On vote sur quoi exactement ?
Selon les initiants le point de départ de l'initiative du 14 juin sur l’imposition des successions était d’assurer le financement de l’AVS. Cependant, dans le débat politique et dans la rue, la question tourne plutôt autour de la question, un brin idéologique, de faire payer les riches ainsi que des conséquences directes et surtout indirectes sur l’économie du pays.
On oublie souvent dans ce débat que la fortune (fiscale) est une notion plutôt théorique. Elle n’est pas liée à une vie dans le luxe et l’extravagance et encore moins au luxe ostentatoire. Par contre, il est légitime de se poser la question:
Quel est le mérite des héritiers ?
Le mérite d’un héritier est comparable au mérite de quelqu’un qui gagne quelques millions à la loterie. Il est tombé sur le bon numéro ! Ce n’est pas plus compliqué que cela. Il ne s’agit donc pas d’une question de justice sociale ou de justice tout court.
Bien sûr, la vie dans une belle villa au bord du lac dont on a hérité constitue un privilège qui est rarement “mérité” mais, pour citer Goethe
Was du ererbt von deinen Vätern, erwirb es, um es zu besitzen.
Pour vraiment posséder son héritage il faut encore l’acquérir et maintenir afin de pouvoir le passer à la génération suivante. Une imposition mal ficelée peut mettre en question cette tradition.
La fortune investie dans un outil de travail
Si l’héritage consiste surtout en un outil, il n’est pas difficile de comprendre que la fortune est d’une toute autre nature. Un capital investi dans une usine ne peut servir ni à mener la grande vie, ni à la spéculation boursière.
La fortune investie dans des machines avec lesquelles on produit des biens est un outil sans lequel il n’y pas de création de richesse, pas d’emplois, pas d’impôt pour financer les services fournis par l’état, y inclus l’AVS.
Soutenir l'initiative malgré les bizarreries ?
On peut sympathiser avec l’idée de base des initiants qui reconnaissent la nécessité de protéger l'outil de travail des entreprises familiales. Mais comme c’est le cas avec beaucoup de bonnes idées elles peuvent se révéler comme la source de nombreux problèmes nouveaux.
Même si l’on accepte les aberrations de l’initiative qui veut:
* imposer la masse successorale plutôt que l’héritage individuel
* imposer la valeur vénale (inconnue) plutôt que la valeur fiscale (connue)
* traiter un héritier quelconque comme ses propres enfants
* lier l’exemption des entrepreneurs à des conditions irréalistes, voire irréalisables
* imposer les donations rétroactivement
On doit la rejeter fermement car
la complexité coûteuse de l’application pratique des mesures nécessaires,
en particulier avec les exonérations pour les l’entreprises familiales est telle que les bénéfices théoriques nets de cet impôt pâlissent devant les coûts directs et indirects de la bureaucratie indispensable à sa réalisation.
Le capital trop bien rémunéré au détriment du travail
Dans un sens plus large on comprend la sympathie pour l’initiative car il est indéniable qu’à notre époque le capital est, par rapport au travail, beaucoup trop bien rémunéré. Ceci explique en bonne partie pourquoi les riches deviennent toujours plus riches et pourquoi les inégalités criantes se creusent de plus en plus.
Les top managers des grandes sociétés, sans assumer les risques qu’encourent les entrepreneurs, ainsi que, en particulier, l’industrie financière, s'enrichirent d’une manière parasitaire sur le dos du citoyen lambda. Autrement, comment les banques pourraient – elles payer des salaires et boni exorbitants et s'acquitter des dizaines de milliards d’amendes ?
Malheureusement l'initiative sur l’imposition des successions n'est certainement pas une solution à ces dysfonctionnements choquants.
On vote sur quoi exactement ?
En faisant un amalgame entre les questions posées, bon nombre de citoyens risquent de voter sans s’en rendre compte, contre leur propre intérêt et contre l’intérêt du pays.
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