Une chronique politique sans parti pris

Qu’est-ce que la souveraineté ?

 

 

Et d’abord qu’est-ce qu’un pays ? L’expression de la volonté d’un peuple qui veut vivre ensemble en affirmant sa souveraineté.  A ce point de vue, tous les pays ne se valent pas. Les uns feignent d’être l’expression de la volonté du peuple, qu’ils oppriment. D’autres sont fondés sur le vouloir de la Nation. Plus ou moins.

 

La différence entre une dictature et une démocratie est simple : en tyrannie, tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire. La citation complète de Winston Churchill avant la seconde guerre mondial  a été transmise par un commentateur et vaut son pesant d’or britannique : “En Angleterre, tout est permis, sauf ce qui est interdit. En Allemagne, tout est interdit, sauf ce qui est permis. En France, tout est permis, même ce qui est interdit. En URSS, tout est interdit, même ce qui est permis.”  En Suisse, les deux catégories ne couvrent pas tout le champ du possible : il existe une marge entre les deux où le citoyen peut se décider librement, où l’on fait appel à sa responsabilité individuelle. Au fil des décennies cette marge a tendance à s’élargir sur certains points et à se rétrécir sur d’autres. La vitesse des voitures est de plus en plus contrôlée ; les relations sexuelles entre adultes consentants deviennent totalement libres.

 

Tous les peuples ne sont pas capables de démocratie. Les Scandinaves et les Suisses sont en tête. Les Chinois et les Russes en queue : ceux-ci adorent être commandés, la liberté les gêne, elle impose de réfléchir et de choisir, elle implique la responsabilité individuelle. D’où la présidence à vie pour Poutine votée à une écrsante majorité, sans doute trafiquée.

 

Du point de vue économique, les démocraties réussissaient systématiquement mieux que les dictatures, parce que chacun s’y sentait tenu de gagner sa vie. Depuis le réveil de la Chine, il n’est plus tellement sûr que les démocraties jouissent encore de cette exclusivité. On vient à en douter. C’est dangereux. L’injonction morale de Martin Luther pèse sur notre conscience dans la belle formulation de Berthold Brecht : Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral. Certains peuples peuvent être tentés de troquer leur liberté contre une société d’abondance, de croire que c’est l’un ou l’autre.

 

Les dictatures reposent lourdement sur le nationalisme, exacerbation de la souveraineté. Le chef répète aux manants qu’il est le seul à garantir la souveraineté du pays et que la survie de la nation dépend de leur obéissance servile : « Si vous la fermez, vous aurez à manger ; ceux qui l’ouvrent mourrons de faim dans un camp. »

 

Souveraine à l’interne sur les esprits, la dictature l’est aussi dans les relations internationales. Elle ne plie que devant la force. Les traités sont des chiffons de papier, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, les droits de l’homme sont une horreur. La souveraineté d’une démocratie parait moins affirmée. Le gouvernement est asservi à la volonté populaire, qui n’est pas toujours la plus éclairée.

 

La souveraineté de la Suisse se décline dans deux propositions : les Suisses sont souverains chez eux ; ils s’abstiennent de toute interférence avec la souveraineté des autres. Enfin, à peu près. C’est un idéal qui souffre certaines entorses.

 

Car, la pandémie a mis à mal cette position. Il n’est pas possible de la maîtriser si le virus circule librement ailleurs, sauf à placer des barbelés sur tous les accès au pays. Et après le virus viendra de toute façon la transition climatique. Impossible de la gérer sur un territoire restreint. C’est vraiment une cause planétaire. Si la Chine et les Etats-Unis continuent à gaspiller, à quoi sert-il que les Suisses se restreignent ? Bonne excuse pour ne rien faire.

 

Cependant la pandémie a crûment révélé une faille bien cachée de la souveraineté : la pénurie en Suisse d’équipement médical, masques, surblouses, respirateurs, médicaments. Cette dernière pénurie est paradoxale dans un pays réputé pour ses firmes pharmaceutiques. La souveraineté sanitaire du pays fut délibérément sacrifiée aux impératifs financiers, sans que personne en soit responsable, sinon les automatismes du marché. Si cela coûte moins cher de fabriquer des molécules de base en Chine, on cède à cette tentation. Si les masques chinois coûtent moins cher que ceux fabriqués en Suisse ou même en Europe, on leur concède ce marché.

 

Cela a suscité la lamentable comédie des masques. Daniel Koch affirmait froidement qu’ils ne servaient à rien, pour dissimuler le fait que les stocks prévus par la loi n’avaient pas été constitués. La Confédération s’était déchargée de ce soin sur les cantons qui l’avaient refilé aux hôpitaux, qui n’avaient rien fait. En fédéralisme mal compris, la responsabilité s’était diluée jusqu’à ne plus être celle de personne. Et le Conseiller fédéral Alain Berset fut obligé de répéter le mensonge de Koch, en écornant de ce fait la crédibilité du pouvoir. Trois mois plus tard, aujourd’hui même cela qui ne servait à rien ou était même nuisible devient subitement indispensable et obligatoire dans les transports publics et les commerces. Le bon sens l’indiquait depuis toujours.

 

Après cette leçon payée par des morts (combien ?), la souveraineté de la Suisse signifie d’être toujours fournie en produits de première nécessité, de ne pas se reposer sur des fournisseurs étrangers, surtout d’autres continents. La souveraineté, c’est d’abord produire sur le sol national tout ce dont on a un besoin pressant. Pas les bananes et les poissons de mer. Mais à commencer par l’alimentation dont nous ne produisons que la moitié : existe-t-il un plan B qui permettrait, en cas de catastrophe climatique subite, de produire en Suisse plus de céréales et moins de viande, d’irriguer les champs en cas de sécheresse ? Si l’extraction de pétrole doit être réduite ou supprimée devant une urgence climatique, comment satisfaire nos besoins en énergie ? Ne serait-il pas grand temps d’installer des cellules photovoltaïques, des éoliennes, des pompes à chaleur avant d’y être obligés dans l’urgence ?

 

Une souveraineté réaliste se décline donc selon la formulation de Berthold Brecht : d’abord assurer les besoins vitaux, ensuite agiter le drapeau.  Quelle armée pour quelles missions : des avions, des chars, des canons ?

Quelle est la plus grande menace : une invasion du territoire ou de nos systèmes informatiques ? Quelle agriculture pour quel horizon : des vaches ou du blé ? Quelle médecine pour quels patients et à quel coût ? Quelle relation internationale pour quelle souveraineté ?

 

A ces questions, qui n’ont pas de réponses simples, il y a surabondance de réponses simplistes. Celles de droite comme celles de gauche.

 

Au contraire, il faudrait prospecter l’avenir réel, celui qui risque de nous tomber dessus, pas celui que nous rêvons. Il faut écouter soigneusement les experts et cependant discerner quand ils se trompent. Celui qui en est capable est un véritable gouvernant, protégeant la véritable souveraineté. Cela ne fut pas le cas pour l’épidémie, cela le sera-t-il pour la transition climatique ?

 

 

 

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