Migration et intégration(s)

Je chante pour les vaches

En chantant pour des vaches assises confortablement dans les prés, savez-vous ce qu’elles ont fait ? Elles ont tendu leurs oreilles dans ma direction avec un regard des plus pénétrants. Mais la grâce d’être entendu n’est pas à confondre avec le droit d’être entendu. En effet, prévu à l’article 29 de la Constitution Suisse et commenté par la jurisprudence : « le droit d’être entendu garantit notamment au justiciable le droit de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à son détriment, d’avoir accès au dossier, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos (…) ». [1]

Sacrément vaches

Alors qu’en est-il du droit d’être entendu des migrants relatif au bien-fondé de leur venue en Suisse ? Bien entendu certains diront « La Suisse n’est pas une vache à lait pour les étrangers », tandis que d’autres répliqueront  « Les étrangers ne sont pas des vaches à lait pour la Suisse ». Sur ce, un débat  télévisé pourrait faire l’affaire, tant le débat semble cornélien. Mais si l’on se penche sur la pratique de ce droit, hors des sentiers battus de la politique, il existe des vécus dramatiques, souvent complexes et des histoires sacrément vaches

En matière d’asile, l’exercice de ce droit peut revêtir différentes formes et concerner divers aspects de procédure. Par exemple, dans le cadre de la procédure Dublin qui détermine quel est l’Etat européen compétent pour le traitement d’une demande d’asile, les requérants ont la possibilité d’indiquer les obstacles qui s’opposent à leur renvoi vers un autre pays, lorsqu’y figure la trace d’un premier passage ou du dépôt d’une demande d’asile.

Un jour, un requérant d’asile que j’avais accompagné lors de son entretien avec les autorités pour déterminer si la Suisse était compétente ou non pour l’examen de sa demande d’asile n’avait pas manqué d’humour. À la question « Existe-t-il des motifs contre un renvoi vers les Pays-Bas ? », il avait répondu « Je suis d’accord de retourner là-bas, si on m’offre un café ». Loin de cet aparté anecdotique, il y a cependant des situations où un « Non je ne retournerai pas là-bas (…) » résonne comme un écho qui se perd dans le vide. Avoir le droit d’être entendu ne garantit pas celui d’être compris. Il peut dépendre de la bienveillance de celui ou de celle qui écoute, mais aussi de la marge de manœuvre circonscrite par le droit ou l’action politique. En Grèce, par exemple, des rapports internationaux continuent de faire état de nombreuses situations de non-respect des droits fondamentaux et de « défaillances systémiques » dans la procédure d’asile. La situation est, par ailleurs, d’autant plus préoccupante pour les personnes vulnérables dont font parties les femmes. À ce sujet, j’ai pu entendre le témoignage d’une jeune femme qui racontait avoir été constamment sur le qui-vive dans les camps de réfugiés, quotidiennement à la merci des agressions sexuelles. Son histoire raconte malheureusement l’histoire de plein d’autres femmes.

Depuis 2011, suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la Suisse ne renvoie plus de requérants vers ce pays, excepté s’ils sont bénéficiaires d’une protection internationale. Or, il s’avère que ceux-ci se retrouvent souvent dans des conditions dramatiques, voire pires qu’avant l’octroi d’une protection. Dans l’un de ses articles, Minos Mouzourakis décrit cette situation dans le contexte actuel : « Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, des centaines de bénéficiaires d’une protection se sont retrouvés sans abri à Athènes. » [2]

La justice allemande, qui n’a pas fait la sourde oreille, a décidé en janvier de ne plus renvoyer en Grèce des personnes ayant obtenu une protection internationale [3]. Alors à quand ce genre de décision aussi en Suisse ?

 

Bref, si je ne suis pas entendue, je peux quand même continuer à chanter pour les vaches. Et si ça vous tente aussi alors chantez, vous verrez, votre fondue aura bien meilleur goût !

 

Notes de bas de page et références : 

[1]ATF 142 III 48 4.1.1 p. 52 s. et les références

[2] Article publié sur le site forumréfugiés ” la protection des réfugiés en Grèce : un double discours”

[3] Article paru dans le journal 24 heures “La justice allemande interdit les renvois vers la Grèce”

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