Cette étrange épidémie politique et sociale se répand entre les nations. Elle est résumée par l’homme le plus puissant du monde dans une formule qui dit tout : Make America great again ». L’inventeur en fut Reagan, le diffuseur en est Trump. Cela veut tout dire et n’importe quoi.
Un patriote peut la comprendre comme une juste incitation à travailler au succès de son pays : la paix entre les nations (pas de guerre), la sécurité sociale (moins d’inégalités), la formation pour tous (gratuite et obligatoire), le souci de la santé (une assurance même les plus démunis), une longue espérance de vie comme résultat, la parité homme femme dans les entreprises et en politique, la tolérance religieuse, le refus du racisme, le respect des minorités. Ce sont ces marqueurs qui mesurent la véritable grandeur d’un pays. Dans une large mesure, ils caractérisent maintenant la Suisse, pays prospère, pacifique et paisible.
Mais un nationaliste peut interpréter l’inverse. Tout d’abord appuyer l’impérialisme territorial soutenu par une armée puissante, comme la conquête de la Crimée par Poutine, la contestation par Erdogan de la zone maritime grecque, le grignotage de la mer de Chine par Xi Jin Ping. Mais aussi la méfiance à l’égard des étrangers, le libéralisme illimité, le formation tertiaire payante, l’assurance santé privée, le machisme, l’antisémitisme ravalé et l’antimusulman affiché, le mépris des minorités raciales, l’homophobie.
Tous ces marqueurs ne sont pas exprimés de la même façon et avec la même virulence dans tous les pays. En revanche, deux symptômes additionnels sont révélateurs dans l’actualité : pour Trump, Bolsonaro et même un temps Johnson, il n’y a pas d’épidémie de Covid ; de même la transition climatique n’existe pas et n’est qu’un complot des universitaires.
Un marqueur paradoxal de l’incivisme est l’attaque systématique par les nationalistes des institutions nationales, dans leurs exigences démocratiques. Ainsi Alexandre Loukachenko n’a pas hésité à falsifier les dernières élections présidentielles en Biélorussie. Trump annonce que s’il perdait les élections, il les contesterait. Poutine n’hésite pas à empoisonner ses opposants et ensuite à le nier.
Sur un mode inférieur, Ueli Maurer s’est départi de la collégialité du Conseil fédéral pour soutenir l’initiative de limitation. Or la stabilité des institutions suisses repose essentiellement sur la concordance dans les exécutifs. Un Conseiller fédéral se devrait d’être le magistrat de tous et pas un patron de parti. Mais le respect des institutions passe maintenant derrière l’impératif du succès aux élections.
Il existe une unité de vue entre les populistes de tous les pays et une motivation unique à toutes ces prises de positions aveugles, à savoir le déni de réalité, la surenchère des mensonges, la systématique des mystifications. Un populiste peut et doit prétendre, à la fois comme allant de soi et contrairement à la vérité, que : les immigrants ruinent la Suisse ; il faut absolument des avions militaires ; la chasse aux espèces protégées doit être autorisée ; les loyers augmentent par la faute des étrangers ; l’islam menace la Suisse d’une guerre de religion ; l’annulation de la libre circulation ne détruira pas les relations bilatérales ; le mariage des homosexuels est contre naturel. Toutes ces affirmations fédèrent une large fraction de la population, confortée dans ses fantasmes, marottes et anxiétés.
Le but de ces campagnes n’est absolument pas le bien-être des citoyens mais l’accession au pouvoir d’une coterie. Il est donc répété le message de l’incivisme selon lequel le parlement trahit la volonté des citoyens et le Conseil fédéral est indigne de sa fonction. Les élections ne sont qu’une farce. Les initiatives ne sont jamais respectées. Les « politiciens » sont vendus aux lobbys. L’insécurité augmente. Le pays est en voie d’être ruiné. Les trains sont bondés et les routes encombrées. La Suisse est surpeuplée avec 216 habitants au km2 en comparaison des Pays-Bas, 506 habitants au km2.
L’incivisme nationaliste repose sur le fantasme d’un peuple élu. « Make America great again », « Deutschland über alles », « Rule Britannia the waves », « Tanti nemici, tanto onore », « Ce qui compte ce n’est pas le vote, mais comment on compte les votes ». La méthode du nationalisme consiste à laisser croire aux ignorants qu’ils sont les plus malins. Plus un citoyen est borné, plus l’incivisme le rend fier de lui-même.