Une chronique politique sans parti pris

Avant qu’il soit trop tard

En réalité le titre devrait être : il est déjà trop tard. A mesure que le temps passe, les efforts pour contenir le réchauffement climatique évoluent en se compliquant, jusqu’à devenir maintenant laborieux, voire insurmontables. Ce diagnostic est lancé par le Programme des Nations Unies pour l’environnement dans son rapport du 26 novembre. Chaque année, ce texte mesure la différence entre ce qu’il aurait fallu faire, ce qui avait été promis et ce qui a été réellement fait. En fait, nous avons perdu la décennie, qui aurait permis de maîtriser à temps et à moindre frais le problème. Il est déjà trop tard.

Les émissions de gaz à effet de serre ont atteint en 2018 un record historique de 55,3 milliards de tonnes en équivalent CO2, soit 3,2% de plus qu’en 2017. On n’est donc absolument pas sur la voie d’une réduction, bien au contraire. Il n’y a pas davantage une tendance à un plafonnement l’année suivante. Le taux de concentration du CO2 dans l’air atteint 407,8 partie par million, soit 50% de plus que les mesures d’avant la révolution industrielle datant de 1750.

Le secrétaire général de l’Organisation Météorologique Mondiale a lancé un cri d’alarme : Sans réduction rapide du CO2 et d’autres gaz à effet de serre, le changement climatique aura des impacts de plus en plus destructeurs et irréversibles sur la vie . La fenêtre d’opportunité pour l’action est presque fermée. La dernière fois que la Terre a connu une concentration comparable de CO2, c’était il y a 3 à 5 millions d’années, lorsque la température était de 2 à 3 °C plus chaude et le niveau de la mer de 10 à 20 mètres plus élevé qu’aujourd’hui. ».

Le diagramme de l’émission des gaz à effets de serre part de 30 milliards de tonnes en 1970 pour atteindre les 55,3 milliards d’aujourd’hui et se prolonger vers 60 milliards en 2030 ce qui conduira à une surchauffe de 3.5 degrés à la fin du siècle. Si les 196 pays signataires de l’accord de Paris de 2015 respectaient leurs engagements on plafonnerait à 3,2 degrés. Si l’on voulait n’atteindre que 1.5 degrés, il faudrait tout de suite diminuer les rejets de 7,6% par an. Tout de suite est irréaliste. Ce ne sera pas le cas. En novembre 2020, se tiendra une conférence mondiale pour le climat à Madrid sans que l’on puisse en espérer grand-chose. Les plus gros pollueurs, Chine, Etats-Unis ne s’engageront à rien et ceux qui s’engageront ne tiendront pas leurs engagements.

Dès lors, le nouveau parlement suisse, probablement confronté à l’ancien Conseil fédéral, devrait élaborer une double stratégie d’ensemble : d’une part ce qu’il est possible de faire durant la décennie à venir ; d’autre part un plan à long terme pour parer à l’augmentation inévitable, bien au-dessus des 1,5 degrés souhaitables.

Dans l’immédiat il faut renoncer aux mesures prévues dans la loi sur le CO2, bien trop timides par rapport à l’effort nécessaire. Ce n’est pas un bon système d’augmenter les taxes, qu’il faudra du reste compenser plus ou moins pour les catégories les plus défavorisées. Il ne suffit pas de renchérir les combustibles fossiles pour en diminuer la consommation : les riches gros pollueurs s’en moquent ; les autres ne peuvent pas les payer. Il faut plutôt travailler à remplacer cette importation de combustibles : panneaux photovoltaïques, éoliennes, isolation des immeubles, remplacement des chaudières. Ce sont de vastes secteurs d’emploi à créer, en prévoyant tout de suite la formations ou les recyclages nécessaires. Il n’est pas irréaliste du tout de rendre la Suisse indépendante en énergie, malgré le préjudice que cela créera pour tout le secteur des combustibles fossiles.

Pour le long terme, il est maintenant réaliste de préparer le pays à subir le choc d’un climat à +3 degrés. Qu’est-ce que cela signifie pour l’agriculture, pour les ressources estivales en eau après la fonte des glaciers, pour les transports sans moteurs thermiques, pour la pression migratoire ? Comment gérer cette dernière si elle se chiffre par dizaine de millions pour l’Europe ? Certainement pas en construisant un mur sur la frontière. Alors en s’entendant avec l’UE ? Bonne chance !

Et que dire et que faire de l’énergie grise incluse dans tous les produits que nous achetons au monde entier, en commençant par la Chine ? Allons-nous y renoncer, revenir à une économie de proximité en produisant nous-mêmes notre nourriture, nos vêtements, nos équipements ?

En faisant le bilan des défis à surmonter, on se rend de plus en plus compte qu’il ne s’agit pas d’un problème technique ou financier, mais bien plus d’un changement de culture : il faut passer d’une économie de prodigalité à une société de sobriété. Le rapport des Nations Unies nous donne une ou deux décennies au plus pour l’opérer. Est-ce possible ? Et surtout qui va prendre la conduite de cette opération ? Les institutions gangrenées par le populisme, les partis sans programmes, les entreprises liées à la rentabilité immédiate, les Eglises perdues de réputation ?

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