Une chronique politique sans parti pris

Le cercle vicieux des loyers abordables

Nous voterons le 9 février sur l’initiative « Davantage de logements abordables ». Elle a des chances de réussir puisque la Suisse est, très curieusement, un pays de locataires alors que dans des pays voisins, la majorité – ou une large proportion-  de ménages sont propriétaires de leur domicile. C’est la sanction d’une économie stable où le taux d’inflation fut historiquement faible. Ailleurs, la seule façon de mettre les économies d’un ménage en sécurité consistait à l’investir dans un logement. La modestie des revenus engendre des réflexes de survie ; la richesse relative de la Suisse, plus ou moins bien partagées, suscite le réflexe inverse. Ce qui n’est pas investi dans la brique l’est dans le dernier équipement de ski, des sauts de puce à Barcelone et un chalet à la montagne. On peut vivre sur un grand pied si on n’est pas strictement obligé d’économiser à tout prix, faute de quoi on se retrouve à la rue avec une pension médiocre.

De quoi s’agit-il ? De garantir que 10% des logements construits soient d’utilité publique. Dans tout le pays. Premier inconvénient. La crise des loyers abordables concerne Genève ou Lausanne, beaucoup moins à d’autres endroits. En d’autres mots la Confédération imposera une règle rigide qui fait fi de la subsidiarité cantonale. Un problème local devrait être résolu au plus proche du terrain.

Pour allumer un contrefeu, le Parlement propose 250 millions de prêts aux coopératives sur dix ans. Cette mesure est dérisoire car elle ne fournirait qu’un million par an et par canton. Si l’initiative passe, c’est 120 millions par an qu’il faudra débourser. Qui paiera ? Pas une source mystérieuse où des billets de banque seraient imprimés à gogo. Les finances publiques, c’est-à-dire l’argent des prélèvements obligatoires, taxes et impôts. En d’autres mots, l’argent payé par les locataires ne sera pas seulement le loyer, qu’ils voient, mais les taxes qu’ils ne distinguent pas. C’est une façon moins douloureuse de financer ce qui doit l’être de toute façon.

Car il n’y a pas de miracle. Construire un logement coûte un certain prix déterminé par la surface et les prestations. Se loger correctement coûte donc un certain montant qu’il faut bien payer aux entreprises du secteur. Cet investissement, privé ou public, suppose une rémunération du capital, qui sinon se tourne vers des placements plus rentables. Si ce capital n’est pas privé, il faut qu’il soit public. On en arrive de la sorte à un concept étrange, le service public du logement.

C’était la règle dans le régime communiste. L’Etat possédant tout proposait des logements étriqués et inconfortables, « gratuitement » ou à des loyers tout à fait abordables. La question soulevée par la votation du 9 février est donc insidieuse, imperceptible, dissimulée : voulons-nous d’un service public du logement puisque le marché ne réussit pas à satisfaire la demande dans les grandes agglomérations, là où dès le départ le terrain coûte déjà trop cher ?

Qu’il faille un service public pour les transports, la santé, la formation, la nécessité a fait loi. Et le résultat est en général excellent avec des déficiences locales et partielles. Jusqu’où irons-nous dans l’étatisation de l’économie ? Aussi loin que nécessaire et pour autant que cela fonctionne ? Il est clair que le loyer sur le marché est insupportable pour la classe moyenne prise en tenaille entre l’assurance-maladie, les impôts et le logement. D’où cela vient-il?

Peut-on formuler la question sous une forme qui n’est pas politiquement correcte et qui fera hurler certains : s’il y a tant de locataires et si peu de logements, ne serait-ce pas parce que la loi est trop favorable aux locataires et trop peu pour les propriétaires ? Une fois que la majorité des électeurs sont des locataires, ils influencèrent la législation en leur faveur au point que le rendement de l’immobilier chuta en dessous du niveau où cela est intéressant d’y investir. Il n’y a plus dès lors d’autre ressource que de ponctionner tous les contribuables en accroissant la charge, déjà insupportable, des prélèvements obligatoires. Cela s’appelle un cercle vicieux. Vous paierez mais sans que vous vous en rendiez compte. C’est cela que l’on appelle la politique : mentir en ayant l’air de dire la vérité.

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