Une chronique politique sans parti pris

Il faut et il suffit du courage pour surmonter un défi

 

Tous les défis sont des occasions de se surmonter. On en a de multiples témoignages avec ceux et celles sur lesquels le malheur a fondu : maladie, invalidité, accident, séparation, chômage, pauvreté. Même si le handicap n’a pas disparu, l’individu s’est renforcé. C’est pourquoi tant de Suisses quittent délibérément leur zone de confort pour s’imposer des épreuves extrêmes ; marathon, trekking, escalade, navigation. On peut supporter ou même choisir la difficulté pour en sortir grandi. On peut aussi la nier ou la fuir et subir les conséquences de cette nonchalance, lâcheté ou déficience. Le culte de l’ignorance ou de la faiblesse est mortel pour l’esprit et le corps.

Le pire des défis auquel nous sommes tous confrontés, individuellement ou collectivement, c’est celui lancé à la planète par la planète : demeurer vivable bien qu’elle supporte une espèce envahissante, turbulente, négligente et avide : la nôtre. Nous avons modifié un paramètre essentiel de la Terre et nous continuons imperturbablement, bien que les mises en garde n’aient pas manqué depuis un demi-siècle. Il existe bel et bien un défi climatique, assorti d’autres défis, comme l’extinction massive des espèces, la sixième, la première que nous ayons déclenchée et dont nous risquons de devenir les ultimes victimes.

Bien entendu le défi, comme toujours, pourrait être surmonté par une mise en œuvre intelligente de la technique : isoler les bâtiments, les couvrir de cellules solaires, puiser dans la géothermie, etc. Et la Suisse dispose surabondamment des finances pour cette entreprise. Mais la technique et la richesse ne donnent que les moyens de la politique : encore faut-il que celle-ci soit suscitée, entretenue et développée par le consensus des citoyens dans le système démocratique. Si ce n’est pas le cas, c’est le système politique lui-même qui est mis en cause.

On en a eu une illustration éclatante dans la révolte des gilets jaunes : le pouvoir technocratique français s’était imaginé dans  une paresseuse routine intellectuelle, par ignorance des désavantagés, de réduire l’empreinte carbone du pays en augmentant simplement la taxe des comburants. Il négligeait la dimension essentielle du défi : la classe défavorisée de la population est souvent obligée de se déplacer en voiture pour accéder à son lieu de travail et y collecter un maigre salaire. La politique choisie, contradictoire dans les termes, a dû capituler devant l’émeute en achetant le calme par 17 milliards d’euros, bien plus que les taxes en question. Faute d’affronter le défi dans toutes ses dimensions, le système politique s’autodétruit. A limite par la violence, s’il n’y a pas consensus.

Cet exemple démontre qu’il faut en même temps : réduire la consommation d’énergie en agissant sur les prix, sans dégrader le pouvoir d’achat des plus démunis ; faire croitre les secteurs verts, avant de faire décroître des secteurs traditionnels, pour ne pas susciter le chômage ; agir résolument au niveau national, bien qu’un effort planétaire soit indispensable. Soit trois implications du défi. Pour les prendre en compte, il faut en même temps : plus de justice sociale et pas moins ; un développement technique gouverné par l’intérêt de tous et non par le profit de certains ; plus de solidarité internationale et moins de nationalisme.

Beau programme car le défi est gigantesque : il porte sur notre civilisation, qui doit être changée en profondeur et, pour tout dire, améliorée. Le défi matériel exige une conversion morale. C’est bien son but et son utilité. Nos ancêtres ont survécu aux pires défis climatiques spontanés, des périodes glaciaires de 100 000 ans, par leur ingéniosité technique, mais aussi par leur culture et leur religion qui leur donnait le courage nécessaire. Beaucoup d’espèces humaines ont disparu, parce qu’elles n’ont pas réalisé cette révolution mentale. C’est leur élimination qui a défini le petit reste, tellement doué, que nous sommes. Laissé à lui-même, le défi climatique fonctionnera par élimination des moins aptes à sortir de leur aveuglement. C’est la règle de l’évolution qui vaut pour nous aussi.

Le véritable risque est de tourner le dos au défi tant il est ardu. L’homme le plus puissant du monde n’ose pas entreprendre des réformes politiques nécessaires et impopulaires. Il se justifie a priori en niant l’existence même du défi. Il propose une marche en avant dans l’immobilisme. Il nie la réalité brûlante sous ses yeux. La ville de Paradise était située au nord de la vallée centrale de Californie, sa population s’élevait à 26 882 habitants sur 47,3 km2. La ville fut entièrement détruite par l’incendie, dit Camp Fire, qui a débuté le jeudi 8 novembre 2018 et qui a détruit près de 620 km2 et plus de 13’500 maisons. Le président Trump a visité ce champ de ruines, exprimé sa tristesse et réitéré son refus de reconnaître que le changement de climat soit responsable de ce désastre. Il est saisi par une sorte de folie, comme tant de puissants de jadis, comme un héros de Shakespeare, comme Macbeth.

Combien n’y-a-t-il pas de Trump au petit pied dans notre entourage helvétique ? Ils voient les glaciers fondre sous leurs yeux, des trombes d’eau alterner avec des sécheresses, des canicules tuer, une gigantesque migration se préparer et ils ferment les yeux. Le Conseil national a refusé de voter la loi sur le CO2 du Conseil fédéral pourtant bien éthérée. Si l’on évoque le défi climatique dans un blog, on suscite des commentaires butés dans leur déni. Faute de courage, la réalité est remplacée par une entreprise de désinformation, dont le dernier toutes-boites de l’UDC constitue un inquiétant exemple.

Or la Suisse a démontré en maintes circonstances qu’elle était particulièrement capable de surmonter les pires défis, y compris le tout premier, celui de sa topographie montagneuse. Un pays pauvre devenu riche. A trois reprises le peuple souverain a dominé ses peurs et ses aveuglements pour échapper aux guerres franco-allemandes. Il fallut nommer un général muni des plus vastes pouvoirs, entretenir une industrie d’armement, mobiliser une armée de milice entrainée et motivée, ruser avec l’ennemi, dépenser beaucoup d’argent des contribuables. Il a fallu bien du courage mais nos ancêtres en avaient à revendre.  Et cela a payé, la Suisse n’a pas sombré dans la folie collective de l’Europe. Ce défi gigantesque, qui fut surmonté, prouve que celui qui advient peut l’être. Il faut l’envisager froidement, sans céder à une panique suscitée pour des raisons de basse politique, et décider d’agir. Il n’y a pas de problème technique, il n’y a qu’un problème politique. Il faut lui insuffler du courage. Qui connait la recette?

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