Une chronique politique sans parti pris

Un musulman est un Suisse comme un autre

Une communauté religieuse satisfaisant à certaines conditions peut être reconnue d’intérêt public par l’Etat de Vaud. Ces conditions sont sérieuses : reconnaître l’ordre juridique suisse ; respecter les droits constitutionnels; respecter la paix confessionnelle ; respecter les principes démocratiques ; observer la transparence financière ; avoir une activité cultuelle; exercer un rôle social et culturel ; s’engager en faveur de la paix sociale et religieuse ; participer au dialogue interreligieux

En plus, le nombre nécessaire d’adhérents de la communauté requérante est fixé en fonction de la durée d’établissement de la communauté selon un barème à double entrée : trente ans et 3% ; quarante ans et 1% ; cinquante ans et 0,3% ; cent ans et 0,1%. Ce règlement étrange procède-t-il d’une autre logique que de reconnaître les uns et d’exclure les autres ? La communauté anglicane exiguë peut l’être. La communauté musulmane plus nombreuse serait trop récente.

La procédure de reconnaissance de la communauté musulmane vient d’être introduite. Il lui faudra cinq ans pour aboutir et son succès est douteux dans l’état actuel de l’opinion publique. Le livre de Shafique Keshavjee « L’islam conquérant » y jouera un rôle certain. Il est édité par l’Institut pour les Questions relatives à l’Islam, d’inspiration évangélique, très préoccupé par la conquête présumée de l’Occident par l’Islam. Ce livre sera décisif dans le débat sur la reconnaissance, compte tenu de la qualité d’un auteur réputé, jouissant de l’autorité morale d’un pasteur engagé dans le dialogue interreligieux. Bien que le texte se garde de stigmatiser  les musulmans individuels, il comporte une mise en garde explicite : « …une reconnaissance politique des communautés musulmanes, sur la simple parole de leurs responsables, affirmant qu’ils se conformeront aux droits de l’homme, serait suicidaire. » L’Islam serait ainsi insoluble dans le génie helvétique.

Si, dans cinq ans, la reconnaissance de la communauté musulmane est portée devant le peuple, elle a peu de chance de réussir après une telle mise en garde. Le titre « L’islam conquérant » s’inscrit, par le choix de l’éditeur, dans la littérature de stigmatisation d’une communauté. A ce titre n’est-ce pas surtout la communauté évangélique qui viole la paix confessionnelle et qui nuit à sa propre reconnaissance ?

Le texte appartient à un genre littéraire contradictoire : le jugement porté par un croyant sur une autre religion. Cela n’a pas de sens parce que le fidèle d’une confession, croyant de bonne foi que la sienne est la seule authentique, est juge et partie. Dès lors, un chrétien peut critiquer son Eglise, mais il doit s’abstenir scrupuleusement de critiquer les autres.

Car quels arguments peut-il utiliser ? Le référence à l’Histoire ne permet pas de peser sur une balance d’apothicaire les horreurs commises par les uns et les autres. Le christianisme n’a-t-il pas été davantage conquérant que l’Islam par son gigantesque effort missionnaire des cinq derniers siècles et par la violence de la colonisation ? Si le tiers des humains sont chrétiens et un cinquième musulman, cela signifie que la conquête chrétienne a été la plus agressive.

L’autre argument est l’écriture. « L’islam conquérant » est garni de citations du Coran visant à démontrer son esprit agressif. Ces citations voisinent avec d’autres qui vont dans le sens de la tolérance. Pourquoi ces contradictions ? Parce que le Coran résulte d’une procédure de copier-coller, et que sa rédaction est la parole des disciples du Prophète collationnée à une époque violente. De même, la Bible est une compilation sur plusieurs siècles de textes contradictoires.

Dès lors il est aisé d’isoler quelques lignes pour stigmatiser les tenants de l’un ou l’autre livre. Néanmoins les chrétiens affirment qu’ils ont accompli un travail décisif d’exégèse, parce qu’ils ne lisent plus l’Ancien Testament qu’à la lumière du Nouveau. Comme les musulmans se refusent à cet effort, la compréhension actuelle de la Bible serait plus éclairée que celle du Coran. Ce n’est pas le sentiment de celui qui écoute certaines homélies à la messe du dimanche.

Le fond du débat est la communion des trois religions monothéistes. Tous leurs croyants se réunissent dans la foi au Dieu unique. A partir de l’image, forcément approximative qu’il s’en fait, aucun ne peut porter un jugement sur la foi d’un autre croyant. Il n’existe en fin de compte qu’une seule religion monothéiste déclinée en trois confessions. Celui qui porte un jugement sur l’autre, se condamne lui-même. Celui qui attise la méfiance réciproque porte aussi la culpabilité des actes criminels commis par des esprits fanatiques.

Les religions constituent de pauvres inventions humaines, certes inspirées et inspirantes, mais elles ne sont ni révélées, ni infaillibles, ni exemplaires. Fragiles et menacées, elles visent à rassurer les hommes, à exorciser la peur de la mort, à évoquer un salut, à donner du sens à la vie. En attaquer une seule, les ébranle toutes. L’incroyance croissante de nos contemporains, qui est la religion dominante, provient des querelles entre croyants.

Le véritable problème est donc bien moins la reconnaissance légale de la communauté musulmane que le risque de son refus, qui isolerait un groupe de Vaudois considérés comme des citoyens suspects.

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