Elles ne peuvent nous laisser indifférents, insensibles, satisfaits de la vie que nous menons. Nous sommes en train de recevoir une leçon, rude mais utile, de la part de la Nature, de cette sagesse immanente de la planète que nous habitons.

La seconde vague de la pandémie, tant redoutée, est devenue une réalité dans plusieurs pays d’Europe. Paris, Ville lumière, éteindra ses lampions à 21 heures. Nous réalisons maintenant qu’il faudra vivre avec le virus pendant au moins une année et que la crise sanitaire aggravera la crise économique. Le PIB ne va plus croître, il va stagner à un niveau bas. Consommant moins, nous produirons moins et l’emploi s’en ressentira. Le pouvoir d’achat des plus défavorisés ne se maintiendra que par l’appui des pouvoirs publics, qui accumulent une dette considérable. Un virus minuscule a ébranlé l’idéologie sur laquelle était construite l’économie mondiale et, au-delà, la société tout entière : l’abondance, le gaspillage, la prodigalité. La Nature nous rappelle que l’homme ne lui commande qu’en lui obéissant. Contraints et forcés, notre production de CO2 a diminué. Nous n’en sommes pas morts. Nous pouvons, nous devons nous y adapter.

Car, la pandémie n’est qu’une répétition générale – et en ce sens une pédagogie- de ce qui nous attend vraiment, la transition climatique, autre rappel à l’ordre de la Nature. Elle ne s’arrêtera pas comme une épidémie, mais elle s’aggravera, jour après jour. Pour lutter contre celle-ci, pour la prévenir, pour l’atténuer, il faut renoncer le plus vite possible à l’usage des combustibles fossiles et arriver à la décarbonation totale. Par un double mouvement : réduire la consommation par exemple à 2000W par habitant, l’approvisionner par des énergies renouvelables. Tel est l’objectif affiché par le Conseil fédéral suisse pour le -beaucoup trop- long terme, soit l’année 2 100.

Le total de la puissance consommée dans notre pays divisée par le nombre d’habitants est actuellement de 4 800 Watts. Celle-ci ne tient pas compte de l’énergie grise consommée en Suisse, c’est-à-dire l’énergie nécessaire à l’étranger pour produire les biens importés. Si on en tient compte, on aboutit à une Suisse à 8 300 Watts. En prenant au sérieux l’objectif de 2000 Watts, cela reviendrait à diviser par quatre la consommation actuelle. Ce n’est pas banal.

Toujours dans l’objectif affiché par le Conseil fédéral, les trois quarts de la puissance de 2000 Watts proviendraient du renouvelable, hydraulique, éolien, solaire, géothermique, biomasse et le reste d’énergies fossiles, ce qui entraînerait encore l’émission d’une tonne de CO2 par an et par habitant au lieu des 4.7 tonnes rejetées actuellement.

D’une part, la législation va introduire des mesures contraignantes (interdiction de chauffages électriques ou à mazout, promotion des voitures électriques, etc.). D’autre part, chaque consommateur peut anticiper ces décisions et puis les soutenir lorsque le législatif en débattra. Voici un demi-siècle, le pouvoir d’achat et la consommation d’énergie n’étaient que le tiers de ce qu’ils sont actuellement en Europe. Il est donc possible d’atteindre ce but. Mais ce ne sera pas facile si cela s’opère contre la volonté du peuple.

Le consommateur intervient chaque fois qu’il ouvre un interrupteur, démarre une voiture, règle le thermostat de son habitation, remplit le panier du ménage. La sauvegarde de la planète dépend d’une foule de décisions minimes, prises par tous. Il s’agît d’une véritable ascèse. Il faut renoncer à la satisfaction de paraître plus prospère que son voisin en acquérant une voiture trop puissante ou le dernier gadget électronique, en passant ses vacances aux Maldives, en suivant la mode vestimentaire, en achetant pour la seule satisfaction d’acheter, en consommant pour consommer, en gaspillant pour se prouver qu’on en a les moyens, en s’imaginant que la qualité du gaspillage est de créer des emplois.

Cela ne se résume donc pas à réduire les émissions de CO2, mais à inventer une nouvelle société, une nouvelle économie, un nouveau système technique, une nouvelle culture. Quelles seront ses composantes ? Pour surmonter la barrière représentée par l’univers de la publicité, propagande implicite pour une économie mortifère, sur quels agents peut-on compter ?

Le plus important serait sans doute la communauté scientifique qui ne cesse d’émettre des mises en garde, plus ou moins relayées par les médias. Cependant la Science est perçue comme mensongère par une fraction de l’opinion publique. L’ignorance est prônée : la compétence pointue sur un sujet précis entrainerait l’incompétence sur tout le reste.  Selon l’image que s’en fait le peuple, un savant est un grand distrait. Il devrait s’abstenir d’intervenir dans un débat politique.

Dans l’Histoire les révolutions sociétales ont souvent profité de deux autres agents, du reste étroitement liés, la culture et la religion, qui s’adressent à l’affectivité plutôt qu’à la raison. Mais une vaste sous-culture alimente le marché mondial à base de séries télévisées débiles, de jeux électroniques infantiles, de musiques médiocres, de modes grossières, de nourritures frelatées, pour ne pas parler de l’anti-culture de la pornographie, des jeux de hasard, du trafic de drogue et du tourisme de masse.

Cette débauche draine des capitaux importants, qui manquent pour la création artistique authentique. On souhaite une culture mondialisée, qui s’incarnerait dans des œuvres de grande valeur. Mais les gouvernements nationaux sont impuissants face à Internet, vaste marché culturel sur lequel se développe certes un échange authentique, mais aussi une contre-culture basée sur l’exploitation de la crédulité, de la violence et du mercantilisme.

Il en résulte que notre survie mentale, qui se nourrit de culture, dépend dans une large mesure du passé. Les musées de peintures des siècles antérieurs sont saturés de visiteurs. Le répertoire des concerts symphoniques s’arrête en 1950 parce que les compositeurs contemporains font fuir le public. On n’a jamais imprimé autant de livres, mais les chefs d’œuvre sont rares. Depuis un siècle, nous n’avons rien produit qui se compare à la chapelle Sixtine, à la Passion selon Saint-Mathieu ou à la cathédrale de Chartres. La culture authentique est devenue une ressource en voie de tarissement, tout aussi non renouvelable que le pétrole.

Il faut donc inventer une nouvelle culture dont on aperçoit les prémices : elle favorisera la sobriété heureuse qui est le contraire de la pénurie infligée. Il faut se persuader que le but de l’existence est de se sentir parfaitement bien, en évitant de s’imposer des objectifs de consommation démesurés. Il faut sortir de la contre-culture représentée par la publicité, par la mode, par les revues sur papier glacé, par la glorification des « peoples », par des séries télévisées. Apprendre à se satisfaire de peu, puisqu’un jour on ne pourra plus produire que ce peu et le distribuer à tous, s’il est honnêtement partagé.

 

 

 

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