Une chronique politique sans parti pris

Le défi de la Confédération européenne

 

Un pas décisif va possiblement être franchi dans l’accession de l’UE au stade de Confédération. Elle va émettre un emprunt solidaire de tous les pays. Concrètement, les riches du Nord vont aider les pauvres du Sud à surmonter l’impasse budgétaire dans laquelle ils se débattent, avec moins de ressources fiscales, davantage de charges et le fardeau d’une dette antérieure déjà trop lourde. Quelqu’un en Allemagne a compris que la ruine de l’Italie et de l’Espagne serait nuisible pour ses exportations. Ce quelqu’un est sans doute, à elle toute seule, Angela Merkel.

 

Pourquoi elle ? Pour plusieurs raisons dont les deux principales sont sa formation de physicienne, qui la prémunit contre les idéologies, et son père pasteur, qui lui a inculqué par l’exemple des réflexes de chrétienne. En un mot, pour elle, l’intérêt et le devoir de l’Allemagne coïncidaient. C’est plus souvent le cas qu’on ne le croit. La charité est réaliste, car elle promeut la vie en commun plutôt que la guerre.

 

Une fois de plus, l’Europe avancera de la sorte grâce à un défi surmonté. D’ailleurs, ses institutions ne sont nées que du cumul des réponses à toutes les crises successives. La pandémie enseigna à tout le monde que le salut se trouve dans la solidarité. C’est la seule façon de partager les ressources vitales en cas de nécessité : les médicaments, les protections, les lits disponibles dans les hôpitaux. Des patients alsaciens ont été admis en urgence par la Suisse, le Luxembourg et l’Allemagne. Ce n’était pas seulement de la charité, car il fallait éteindre le plus vite possible le foyer alsacien pour parer le risque de contamination à travers des frontières, qui sont toujours un peu poreuses.

 

Dans de telles circonstances, un pays doit d’abord compter sur ses propres ressources et puis, très tôt, sur les pays avoisinants. Tel est le rapport inévitable et nécessaire entre la Suisse et l’UE.  Celle-ci constitue un marché de 500 millions de consommateurs, une dimension juste après la Chine et l’Inde, bien avant les Etats-Unis. Qu’il s’agisse d’économie ou de santé, cette taille est un atout important. Huit millions d’habitants peuvent envisager l’autonomie, pas l’autarcie. Mais celle-ci est à la mesure d’un continent, qui ne peut pas se reposer sur la bienveillance de la Chine ou des Etats-Unis.

 

La Confédération helvétique est née elle aussi des épreuves qu’elle a surmontées. Il y a fallu sept siècles et ce n’est pas terminé. Car l’épreuve de la pandémie et la crise économique postérieure nous enseignent maintenant notre solidarité continentale. Nous ne sommes pas une île au milieu du Pacifique, nous sommes entourés de terres. Dès lors, les cantons les plus touchés ont forcément subi la proximité naturelle de la France et de l’Italie. Comme une partie importante du personnel médical était formée de frontaliers, il était impossible de clore hermétiquement les frontières.

 

Quoiqu’en pense la majorité des citoyens, le destin de la Suisse est lié dans une certaine mesure à celui de l’Europe. Le désordre du continent serait contagieux. Si l’UE éclatait sous la pression de la double crise, la Suisse en pâtirait. C’est cela qu’Angela Merkel a compris : son action doit nous inspirer. L’égoïsme national n’est pas une vertu, il n’est pas réaliste, il joue sur la peur qui est si mauvaise conseillère.

 

Or, si pour son salut l’Europe doit évoluer d’alliance économique à Confédération, encore faut-il qu’elle dispose d’un modèle. La Suisse le représente. Mais la Confédération helvétique n’est pas faite de quatre nations délimitées par leurs langues. Elle est bâtie sur des cantons, bien distincts, aptes à agir au plus près des intérêts et des sentiments de leurs citoyens réunis en 26 peuples.

 

De même, l’Europe ne peut se construire sur les Etats-nations existants, bricolés au gré des guerres séculaires. Il existe un peuple catalan, écossais, flamand, basque, corse, lombard, bavarois. Même la France, le plus centralisé des pays européens, a commencé à le comprendre sous le choc de la pandémie. Les régions et les villes se sont départies d’une obéissance rigide à Paris. Dans l’urgence, le centre a cédé. Parfois en d’absurdes combats d’arrière-gardes, comme l’interdiction faite aux maires d’imposer le port du masque.

 

Le fédéralisme suisse construit sur une expérience séculaire, est subtil. Il ne peut ni s’enseigner, ni s’imposer mais se vivre et s’expérimenter. Ne nous demandons pas ce que l’UE peut faire pour nous car nous pouvons faire beaucoup pour elles. C’est notre intérêt et aussi notre devoir bien compris. A titre de préambules à cette action si nécessaire, ne serait-il pas prophétique que la Suisse garantisse à titre subsidiaire ce grand emprunt qui va fonder la solidarité européenne ? La générosité bénévole des riches constitue un investissement à long terme qui rapporte plus qu’il ne coûte, à savoir la bonne réputation.

 

 

 

 

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