Une chronique politique sans parti pris

La pédagogie d’une catastrophe

La pédagogie du confinement

On a eu l’occasion d’apprendre. Pour bloquer l’épidémie, il a fallu se restreindre, vivre plus sobrement, demeurer chez soi. On a réellement décru. Ce fut possible alors que c’était inimaginable auparavant. Rien de plus pédagogique que de comparer des photos par satellite de la pollution chinoise. Par le seul effet du confinement, elle avait pratiquement disparu.
Emmanuel Macron a esquissé un programme idéal :« le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant ». C’est tellement bien dit que l’on croit que la suite, c’est-à-dire la transition climatique sera maîtrisée automatiquement par l’effet pédagogique de l’épidémie.
Or, il ne suffit pas de le souhaiter en paroles, il faut le réaliser en actes. La décroissance forcée a suscité le pires inquiétudes. La décroissance volontaire signifierait une mutation culturelle beaucoup trop radicale pour un pouvoir faible et des citoyens complices. A savoir : la fin complète de l’extraction des combustibles fossiles, charbon, pétrole, gaz ; l’abandon de la délocalisation des productions essentielles ; un pouvoir d’achat réorienté vers la production locale non seulement de biens mais aussi de services ; plus d’éducation, de culture et de soins de santé ; plus de recherche fondamentale pour être armé en cas d’imprévu ; moins de tourisme de masse, moins de résidences secondaires, moins de vacances sur les plages ou dans la montagne ; moins d’incitation par la mode à acheter et à jeter des vêtements ; peu ou pas de publicité ; des médias orientés vers l’information, la formation, l’éducation, la culture, plutôt que le divertissement inculte ; une Toile débarrassée de ses parasites ; une gérance rationnelle de la démographie nationale et une gestion humanitaire des migrations ; moins de démagogie populiste et plus de compétence en politique ; plus de solidarité internationale et moins de repli nationaliste ; un retour vers une ou plusieurs religions axée sur une foi humaniste et non sur la croyance en la magie et au merveilleux.
Quel programme et quel défi ! Rien de moins qu’un changement radical du système économique, industriel, politique, culturel, l’équivalent en sens inverse de la révolution industrielle du XIXe siècle. Non pas le retour au passé antérieur mais l’invention d’un nouveau futur.

Pédagogie du masque

Tous les peuples ne le réussiront pas de la même manière. Certains échoueront et disparaitront. Déjà, face à l’épidémie, Singapour, Taïwan, la Corée du Sud l’ont mieux gérée que l’Italie, la France ou la Grande-Bretagne, dont les décideurs sont trop accoutumés au déni arrogant de réalité et trop persuadés de leur invulnérabilité. Et l’on a vu l’incroyable : des contingents de médecins et de matériel provenant de Cuba, de Chine et de Russie et même d’Albanie au secours de l’Italie accablée. Quelle leçon des dictatures à une démocratie hésitante ! Quelle interrogation aux républiques trop sûres d’elles !

L’arme utilisée en Asie fut le masque imposé à tout le monde. Son usage est traditionnel lors des épisodes de pollution. La politesse asiatique comporte le port du masque. En revanche, dans la mentalité occidentale, le port du masque par un vendeur dans un magasin est ressenti comme une marque de méfiance pour les clients et interdit dans certains commerces.

Ce masque fut décrié par le politique en Occident, sous le prétexte trompeur qu’il ne protège pas le porteur mais seulement son entourage. En réalité parce que les pouvoirs publics n’en avaient pas prévu de stocks et qu’ils désiraient se déculpabiliser. C’est de la manipulation politique sommaire et odieuse que de prétendre que ce masque ne sert à rien. Il est totalement efficace, si tous le portent, puisque tous se protègent en protégeant les autres. Si gouverner c’est prévoir, nous ne l’avons pas été du tout. Le mensonge utilisé pour dissimuler cette faute achève de déconsidérer ceux qui le profèrent.

Le jour d’après
La transition énergétique, qui est le défi à venir, est soumise à plusieurs couples d’impératifs contradictoires, très exigeants à l’égard du pouvoir. Il faut en même temps : agir sur les prix pour réduire la consommation d’énergie, sans dégrader le pouvoir d’achat des plus démunis ; faire croitre les secteurs verts, avant de faire décroître des secteurs traditionnels, pour ne pas susciter le chômage ; agir résolument au niveau national, bien qu’un effort planétaire gouverné par une instance exécutive internationale soit indispensable ; limiter l’immigration, sans renoncer à l’accueil des réfugiés, et faire décroître pragmatiquement la population du pays. Pour atteindre en même temps ces objectifs antinomiques, il faudra beaucoup d’imagination, plus culturelle que politique, plus spirituelle que publicitaire.
Le choix est maintenant clair : faut-il entrer en décroissance, pour sauver des vies ? La réponse n’est pas évidente. Face à une crise sérieuse, il n’y a que des solutions douteuses, car il existe des problèmes insolubles par définition. Tout est donc dans le compromis, le consensus, la confiance mutuelle entre le peuple et le pouvoir.

Certes la transition climatique est la plus évidente, mais d’autres, qui en découlent, nous attendent encore plus vite : l’affaissement des pensions dans moins d’une génération ; l’immigration massive d’authentiques réfugiés impossibles à refouler sans maux de conscience ; la tentation de conflits armés ; l’exacerbation des intégrismes religieux ; le grand retour du racisme ; la tentation de l’autoritarisme. Chaque fois un défi existentiel sera proposé qui demandera une démonstration de civisme. Nous avons été placés devant une occasion de nous entraîner à surmonter les épreuves et nous n’avons pas si mal réagi. Que ferons-nous devant le défi suivant, beaucoup plus exigeant.
Camus l’avait vu dès 1942 en publiant La Peste dont on peut adapter la dernière phrase : « …le jour viendra où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillera ses rats et les enverra mourir dans une cité heureuse. » Cet « enseignement » donnera-t-il la sagesse d’émerger dans la survie de l’espèce ?

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