Clap de fin pour Ignazio Cassis?

“Des cubes rouges symbolisant les accords bilatéraux déjà en vigueur. Un lingot vert pour une future entente sur les services financiers, et même un cylindre orange pour participer à un accord sur les tarifs de roaming qui irritent tant les touristes suisses voyageant en Europe. Enfin, un ballon bleu en guise d’accord institutionnel chapeautant le tout. Jamais l’édifice de la voie bilatérale entre la Suisse et l’UE tel que l’a esquissé Ignazio Cassis n’avait paru si bancal. Ce qui devait arriver est arrivé: la sphère bleue est tombée par terre. Un signe prémonitoire?”

C’est ainsi que Michel Guillaume, l’excellent et on ne peut plus clairvoyant journaliste du journal Le Temps, qui avait fait le déplacement de Lugano, avait rapporté, le 1er février 2018, le show psychédélique qu’Ignazio Cassis avait présenté aux représentants des médias et aux étudiants de l’Université de la Suisse italienne, pour célébrer ses 100 premiers jours à la tête des affaires étrangères (DFAE). Avec des allures de modérateur de talkshows à l’américaine, le nouveau ministre entendait démontrer sa maîtrise du dossier majeur de la politique étrangère suisse.

Trois ans plus tard, patatras, ce n’est pas seulement la “sphère bleue”, sensée illustrer l’Accord-cadre, appelé à devenir la clef de voûte de nos relations avec l’Union européenne pour les générations à venir, qui s’écrase mais l’accord lui-même. Aujourd’hui, seul un miracle pourrait le ramener du coma profond dans lequel l’a plongé le nouveau ministre, bien aidé par le Conseil fédéral. Inutile de revenir sur ses faux pas, ses slaloms, ses provocations, qui ont fini pas lasser ses plus fervents partisans.

La parodie des trois dernières années parait d’ailleurs tellement surjouée, qu’il semble aux yeux de certains observateurs qu’il n’en aurait pas été autrement si le gouvernement avait souhaité la débâcle actuelle. Après s’être caché derrière “l’apprenti” du DFAE, le Conseil fédéral invoque aujourd’hui ce qu’il présente comme une “nouvelle intransigeance inacceptable” de l’UE, alors que tout est connu et ficelé depuis belle lurette.

Inutile donc aussi de revenir sur cet amateurisme mâtiné de mauvaise foi sinon pour questionner la réelle volonté d’aboutir  du Conseil fédéral. Qu’Ignazio Cassis n’ait pas été bon est un euphémisme, mais il aurait été possible de le recadrer voire de l’écarter. Que l’on ait attendu le récent voyage à Bruxelles du Président de la Confédération, Guy Parmelin, aux allures de croque-mort, pour le faire en dit long sur la méfiance que le collège ressent à son égard.

A-t-on eu peur que le collègue du DFAE brouille tellement le message, comme à son habitude, que la présidente de la Commission n’aurait pas compris à quel point la Suisse ne veut pas de cet accord? Les historiens se pencheront sur la séquence et porteront leurs jugements. La non-présence aux côtés du Président de son ministre des affaires étrangères ne fut qu’un dernier pied de nez de la petite histoire à la grande: il aurait été incongru qu’Ignazio Cassis effectue son premier voyage officiel depuis son élection (!) dans la capitale européenne pour mettre potentiellement le dernier clou sur le cercueil de l’Accord-cadre!   

Pour l’heure, la presse dominicale ne mâche pas ses mots. Elle s’est faite l’écho de propos dénués de toute ambiguïté de la part de représentants des mondes politique et économique sur la nécessité de retirer de la compétence d’Ignazio Cassis les négociations avec l’UE. Largement responsable du présent champ de ruines, il fait clairement partie du problème et pas de la solution. Sa formule désormais historique à l’égard de l’UNRWA s’applique parfaitement à son rôle à la tête du DFAE!

