Une chronique politique sans parti pris

Un triste palmarès

Quel que soit le point de vue, tous les pays sont égaux en droit, mais en fait certains sont plus égaux que d’autres : ils ont par exemple accès à l’arme nucléaire qu’ils interdisent aux petits. Car tous ne sont pas aussi riches, bien gouvernés, et surtout dans les circonstances actuelles convenablement soignés.

On a commencé à publier le sinistre palmarès de l’épidémie. Il n’est encore que provisoire. On fera les comptes définitifs à la fin, mais on peut déjà discerner certaines tendances. Face à une menace planétaire, comment réagissent les institutions qui ne sont pas toutes identiques ? Comment se sont-elles prémunies contre une pandémie ? Comment le système médical a-t-il pu gérer le défi ? Certaines réussissent mieux que d’autres à protéger leurs citoyens, ce qui est après tout leur devoir le plus élémentaire. Car que vaut un pays qui laisse mourir ses habitants par incompétence et imprévoyance ?

Si l’on se cantonne aux cas de coronavirus en nombre absolu, les Etats-Unis l’emportent haut la main avec 728 293 cas, largement devant l’Espagne (191 726), l’Italie (175 925), puis la France, l’Allemagne, l’Angleterre. Bien entendu cette comparaison est faussée, car certains pays sont plus peuplés que d’autres. Il faut plutôt considérer le taux, c’est-à-dire le nombre de cas par million d’habitants et là c’est le Luxembourg qui est en tête avec 5 650, puis l’Islande avec 5 158, l’Espagne ne suit qu’avec 4 101. La Suisse a été très touchée avec un taux de 3 116, alors que la moyenne mondiale est de 297.

Cette dernière comparaison mesure en fin de compte l’ampleur du défi lancé à chaque pays. Il dépend d’une part de circonstances indépendantes de tout contrôle, le nombre de voyageurs infectés, la quantité de contacts, d’autre part de la rapidité avec laquelle la fermeture des frontières a été décidée par le pouvoir. Il y a aussi l’exhaustivité des contrôles. L’Islande a fait le plus de tests et a découvert plus de cas que l’Espagne, qui en ignore sans doute beaucoup.

Confronté à un afflux de cas, la qualité du système de soins dépend d’abord de l’investissement budgétaire, bien avant le dévouement et la compétence du personnel qui est universel. Sans masques, respirateurs, blouses, la médecine est démunie Le critère plus global est le nombre de morts par million d’habitants. La Belgique avec 471 morts par million d’habitants est championne de ce décompte douloureux, bien plus que l’Italie (384) et l’Espagne (429). La Suisse a un rang apparemment honorable en comparaison avec 158 morts, mais qui se situe tout de même bien au-dessus de la moyenne de tous les pays qui n’est qu’à 20. Pour nos voisins, l’Allemagne est à 53 et l’Autriche est à 49. Pourquoi avons-nous moins bien réussi que ceux-ci ? Cela vaudra la peine de le découvrir. Pour ne pas parler du Japon avec un taux de 2, de la Corée du Sud avec 5. Et aussi de Taïwan avec 6 morts et à peine 398 cas.

Le taux de mortalité du Covid-19 est plus élevé en Suisse romande et au Tessin qu’en Suisse alémanique. Au Tessin il est le plus élevé, dû à la proximité avec la Lombardie et au libre passage des travailleurs frontaliers. En Suisse romande il est quatre fois plus élevé qu’outre-Sarine. Le facteur temps a joué un rôle majeur dans cette évolution. Au Tessin et en Suisse romande, l’épidémie a commencé plus tôt. La Suisse alémanique a donc bénéficié d’un avantage. Les mesures de lutte contre l’épidémie appliquée avant le pic des contagions ont permis d’y éviter des dommages plus importants.
Dans cette comparaison, on a négligé la Chine et quelques autres dictatures qui ont sans doute triché dans la communication de leurs statistiques selon cette bien mauvaise habitude qui a fait de Wuhan le foyer initial de l’épidémie. Il est frappant de constater que les pays de l’hémisphère Sud annoncent bien moins de cas et de morts que l’Europe et les Etats-Unis qui sont devenus le foyer principal de l’épidémie. Il y a peut-être un facteur saisonnier avantageant les pays qui sont actuellement en été.

Ces statistiques froides et insensibles ne consoleront pas les familles des défunts, mais elles enseignent les bonnes pratiques en comparant des situations radicalement différentes. Le modèle à suivre est celui de Taïwan, pays maudit par la communauté internationale puisqu’il est exclu de l’ONU et que la Suisse ne le reconnait pas. Il souffre en cela de la vindicte de la Chine devant laquelle les autres pays s’inclinent, en fonction du seul intérêt économique. En dépit de sa situation géographique proche de la Chine, Taïwan a réussi à contenir l’épidémie de Covid-19. Dès le 31 décembre 2019, Taïpei alerte l’OMS sur la possibilité d’une transmission interhumaine du nouveau coronavirus. Et ce n’est qu’en février, que l’Organisation mondiale de la santé s’est finalement décidée à employer le terme de « pandémie ». Six semaines de retard qui vont peser lourd dans les pays qui s’y fient.

Instruites par l’épidémie de SRAS en 2003, les autorités taïwanaises ont pris tout de suite la menace au sérieux. Dès le premier cas le 23 janvier, Taïwan impose des restrictions à l’exportation de masques et un contrôle douanier pour les personnes ayant séjourné en Chine. Alerte aux voyageurs, traçage des personnes en contact avec des malades, confinement durant l’incubation, distribution de masques et de gel hydro alcoolique. La production de masques a été multipliée par quatre en un mois. Et le confinement strict n’a pas été imposé, car il déclenche une crise économique après la crise sanitaire. En un mot en Asie de l’Est (Japon 2 morts, Corée du Sud 5, Singapour 11 ), il n’y a pas de crise sanitaire du tout.

Si la Suisse qui se veut le prototype de pays démocratique et indépendant avait reconnu Taïwan plutôt que la dictature chinoise, il y aurait eu une ambassade à Taïpei qui aurait prévenu le Conseil fédéral dès la fin décembre 2019. Si on continue à rêver, le Conseil fédéral, averti et lucide, aurait alors adopté les mêmes mesures et la Suisse aurait forcément obtenu le même résultat. Compte tenu de notre population, trois fois plus faible qu’à Taïwan, cela aurait fait deux morts au lieu de 1368.

Puisque les épidémies vont revenir, cela vaudrait la peine d’étudier ces mesures prises par un pays qui n’existe prétendument pas et de les préparer. Après avoir reconnu ce pays et exigé qu’il soit admis à l’OMS.

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