C’est une question qui laisse perplexe. Le fonds de commerce de la droite est son nationalisme, sa xénophobie, son soutien de l’économie libérale, sa méfiance de l’Etat. Qu’est-ce que cela a à voir avec le déni de réalité que constitue le climato scepticisme, qui devient un peu ridicule tant les signes de la transition climatique se font visibles ? Quelle mouche pique la droite ?
D’aucuns répondront sommairement : notre droite est la plus bête du monde. En jugeant ainsi, ils s’estiment les plus intelligents. Leur condamnation n’est dès lors qu’une tautologie. Cette droite, qu’ils stigmatisent, a le seul tort de ne point penser comme eux et de se condamner par le fait même. C’est tellement primaire que cela incite à penser que la droite aurait peut-être raison et qu’un salubre scepticisme en matière de climat serait la meilleure des positions. Dans le grand débat sur le climat, comme dans toute controverse, ce qui est exagéré et insultant devient insignifiant et contreproductif.
Il faut donc chercher quelque raison raisonnable pour que la droite défende cette thèse saugrenue. Elle-même en avance trois : il n’y a pas de réchauffement climatique ; s’il y a un réchauffement, il n’est pas du fait de l’homme ; le serait-il même, qu’il ne constitue pas une catastrophe. L’argumentaire de la droite patine entre les trois positions en vue d’échapper à toute critique. Comme rien n’est sûr et que tout est vague, on peut défendre toutes les thèses car elles se valent toutes et s’annulent mutuellement. De leur côté, les prophètes de la transition climatique, arcboutés sur des faits irréfutables, paraissent en comparaison têtus, bornés et maniaques. Les spécialistes de la climatologie semblent privés de compétence face à des experts autoproclamés.
Pour sortir de cette controverse insensée, on peut se référer à la théorie mathématique des jeux. Sans la développer, on illustrera son champ d’application par un exemple simple. Si plusieurs grandes surfaces sont en concurrence sur un territoire donné, la somme de leurs chiffres d’affaires est déterminée par le nombre et le pouvoir d’achat des consommateurs. Tout ce que l’une peut gagner est déduit de ce que gagnent les autres : c’est un jeu à somme nulle. En supposant que la concurrence ne peut porter sur les prix (rabotés) ou sur la qualité (médiocre), le seul paramètre disponible est la durée d’ouverture. Lorsqu’une surface l’augmente, les autres sont obligées de suivre et, à la limite, le service devient disponible sept jours sur sept y compris la nuit. Tel est le cas aux Etats-Unis.
Si au contraire on désire protéger le personnel et prévenir une surenchère ruineuse pour les consommateurs, il faut que les pouvoirs publics interviennent et fixent des heures limites. Ce qui est coutumier en Europe. Ce qui suppose un Etat de droit et des syndicats bien présents. Ainsi, dans un jeu à somme nulle, la plus mauvaise solution finit par s’imposer, sauf si un agent extérieur intervient.
Dans le même esprit, il y a le dilemme du prisonnier qui caractérise en théorie des jeux une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où chacun choisira de trahir l’autre. Car si l’un coopère et que l’autre trahit, le coopérateur est fortement pénalisé. Si les deux joueurs trahissent, le résultat est moins favorable que si les deux avaient choisi de coopérer.
Ce schéma se transpose dans la transition climatique. Aussi longtemps qu’ils sont libres de leurs choix, les Etats refusent de réduire leur empreinte CO2, parce que leur capacité concurrentielle en souffrirait au bénéfice des autres Etats. Dès lors, tous se regardent en chiens de faïence, signent tous les traités du monde, mais se gardent de les appliquer. Et voilà pourquoi rien ne se passe.
La maîtrise du climat constitue un problème planétaire parce qu’il n’y a qu’un seul climat et une seule planète. L’incurie des uns nuit à tous, y compris au coupable. Or, l’enjeu ultime est la survie de l’espèce. A ce problème planétaire il n’existe qu’une seule solution : un exécutif planétaire doté de moyens de coercitions pour se faire obéir de tous. L’Etat-nation devient une survivance du passé.
C’est évidemment insupportable pour la droite, car cela reviendrait à liquider son fond de commerce. Puisque la solution ne lui agrée pas, elle se résigne à prétendre, à l’encontre de l’évidence, qu’il n’y a pas de problème. Aussi longtemps que les peuples pourront se leurrer sur la réalité du phénomène cette non solution sera viable. Et puis elle s’écroulera avec le même fracas que la chute du Mur de Berlin. Comme le disait déjà Lénine « les faits sont têtus ». Ce n’est pas tout à fait juste. Les faits ne peuvent être que ce qu’ils sont, mais parfois les hommes sont têtus.