Une chronique politique sans parti pris

Trop de médecins?

Santésuisse a publié le communiqué dont voici des extraits

« Trop de médecins coûtent cher. L’offre excédentaire de médecins est financée par la population sous forme de primes trop élevées, et par les patients avec des traitements inutiles. D’où l’importance de trouver une solution plus efficace pour le pilotage des admissions. Le projet de loi a déjà été édulcoré par le Conseil des Etats, et c’est maintenant au tour de la commission du Conseil national de céder face à la pression des médecins. …
A l’échelle du pays, on enregistre en Suisse une très forte densité de médecins, en particulier dans les centres urbains. Les comparaisons internationales révèlent que la Suisse se situe au-dessus de la moyenne des Etats de l’OCDE pour toutes les catégories de médecins. Et comme la branche de la santé génère sa propre demande, cela a des conséquences financières pour la population : trop de médecins coûtent cher. Chaque nouveau cabinet médical coûte en moyenne un demi-million de francs par an. Les coûts de cet approvisionnement excessif et inadéquat sont principalement à la charge des payeurs de primes. »

Le message est clair : si les primes de l’assurance maladie vont encore croitre, c’est la faute à une pléthore de médecins. Ce ne sont pas les patients qui consultent parce qu’ils se sentent mal, ce sont les médecins qui leurs prescrivent des traitements alors qu’ils ne demandent rien.

Les patients estiment avoir le droit de choisir leur médecin en fonction de tous les critères imaginables, à commencer par sa réputation professionnelle et par son empathie lors des entretiens. Limiter le nombre de médecins revient à diminuer  cette liberté fondamentale du choix sur un libre marché. C’est pire qu’une médecine d’Etat à la soviétique ou à la britannique car l’instance de décision n’est plus l’Etat mais des entreprises privées, les assureurs.

Ce n’est pas la première fois que des mesures maladroites sont proposées pour réduire les coûts de la santé. Cela a commencé voici vingt ans avec le numerus clausus des facultés de médecine visant à réduire le nombre de médecins diplômés : cette mesure a tourné à la confusion de ses initiateurs puisque les jeunes Suisse, interdits d’étude, ont été remplacés par des médecins formés à l’étranger. Il n’y a donc pas eu finalement de réductions du nombre de médecins.

Sont-ils pour autant trop nombreux, comme le prétendant les partisans de leur réduction ? A en juger par le délai nécessaire pour obtenir un rendez-vous chez certains spécialistes, de trois semaines à trois mois sur la place de Lausanne, ils seraient au contraire surchargés et trop peu nombreux. Il n’y a pas trop de spécialistes et trop peu de généralistes. Ils sont peut-être mal répartis sur le territoire.

Ensuite on a proposé et mis en œuvre un moratoire sur l’ouverture de nouveaux cabinets par de jeunes médecins. Le seul résultat a été de les confiner dans les hôpitaux universitaires, où ils se sont spécialisés en créant prétendument une pénurie relative de généralistes.

Il n’y a donc pas de méthode simple et efficace pour diminuer les coûts de la santé. Toutes les interventions maladroites ont, jusqu’à présent, été à fins contraires. Quel que soit le système, il y aura toujours des malades imaginaires et des médecins complaisants : c’est inscrit dans la nature humaine, faite d’angoisses et de faiblesses. Si l’on réduisait effectivement la consommation médicale par des mesures administratives ou légales, on réduirait certes des dépenses inutiles, mais aussi d’autres indispensables. Dans un système de marché libre fondé sur la relation privilégiée entre patient et médecin, l’Etat est privé de moyens d’action et il le restera.

Le système de santé suisse est excellent en ce sens qu’il garantit une espérance de vie parmi les trois plus élevées au monde. Il n’absorbe que 12% du produit national. Ce n’est pas trop cher payé, même si c’est un luxe réservé à un pays riche. Si l’on estime qu’il y a trop de médecins, encore faudrait-il décider d’une norme objective. Il y a aussi, si l’on commence à compter, trop d’avocats, de fiduciaires, de stations de ski, de stades, de théâtres, de musées, de parcs, d’universités, d’avions, de voitures, de restaurants, d’antennes de téléphonie dont pourrait théoriquement se passer. Mais dans ces domaines, il semble qu’il n’y ait jamais assez, parce que des lobbys puissants veillent au grain.

Si les médecins étaient organisés en groupe de pression, s’il finançait de la publicité à la télévision, on se rendrait compte qu’ils sont vraiment utiles pour maintenir les gens en vie, en bonne santé et capable de travailler alors que ce n’est pas le cas des antennes de téléphonie, des stations services et des émetteurs de télévision. Le communiqué de Santésuisse répète inlassablement l’argument selon lequel un cabinet engendre un demi-million de frais. Bien sûr pour tourner il faut un chiffre d’affaire de ce niveau. Mais cela ne signifie pas que ce demi-million est jeté dans une poubelle, sans aucun résultat, comme la rédaction du communiqué le laisse entendre  Puisque la Suisse est riche, il est intelligent de dépenser dans des domaines où cela vaut la peine : la santé, la formation, les transports, le logement. Nous vivons mieux que beaucoup d’autres et surtout plus longtemps.

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