Il revient bien entendu au Conseil fédéral d’imaginer des solutions créatives pour occuper le collègue que le Parlement leur a envoyé. Lors de sa réélection, préoccupé par la maigreur de son bilan pour ne pas mentionner ses gaffes, j’avais émis ici-même des craintes quant à ses compétences en matière de politique étrangère. Je me souviens m’en être ouvert à des membres de son parti, le PLR. Leur réponse fut claire: “les bêtises qu’il commet au Moyen-Orient ou en Afrique n’ont aucune importance pour nous. La seule chose qu’on lui demande est de mettre sous toit l’Accord-cadre avec l’UE”! Les choses ne pourraient être plus claires aujourd’hui.

J’aurais tellement souhaité me tromper sur ses qualités et ses défauts. Nous ne sommes pas dans une pièce de théâtre de boulevard, mais dans une séquence qui fixera le cadre dans lequel notre pays évoluera pour les décennies à venir. Il en va du sort de nos enfants et petits enfants.

Une chose semble acquise en ce mois d’avril 2021, le clap de fin semble plus que jamais promis à Ignazio Cassis!

Georges Martin

Georges Martin est né en 1952. Après avoir obtenu sa licence de Sciences politiques à l’Université de Lausanne, il est entré au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en 1980. Les différentes étapes de sa carrière l’ont amené en Allemagne, New-York (ONU), Afrique du Sud, Israël, Canada, France, Indonésie, Kenya. Il fut Secrétaire d’Etat adjoint et Chargé de missions spéciales au DFAE.

8 réponses à “Clap de fin pour Ignazio Cassis?

  1. Débarrassons-nous au plus vite de ce sinistre personnage; il sera certainement plus utile à son canton. Si ses contorsions vis-à-vis de certaines thèses de l’UDC dès le début de son mandat auraient du nous alarmer, les mois et années qui ont suivi ne nous ont pas rassurés, loin de là. Serait-il déjà une rapide érosion de légitimité ?
    Il y a également un problème institutionnel à régler. La composition du conseil fédéral dont la Suisse a besoin en ces temps doit faire appel aux meilleurs promoteurs de notre pays capables de faire adhérer la majorité à une vision de la position de la Suisse (pourrions-nous parler “d’une certaine idée…” pour paraphraser le général de Gaulle), et arrêtons de grâce les compromissions dues à un égocentrisme géopolitique interne malsain.

    1. Je ne peux évidemment qu’abonder dans votre sens en vous remerciant aussi de votre réaction.

  2. Mais quel alignement de bêtises, franchement!
    Ce dossier a été mal emmanché dès le départ, déjà sous Burkhalter avec le négociateur Rossier.
    Toutes les lignes rouges fixées par le mandat de négociation ont par la suite été franchies et la responsabilité est largement partagée, par beaucoup des protagonistes ayant géré ce dossier.
    Cet accord ne pouvait dès le départ pas aboutir, pas plus qu’aujourd’hui, car il n’est pas susceptible de rallier une majorité populaire.
    Mais cela évidement, les diplomates (et anciens diplomates) ne veulent pas l’entendre.

  3. on se demande comment le CF n’a pas pu isoler les points litigieux plus tôt , puisqu’ils font partie des négociations depuis 7 ou 8 ans !?
    Un peu trop facile de tout mettre sur le dos de Cassis !

  4. Que d’étranges affaires aux Affaires Etrangères. Avec un médecin à leur tête, une traductrice à celle de la Justice et de la Police, une pianiste à l’Environnement, aux Transports, à l’Energie et à la Communication, un économiste à la Santé, une juriste à la Défense et un comptable aux Finances “eppure si muove Svizzera”.

    1. on ne choisit pas les membres du CF en fonction de leur parcours professionnel !
      Au parlement, on ne trouve pas non plus de spécialistes des nouvelles technologies numériques … et on se demande bien pourquoi la Suisse patine dans ce domaine …

      1. En effet, pour pouvoir être élu au Conseil fédéral, il suffit d’avoir la nationalité suisse et le droit de vote. Il n’est pas nécessaire de se porter candidat ou d’être membre du Parlement suisse… ni de justifier d’une formation professionnelle. Avoir une profession disqualifie-t-il pour autant?

        Selon Suétone, Caligula envisageait bien d’élire sénateur Incitatus, le cheval vedette des courses de chars à Rome, et exigeait qu’il soit adoré à l’égal d’un dieu. (Suétone, Vie de Caligula, 55). A défaut de pur-sangs, ce ne sont pas les rosses qui manquent dans les exécutifs.

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