Une chronique politique sans parti pris

Sans parti pris

 

Telle est l’étiquette de ce blog. Même si ce n’est qu’un idéal difficile à respecter, il manifeste la volonté de ne pas s’enfermer dans l’une ou l’autre idéologie.

Celle-ci est l’outil de base pour un parti ou même un régime autoritaire, qui doit fédérer le plus possible de citoyens autour d’une présumée vérité, d’autant plus inviolable qu’elle est douteuse. A titre d’exemple : « la dictature du prolétariat sauvera le monde », « les Aryens sont le peuple élu » « la main invisible du marché optimise le production » « tout ce qu’a fait la Nature est bon sauf l’homme qui la pollue », « la civilisation judéo-chrétienne est supérieure aux autres ».

On s’est battu et on est mort pour ces phrases auxquelles des foules ont cru aveuglément. Elles expriment cependant quelque chose de la réalité, mais sous une forme simpliste qui suscite tous les mensonges, contrefaçons, falsifications. Ce n’est que de la politique au niveau le plus bas, une simplification outrancière de la réalité interprétée à travers un filtre qui arrête le moucheron et laisse passer le chameau.

Plus près de nous : « une taxe qui frappe de même riches et pauvres est injuste », « les primes d’assurance maladie devraient être proportionnelle au revenu » , « les étrangers commettent plus de crimes que les Suisses » , «  les routes sont encombrées à cause des immigrés » , « les minarets menacent la sécurité du pays », « les masques ne servent à rien dans une épidémie » , « il ne sert à rien de se vacciner », etc…

 

« Sans parti pris » signifie que toutes ces affirmations massives polluent le débat politique, empêchent de réfléchir aux véritables solutions, qui ne sont pas un compromis entre les obsessions de la droite et de la gauche, mais la soumission à la réalité concrète qui est complexe et qui exige autre chose que des solutions simples. C’est-à-dire une ouverture initiale d’esprit qui accepte de considérer les choses telles qu’elles sont et non pas telles qu’on voudrait qu’elles soient. Une bonne politique s’élabore dans la réflexion et non dans le réflexe conditionné. Voici un siècle Charles Péguy l’avait bien vu dans un de ses passages les plus célèbres :

« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée. »

A titre d’exemple manifeste, le pire de nos âmes habituées consiste à regarder d’un œil rond les naufrages de réfugiés en Méditerranée ou dans la Manche, comme si c’était un spectacle de cirque où meurent des gladiateurs plus ou moins volontaires. Pour notre âme habituée, chaque pays est responsable de régir sa politique et son économie. Ceux qui échouent font le malheur et la mort de leurs citoyens. Mais c’’est en dehors de nos frontières et donc ce n’est pas notre responsabilité. Cette attitude n’est pas de la perversité, mais de l’habitude. Cela fait moins mal à l’âme.

Les institutions suisses comportent plusieurs garde-fous contre la pensée toute faite. Alors que les autres pays démocratiques se gouvernent dans l’alternance gauche-droite, un coup d’un côté, un coup de l’autre, comme le pagayeur d’un kayak qui plonge la pagaïe alternativement de chaque côté en déterminant un sillage sinueux, la Suisse se gouverne à tous les échelons dans la concordance. Des adeptes d’idéologies opposées se retrouvent dans le même exécutif et sont forcés de collaborer. Ils déterminent le sillage rectiligne d’une barque avec deux rames de part et d’autre.

Et donc le Suisse a de la peine à avoir une pensée toute faite parce qu’elle est constamment confrontée à une autre pensée toute faite. Parfois ces deux pensées se défont tout naturellement et libèrent la réflexion. Parfois elles se polluent mutuellement jusqu’à produire un monstre informe, avec une tête de droite et une queue de gauche. Ces deux cas de figure illustrent  la grandeur et la servitude du consensus recherché à tout prix.

 

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