Une chronique politique sans parti pris

Taxer n’est pas économiser

 

Le parlement fédéral vient d’accepter une loi sur le CO2 telle que les inconvénients de la transition climatique affecteront surtout les moins favorisés. La sauvegarde de l’environnement et la justice sociale sont deux objectifs qui ne coïncident pas spontanément. L’exemple historique le plus récent est celui des gilets jaunes. Dans la France de 2018, ce mouvement a explosé en réaction à une augmentation des taxes sur l’essence, qui était programmée en vue d’en diminuer la consommation selon la seule logique de la protection de l’environnement. Cette initiative négligeait le fait évident que, pour beaucoup de travailleurs, la voiture constitue le seul moyen d’accéder à leur emploi et qu’ils n’ont pas la possibilité de supporter des taxes accrues avec de faibles salaires.  Cette prise de conscience élémentaire se trouvait hors de portée des fonctionnaires et des parlementaires.

Et cependant la transition climatique tout comme l’épidémie de coronavirus font partie du mécanisme le plus élémentaire de la Nature. Toute modification de l’environnement agit comme un filtre. Elle avantage les plus évolués pour qu’ils survivent. C’est conforme à la cruelle logique de l’évolution selon Darwin. L’épidémie agit selon le même mécanisme en triant entre ceux qui peuvent se faire soigner et les autres.

Une politique intelligente devrait donc prendre en compte deux objectifs difficilement conciliables : sauver la planète ; protéger les populations défavorisées. Dans l’optique de l’évolution biologique naturelle, elles seraient éliminées. Mais l’évolution spirituelle de l’espèce humaine exige peut-être de dépasser cette logique. Dans quelle mesure, avec quels moyens, selon quels critères ? Personne n’y a réfléchi sérieusement à Berne.

Le Conseil national a accepté la taxe incitative de 30 à 120 francs sur les billets d’avion. Le prix du litre d’essence renchérira de 10 centimes au maximum jusqu’en 2024 et 12 centimes au maximum à partir de 2025. La taxe CO2 sur le mazout, actuellement plafonnée à 120 francs par tonnes de C02, sera relevée jusqu’à 210 francs. La production de CO2 devrait diminuer de 50% en 2030. La part des réductions à réaliser en Suisse sera de 75%. Le quart restant sera formellement couvert par l’achat de droits à polluer sur le marché international.

La loi sur le CO2  envisage comme moyen essentiel le renchérissement de certaines prestations : taxes sur les combustibles et l’essence, taxe sur les billets d’avion. Ces taxes supplémentaires sont négligeables pour ceux qui en ont les moyens et qui ne changeront pas leur comportement. Mais elles pèseront tellement lourd sur ceux qui n’en disposent pas qu’ils devront renoncer à certaines prestations. Les sauts de puce pour shopping d’une ville européenne à l’autre cesseront d’être massifs si les billets valent plus que quelques dizaines de francs. Le voyage en avion redeviendra ainsi ce qu’il fut : une prestation de luxe réservée à ceux qui font partie de la classe supérieure.

Le chauffage et les charges des locataires augmenteront. Les trajets en voiture pour aller au travail mangeront une partie des salaires les plus bas, pour des travailleurs qui ne peuvent pas faire du télétravail. Il y aura peut-être des mécanismes de compensation, mais ils n’intéresseront que quelques défavorisés. Cette loi prend en otage la classe moyenne, celle qui paie des impôts et qui n’est pas subventionnée sous une forme quelconque, soit à peu près le tiers moyen de la population.

Est-ce que la production de CO2 diminuera pour autant ? Personne ne peut prévoir quoi que ce soit, face à l’élévation de la température dont ne connaissons pas l’évolution future et à un système économique que personne ne comprend plus. Car ceux qui polluent le plus, qui ont de grosses voitures, qui voyagent beaucoup en avion, qui occupent de grands logements, ne seront pas vraiment incités à diminuer leur consommation. Cette loi favorable aux plus gros pollueurs se conforme aux préjugés de l’assemblée parlementaire et des milieux d’affaire, à savoir que la transition climatique n’est pas un sujet sérieux. Trois thèses contradictoires sont invoquées dans le débat par l’extrême droite : soit elle n’existe pas, soit qu’elle ne serait pas due aux gaz à effet de serre, soit parce qu’il n’y a rien à faire.

Car, il demeure des fractions de l’opinion publique et des décideurs, qui ne sont convaincus ni de la transition climatique, ni de l’épidémie de coronavirus ou qui prétendent ne pas l’être. C’est une application de la règle éternelle : les hommes ne veulent pas savoir que leur civilisation est mortelle et encore moins qu’ils organisent son suicide. De même, la méditation sur sa propre mort ne constitue pas l’activité favorite de la plupart des individus.

La loi sur le CO2 sera probablement soumise à vote populaire, qui se déroulera en toute méconnaissance de cause : qui lira une loi en 87 articles s’étalant sur 39 pages?  Elle risque de fédérer dans une alliance perverse la droite qui trouve que l’on en fait trop et la gauche que l’on n’en fait pas assez. Cette double opposition prouve que la loi est la moins mauvaise que l’on puisse promulguer. Non pas au sens où elle serait en quelque mesure efficace au point de vraiment réduire l’empreinte CO2 de moitié en 2030. On n’en sait rien mais on peut en douter. Cette loi est la seule que nos institutions puissent élaborer dans un contexte de confusion mentale. Elle privilégie l’incitation à la contrainte, elle pèsera plus sur les pauvres que sur les riches.

La raison indique que le peuple fait mieux de la voter, car si elle était refusée, la Suisse perdrait la face. Mieux vaut un tiens que deux tu l’auras. Si un petit pays ne donnait pas l’exemple aux grands, les véritables pollueurs, qui le donnera ?

 

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