Une chronique politique sans parti pris

Bilan d’un exercice impromptu

Il semble bien que le pire ait été évité, du moins provisoirement. Le nombre de malades hospitalisés en Vaud est largement inférieurs à ce qu’il était le 25 mars. C’est dû d’abord à la qualité du système médical, qui a si souvent été critiqué pour son coût. C’est pareil avec les assurances : on n’en admet le prix qu’en cas d’accident. Il n’y a donc pas trop de médecins en Suisse, il y en a trop peu en cas d’urgence. Le quart a été formé à l’étranger. Il est temps de supprimer le numerus clausus de nos facultés de Médecine. Si, comme elle en avait le droit, la France avait mobilisé tout son personnel médical, y compris les frontaliers travaillant dans les hôpitaux suisses, comment aurait-on accueilli les patients dans les cantons de Vaud et de Genève ? Nous avons évité cette catastrophe, en accueillant à titre de réciprocité européenne, les malades que les hôpitaux alsaciens ne pouvaient plus traiter. Comme le Luxembourg et l’Allemagne. Parce que la solidarité prime l’isolement. Parce que c’était l’évidence : Bâle est plus proche de Colmar que de Lugano.

Néanmoins, certains se permettent de critiquer le Conseil fédéral pour son inaction face à l’épidémie. Ce procès est injuste. Un véritable gouvernement aurait anticipé de longue date la survenue d’une épidémie, préparé des stocks de masques, de respirateurs, de lits de réserve ; il aurait confiné tout le monde dès la première attaque fin janvier et pas deux mois plus tard ; il aurait dirigé, non pas coordonné, l’action des cantons vaquant en ordre dispersé.

Oui, si le Conseil fédéral avait été un véritable gouvernement. Non, puisqu’il ne l’est pas, puisque que le peuple n’en veut pas. Il n’a pas de chef, pas d’équipe homogène, pas de programme et pas de majorité de soutien au parlement. On ne peut pas demander à sept personnes, élues au hasard des scrutins une par une, en fonction de critères divers et parfois contradictoires, sans compétences particulières, de constituer un gouvernement fort face à l’adversité. Ignazio Cassis ancien médecin cantonal tessinois a été tenu à l’écart des conférences de presses de quatre conseillers fédéraux, appelés seuls à prendre la parole, précisément parce qu’ils étaient incompétents en la matière. Il s’agit donc bien d’une modeste délégation parlementaire, représentant tous les partis, choisie parmi les plus consensuels. C’est idéal pour expédier les affaires courantes en ne faisant de peine à personne. Ce choix, fait voici 170 ans, a bien réussi jusqu’à présent à préserver l’unité du pays des quatre nations.

Mais notre présent n’est plus le passé. Nous vivons dans un monde dangereux dominé par trois grandes puissances, engagées dans un bras de fer, n’hésitant pas à recourir à une guerre économique sans pitié. Toujours au risque de dégénérer en conflits armés, soigneusement limités dans l’espace, en choisissant comme arènes de pauvres pays sous-développés qui ne peuvent pas se défendre. Ces puissances ont installé le règne du non-droit, agissent avec brutalité à l’égard des pays faibles, se moquent bien des Droits de l’homme. La Chine a réussi à faire oublier qu’elle est responsable de la gabegie actuelle en exhibant des transports de matériels médical, vendus au-dessus de leur prix à de petites puissances qui ont eu la faiblesse de lui confier l’essentiel de leur approvisionnement vital.

Dans ce monde de brutes, on ne doit pas attendre grand-chose d’un exécutif suisse, qui n’en est pas un, car démuni de pouvoir puisque toute loi est susceptible d’être annulée en votation populaire. La Suisse n’est pas une démocratie directe, mais une acratie, une absence de pouvoir. Celui-ci est dissous en de minuscules parcelles au point qu’en cas de malheur – et nous y sommes- il est impossible de trouver le responsable. Il n’y en a point car il faudrait trouver la personne qui a pris la mauvaise décision. Comme une personne seule ne prend jamais une décision, c’est impossible.

Quand la poussière sera retombée, on mettra certainement en activité un comité quelconque, chargé de faire toute la lumière. Il fera un acte de contrition comme la Commission Bergier, en exagérant même la responsabilité collective, sans désigner quelque responsable que ce soit. Personne n’a fait d’erreur parce que personne n’est en position d’en faire.

Dès lors, s’il faut tirer quelques leçons du malheur qui nous accable, la première serait celle-ci : dans certaines circonstances graves, il faut prendre des décisions lourdes, impopulaires et rapides. En principe, selon l’article 185 Cst., le Conseil fédéral a tous pouvoirs en cas d’urgence. En pratique, les personnes qui le composent n’ont pas été choisies pour ce cas de figure. Représentant tous les partis, elles n’ont pas les mêmes réactions face aux menaces. Il n’y pas de chef, tous sont égaux, la décision est collégiale. Des oppositions sur le fond peuvent mener, sinon à la paralysie, du moins à de funestes retards.

Ce qui vient de se passer ne mènera pas à une révision déchirante de nos institutions. Comment l’orienter du reste ? Comment se mettre d’accord puisque le dernier des citoyens aura son mot à dire ? Il n’y a pas de majorité pour soutenir fut-ce un seul article du programme nécessaire.

A savoir dans l’immédiat : la constitution de stocks sous la responsabilité clairement définie d’une instance connue, la fin du numerus clausus en Médecine, un meilleur statut pour les infirmières ; un entrainement réel de l’armée et de la protection civile pour ce genre de catastrophe plutôt qu’un improbable combat de chars ou une bataille aérienne ; plus de recherche fondamentale pour rendre la mise au point d’un vaccin plus rapide.

A plus long terme pour gérer la transition climatique qui est la vraie menace : la fin complète de l’extraction des combustibles fossiles, charbon, pétrole, gaz ; la relocalisation des productions essentielles ; un pouvoir d’achat réorienté vers la production locale non seulement d’énergie, de biens mais aussi de services ; plus d’éducation, de culture et de soins de santé ; moins de tourisme de masse, moins de résidences secondaires, moins de vacances sur les plages ou dans la montagne ; peu ou pas de publicité ; des médias orientés vers l’information, la formation, l’éducation, la culture, plutôt que le divertissement inculte ; une gérance rationnelle de la démographie nationale et une gestion humanitaire des migrations.

Plus de solidarité internationale et moins de repli. Et donc pour couronner le tout : nous mettre sous l’égide de la seule grande puissance à savoir l’UE, qui puisse tenir tête aux trois pays-voyous dominant la scène. Travailler, à titre de membre de plein droit, à transformer cette alliance informe en une grande puissance. La concevoir comme un espace économique capable de subsister en autarcie.

Personne n’en veut pour l’instant. Il faudra encore quelques épidémies, l’explosion d’une centrale nucléaire, un épisode de sécheresse, le franchissement de la frontière par des hordes de réfugiés. Les grands malheurs sont source de sagesse.

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