Politique étrangère: assez des apprentis sorciers

De la cohérence en politique étrangère

Le 12 août 2020, le Conseil Fédéral a publié le rapport de « Mise en œuvre du droit international humanitaire (DIH) par la Suisse ». Dans la préface – comme dans son interview accordée le lendemain au journal Le Temps – Ignazio Cassis explique ce qui l’a motivé à le produire. Il s’agit de « donner un signal fort à la communauté internationale pour montrer que la Suisse continue de croire fermement au DIH … Le respect, le renforcement et la promotion du DIH comptent parmi nos priorités de politique étrangère … On doit aller au-delà de la rhétorique et appliquer le DIH, sans quoi on affaiblit sa crédibilité ».

Jusqu’ici, tout va bien. Les problèmes commencent lorsque le journaliste lui fait remarquer que le Rapport sur le DIH souligne que « la Suisse s’engage pour l’élimination des armes atomiques » (p.14), mais se refuse toujours à adhérer au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté par l’ONU en 2017. Deux Conseillers Fédéraux sont particulièrement impliqués dans ce blocage : la Cheffe du DDPS Viola Amherd qui d’ailleurs, lorsqu’elle était encore Conseillère Nationale, avait voté en faveur de la Motion Sommaruga du 5 juin 2018 demandant l’adhésion de la Suisse au TIAN, et le Chef du DFAE.

Tous deux avaient participé à l’élaboration d’un rapport analysant les arguments favorables et défavorables à une adhésion au TIAN. Publié fin juin 2018, ce Rapport concluait que la Suisse ne devait pas le signer. Toutefois, les faibles arguments, les nombreuses contradictions, les jugements erronés et les erreurs contenues dans ce rapport amenèrent le Conseil des Etats à adopter à son tour la Motion Sommaruga, en décembre 2018. Les mêmes faiblesses d’argumentation, le même manque de conviction et les mêmes contradictions se retrouvent dans la partie consacrée au TIAN de l’interview susmentionnée du 13 août du Chef du DFAE.

Malheureusement le chemin choisi par la Suisse depuis l’entrée en fonction de M. Cassis ne mènera nulle part. Notre pays s’est en effet joint à une Déclaration d’Etats, dotés de l’arme nucléaire, membres de l’OTAN ou souhaitant le devenir, demandant de poursuivre les efforts de désarmement. Cette Déclaration est insignifiante, car elle reprend un catalogue de mesures déjà proposées il y a dix ans – vingt-cinq ans pour certaines – et qui n’ont eu aucun effet. En se joignant à cette Déclaration, au lieu de signer le TIAN, M. Cassis fait preuve de cynisme ou de méconnaissance du dossier. Plus grave, il positionne la Suisse dans le rôle de l’«idiote utile» du point de vue des puissances nucléaires (P5).

Quant à la seconde protagoniste de ce feuilleton, Viola Amherd, elle déclarait dans le même journal Le Temps du 10 août 2020 consacré à l’achat d’avions de combat, que « la neutralité helvétique exige que nous ne nous reposions pas sur une organisation de sécurité internationale». Cette affirmation correspond parfaitement au statut de neutralité armée permanente de la Suisse. On ne peut toutefois s’empêcher de la mettre en parallèle avec une autre exprimée dans le Rapport DFAE/DDPS susmentionné de juin 2018, celui-là même qui avait conduit le Conseil Fédéral à ne pas adhérer au TIAN. A sa page 10, le rapport écrit qu’adhérer au TIAN serait risqué en termes de politique de sécurité, car « la Suisse serait juridiquement contrainte à ne pas adhérer à une alliance de défense fondée sur la dissuasion nucléaire ». Il s’agit de l’OTAN, comme le rapport l’indique plus loin.

Ces déclarations contradictoires placent la Suisse en porte-à-faux voire dans une impasse. De deux choses l’une : soit elle se garde la possibilité d’adhérer à une alliance de défense fondée sur la dissuasion nucléaire, comme l’indique le Rapport de 2018, soit elle reste neutre. Dans le premier cas, elle n’est plus neutre et, si elle souhaite adhérer à l’OTAN  ne peut logiquement adhérer au TIAN. Vu sa position au cœur de l’Europe et sous le parapluie nucléaire de l’OTAN, la Suisse n’aurait dans ce cas guère besoin de dépenser des milliards pour acheter de nouveaux avions de combat tant les scénarios d’une invasion potentielle relèveraient de la fantaisie. Dans le deuxième cas, la Suisse est neutre, comme l’affirme d’ailleurs Mme. Amherd, et ne confie pas sa sécurité une organisation de sécurité internationale comme l’OTAN. Elle est en droit dès lors d’acheter de nouveaux avions de combat pour assurer sa sécurité et peut sans problème adhérer au TIAN.

Force est de reconnaître que nous n’en sommes pas à une contradiction près dans ce dossier ! Laissons dès lors M. Cassis conclure avec le Rapport sur le DIH : « Nous voulons dire aux autres pays : voyez comment nous agissons. Certes, nous pouvons toujours faire mieux ». En effet, M. Cassis, la Suisse peut faire mieux pour être crédible et cohérente : elle doit adhérer au TIAN sans tarder !

On ne peut en même temps soutenir le DIH et ne pas tout entreprendre pour interdire les armes nucléaires. Il faut choisir!

 

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