Une chronique politique sans parti pris

La difficile gérance des religions par l’Etat

La religion est bien absente de la campagne électorale et c’est un bon signe. On n’en est plus au Sonderbund de 1847, l’étrange dernière guerre de religion en Europe occidentale, qui fit tout de même une centaine de morts et qui apparaît inimaginable aujourd’hui. Car, on n’accepte plus de sacraliser le pouvoir politique en le nantissant d’une religion d’Etat, pratiquée obligatoirement par tous les citoyens, sous peine de persécution. La Confédération suisse, qui se réfère à Dieu dès le quatrième mot de sa Constitution, se passe de religion d’Etat. La Suisse moderne a très bien vécu avec deux religions chrétiennes, catholique et réformée, aussi valables l’une que l’autre.

La reconnaissance et le soutien financier aux deux confessions traditionnelles ont été délégués aux cantons en 1848. Trait de génie fédéraliste : sous-traiter un problème délicat à l’étage inférieur, tout en reconnaissant par une simple phrase de la Constitution que la Confédération prend la religion et les confessions au sérieux.

Le Conseil d’Etat vaudois a fini en 2014 par adopter le Règlement d’application de la Loi de 2007 sur la reconnaissance des communautés religieuses. Celles qui répondent à des critères fixés pourront désormais déposer une demande dans le but d’être reconnues en tant qu’institutions d’intérêt public, ce qui ne veut pas dire subsidiées. Il aura fallu sept années de réflexion depuis la loi de 2007 pour en arriver là. Il a fallu du courage au Conseil d’Etat vaudois qui n’a pas davantage reporté l’application d’une loi dument votée. Car toute décision devra passer devant le peuple après le Grand Conseil : la légitimation de l’Islam soulèvera non seulement un réflexe de crainte, mais fournira au populisme une occasion d’envenimer le débat.

 

Face à ce défi, le règlement vaudois est pourvu de toutes les cautèles imaginables. Tout d’abord, il introduit un délai de cinq ans pour l’examen du dossier par une commission avant quelque reconnaissance que ce soit. Par ailleurs, il énumère une série de critères superflus, car ils sont déjà prévus dans les lois suisses. Mais ils sont explicités, comme si quelque confession (les musulmans suisses ?) était partisane de pratiques aussi délictueuses que la polygamie, la répudiation, l’excision et les châtiments corporels. Une de ces précisions est particulièrement malvenue : la prohibition de la discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. Si le Canton prenait au sérieux cette prescription, il serait obligé de suspendre le subventionnement de l’Eglise catholique, qui prohibe l’ordination des femmes.

 

Une singularité du règlement est le critère d’acceptation, qui est fondé à la fois sur l’importance de la communauté et sur son ancienneté selon un barème alambiqué : soit trente ans d’existence et 3% de la population résidente ; soit quarante ans et seulement 1% ; soit cinquante ans et 0,3% ; soit cent ans et 0,1%. Les pourcentages numériques sont les suivants : Eglise catholique romaine 30,9 ; Eglise évangélique réformée 28,6 ; sans religion 26 ; autres communautés chrétiennes 6,1 ; Communauté musulmane 4,5 ; Communauté juive 0,4. Alors que la communauté juive est déjà reconnue, celle de l’Islam ne l’est toujours pas, bien qu’elle soit dix fois plus importante. En général, une confession traditionnelle, inadaptée à l’évolution de la société, a plus de légitimité qu’une communauté récente, dynamique et pertinente.

 

Cette procédure a naturellement suscité des inquiétudes parmi les Eglises évangéliques. Elles ne sont pas d’accord de nommer un pasteur qui revendique son homosexualité. On doute en passant que les Eglises traditionnelles, catholique et réformée, le soient davantage. Dès lors des Eglises évangéliques s’abstiendront de recourir à cette procédure, ce qui est tout à fait honnête. La question devient dès lors de savoir jusqu’où l’Etat peut intervenir dans la morale prêchée par les Eglises ou  même s’il peut tout simplement s’en occuper, hormis les cas mentionnés plus haut qui violent les lois existantes. Hors les lois qu’il promulgue, un Etat n’a rien à dire à qui que ce soit. Il ne peut condamner ou discriminer selon les préjugés d’une commission. Bref l’Etat de Vaud s’est engagé dans une impasse dont la sortie risque d’être la séparation absolue de l’Etat et des Eglise, quelque chose comme la laïcité à la française, c’est-à-dire la seule religion de l’Etat, qui devient le Veau d’Or.

 

 

 

Quitter la version mobile