Une chronique politique sans parti pris

Les “temps incertains” ne l’ont pas été pour tous

Alain Berset est monté au créneau pour trouver des excuses aux dernières bourdes de l’Office fédéral de la santé publique. Il est responsable des domaines suivants  : épidémies et maladies infectieuses ;drogues et prévention des toxicomanies ; sécurité des denrées alimentaire ; radioprotection et  lutte contre les nuisances sonores ; assurance maladie et accidents. Il n’a donc pas que l’épidémie en tête. Il faut en tenir compte dans l’appréciation sévère de ce qui s’est passé.

Le Conseiller fédéral a utilisé une formule bien agencée pour dédouaner l’OFSP ;  « …en des temps très incertains, il n’y a pas de certitude… » C’est une considération tout à fait fondée en général, mais tendancieuse dans la gestions de l’épidémie.

En général, il est vrai que toute politique fonctionne avec une certaine marge d’incertitude incompressible. Le CF ne peut pas prévoir la date de survenue d’une épidémie, la menace de faillite d’une entreprise importante, l’arrivée d’une sécheresse, une attaque terroriste. Ce n’est pas une officine de voyantes. Mais il peut et doit prévoir ce qu’il faut faire quand il y a épidémie, faillite, sécheresse, terrorisme : il peut et il doit disposer de systèmes d’alerte rapides et sûrs. Pour réagir correctement il a besoin de deux éléments : des certitudes et des compétences. Les certitudes s’acquièrent par de bons services de renseignement au jour le jour : les compétences par l’expérience des crises antérieures.

On n’est pas innocenté de réactions médiocres si on n’essaie pas sérieusement d’acquérir des certitudes sur la situation immédiate. Pour déclencher le confinement, le CF s’est reposé sur l’OFSP. Il y avait mieux à faire : disposer d’une filière sure de renseignement en provenance de l’Est asiatique, établir des relations plus étroites entre médecins suisses et chinois, exiger du conseiller scientifique de nos ambassades sur place  d’observer et d’alerter.

Force est de constater que les pays développés d’Asie disposaient d’informations et de compétences dont la Suisse était privée. Il suffit de mentionner le taux de mortalité par millions d’habitants. Suisse 229, Japon 8, Singapour 5, Corée du Sud 6, Malaisie 4, Hong Kong 6, Vietnam 0.1. La comparaison est encore plus écrasante si l’on se tourne vers la Chine responsable de l’origine de la pandémie qui affiche un score honorable de 59 ; mieux encore le Rwanda 0.4, malgré un système médical très modeste.  Déterminante la comparaison avec l’Autriche qui affiche 80, près de trois fois moins que la Suisse, bien que les conditions climatiques, environnementale, sociales soient les mêmes.

On peut maintenant tirer une conclusion définitive : la Suisse aurait pu ne compter que quelques dizaines de morts si les mesures adéquates avaient été prises à temps. Force est de constater qu’elles ne l’ont pas été. Affronté à une menace grave, le système politique et administratif s’est révélé inférieur à la tâche : il n’a pas d’expérience, ni de compétence dans la gestion de cette crise, mais l’Autriche était dans la même situation ; il ne disposait pas de sources de renseignements fiables et à jour. En des temps incertains, il a acquis moins de certitudes que bien d’autres pays.

Reste à évaluer le mécanisme de décision. Les USA dirigés par un incapable atteignent un taux de 492. La Belgique, sans gouvernement depuis 18 mois, est le triste champion mondial avec un taux de 850.  Souvenons-nous que le système helvétique a très bien fonctionné dans deux circonstances graves : le grounding de Swissair ; la menace de faillite de l’UBS. Pourquoi ? Parce qu’exécutif et administration disposaient d’informations rapides et sûres ; parce que la gestion d’une faillite fait partie de la compétence du système helvétique. En gestion de pandémie, le système suisse est désarmé, maladroit, lent, hésitant, contradictoire et finalement meurtrier. “D’abord les masques ne servent à rien”, “ensuite ils deviennent obligatoires”. Or, dans un service médical, que je fréquente, est affichée l’information suivante : dans une assemblée où il y a un porteur du virus, la contamination des autres est estimée à 90% si personne ne porte de masque et à 1.5% si tout le monde porte un masque. Peut-on croire que l’OFSP et le CF ignoraient cette information élémentaire quand ils déconseillaient le port du masque « qui pourrait se révéler contreproductif » ?

Il faudra donc enquêter pour déceler les erreurs commises ici afin de ne pas les répéter, mais en évitant strictement de chercher des boucs émissaires pour immuniser les institutions. Il faudra envoyer une mission scientifique en Asie de l’Est pour apprendre comment ils gèrent si bien une épidémie : il n’est pas exclu qu’elle passe par le Rwanda pour y bénéficier d’excellents conseils. Il faudra créer une instance indépendante et compétente qui procède à une veille permanente et à une alerte précoce. Il faudra aussi réfléchir à deux particularités des institutions helvétiques, à la fois précieuses mais perfectibles : le gouvernement de concordance qui est démuni de chef : le fédéralisme qui laisse des lacunes entre décisions de la Confédération et applications des Cantons. Il est aberrant que Genève ferme ses discothèques tandis que Vaud les laisse ouvertes.

Les temps ne sont « incertains » que si l’on n’essaie pas sérieusement d’acquérir toutes les certitudes qui sont disponibles.  On en arrive alors à des mesures improvisées et brouillonnes comme ce confinement destructeur de l’économie. Deux mille morts c’est trop. On sait maintenant qu’ils auraient pu être évités. Mais aussi combien de faillites d’artisans et de commerçants, combien d’emplois perdus ? A côté des vies perdues, il y a les vies gâchées.

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