La vieillesse est une maladie incurable

Interview du Dr Jérome Sobel

J’ai interviewé Jérome Sobel il y a 5 ans, en 2013.

Quelles sont les nouvelles de la Suisse ? Que pense-t-il de la situation en France ? Les réponses de notre ami…

Jérôme Sobel est assez optimiste. Il pense qu’une fois que nous aurons brisé le tabou, nous pourrons enfin parler de la mort comme d’un événement normal que l’on peut anticiper avec sérénité tant que l’on est encore lucide et capable de discernement.

Les Suisses ont brisé ce tabou et avancent à petits pas vers une plus grande auto-détermination des patients et une compréhension de plus en plus résolue de la part des médecins.

Il existe encore en Suisse des médecins qui s’opposent au suicide assisté ; mais il y en a de plus en plus qui acceptent de faire l’ordonnance pour un produit létal. L’accompagnement n’est plus un problème ni dans les hôpitaux ni dans les maisons de retraite.

En France, nous n’osons parler que de grands malades en phase terminale de maladies incurables, de « longues » maladies, et n’avons même pas la permission de les aider à mourir, à ne plus souffrir, à échapper à l’agonie et la déchéance qui précèdent toute fin. On peut les laisser mourir « sans obstination déraisonnable », dans le cas où le médecin accepte d’appliquer la loi du 22 avril 2005. On peut accélérer la survenance de leur mort en les privant de nourriture et d’hydratation. Mais on ne peut pas, lorsque la fin de vie est là, que le diagnostic de mort imminente a été posé, déclencher intentionnellement la fin d’une vie qui n’est plus de la survie, de manière humaine et rapide. Quelle hypocrisie !

Le docteur Sobel me confirme qu’un quart des personnes qui ont demandé un suicide assisté en 2013 sont des personnes atteintes des polypathologies invalidantes de la vieillesse. Des personnes arrivées au bout de leur chemin et qui ne veulent plus des souffrances du grand-âge, inapaisables.

En France, il faut vivre avec l’arthrose, il faut vivre avec la polyarthrite, il faut vivre avec l’incontinence, la surdité, la cécité. Vivre avec la volonté de ne plus vivre parce que le corps et l’esprit ne répondent plus. Ce ne sont certes pas, prises séparément, des affections graves et invalidantes. Mais ces affections sont les signes évidents et définitifs d’une vie de souffrances, de peines…

Jérôme me confirme également que les personnes qui font cette demande ne sont pas des personnes abandonnées de leurs proches. Parfois – rarement – cela peut arriver. Il y a alors une réponse psychologique, voire psychiatrique, qui est donnée à ces demandes. Dans la majorité des cas, les personnes qui font ces demandes, toujours graves, toujours murement réfléchies, sont des personnes entourées, qui aiment et sont aimées, qui ont une vie sociale riche, dévorent passionnément la vie mais ne veulent pas la subir lorsqu’elles l’ont dirigée.

En France, plutôt que d’écouter la seule personne concernée, c’est-à-dire le citoyen, le patient, le malade, la femme ou l’homme, ce sont les autres qui décident : le professeur de médecine, l’homme d’église, la famille, parfois pétrie de mauvaises intentions. Mais quelle absurdité ! Quel manque de respect ! Quelle lâcheté devant la seule certitude de notre vie qu’est notre finitude !

La médecine fait de plus en plus de progrès pour prolonger la durée de la vie. Parfois au détriment de la dignité, souvent au détriment de la liberté. Mais si on préfère la qualité de vie à la quantité de vie, on ne peut pas le dire. C’est tabou. Il faut subir ce principe : la vie serait sacrée…

L’ADMD Suisse Romande compte 18.500 membres, soit 1% de la population helvétique. 10% ont moins de 50 ans, 60% entre 50 et 75 ans et 30% plus de 75 ans.

Si 1% de la population française adhérait à notre ADMD, nous devrions avoir 650.000 adhérents.

Si nous pouvions aider et accompagner comme en Suisse, si nos compatriotes étaient plus attentifs à l’intérêt général, nous les aurions, ces 650.000 adhérents.

Mais nous n’avons pas encore brisé le tabou, voilà le grand problème. On ne dit pas la vérité aux patients atteints de maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, Charcot etc). En Suisse, on ne leur ment ni sur le déroulement de leur maladie ni sur le pronostic – toujours fatal. Lorsqu’on sait que l’on est atteint d’une d’une telle maladie, on sait qu’il y aura une porte de sortie tant que l’on sera lucide et capable de discernement. Tant que l’on sera capable de communiquer avec nos amis, de reconnaître les membres de notre famille. Et c’est le patient qui décide, et pas les médecins ni les proches. La médecine doit être au service des patients et pas le contraire. Les proches ne doivent pas faire preuve d’égoïsme et accepter le départ de ceux qu’ils aiment.

En Suisse – n’en déplaise à nos détracteurs – comme dans les pays du Benelux qui ont légalisé l’euthanasie, les critères pour accéder à une aide active à mourir sont très rigoureux : il faut une lettre manuscrite du patient qui explique sa situation et une attestation du médecin traitant. Ce médecin traitant peut aussi faire l’ordonnance lui-même pour le produit létal et, s’il le désire, accompagner son patient jusqu’à la fin. S’il ne le désire pas, ce sont les accompagnants, formés, de l’association qui prennent le relai.

La méthode suisse est humaine et respectueuse de chacun. Des malades, bien sûr, mais également des soignants.

Le docteur Sobel décrit les quatre saisons de la vie et puis, en souriant, me dit : « Lorsque l’hiver arrive et que l’on sait qu’il n’y aura plus de printemps, on n’a peut-être pas envie d’avoir trop froid. »

Certains d’entre nous veulent vivre leur hiver jusqu’au bout en ayant même très froid. C’est très respectable. Mais d’autres, entre 1 et 2% de la population, préfèrent partir avant d’être frigorifiés. C’est tout aussi respectable. Ce doit devenir une liberté. Même s’il s’agit de l’ultime.

L’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, s’il est respecté, garantit cette ultime liberté pour chacun de ses citoyens. Cependant, cette liberté ne peut être exercée sans aide.

Il existe un produit qui permet de partir en douceur et sans souffrir. Les médecins suisses peuvent le prescrire. Ils ne sont pas obligés de le faire. Ils agissent en leur âme et conscience.

A quand cette possibilité pour les médecins français ? Ce ne sera jamais une obligation pour quiconque, bien évidemment. Il faut simplement briser le tabou en France : désacraliser la vie et dédramatiser la mort. C’est ce qu’ont fait les Suisses depuis longtemps déjà.

Jacqueline Jencquel,

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