Et si les abeilles…

…15 miels sur 16 contaminés par le glyphosate en Suisse…

Disons le d’emblée, c’est un rapport décevant que nous a offert, ce 9 mai 2018, le Conseil fédéral*. Intitulé “Etude de l’impact du glyphosate en Suisse“, le rapport délivre, enfin, les conclusions de nos autorités en réponse au Postulat*** de la “Commission de la science, de l’éducation et de la culture” du Conseil national ** du 6.11.2015, soit un peu plus de 2 ans après l’avoir accepté le 27.01.2016. Rappelons que le dépôt de ce postulat est intervenu suite à la démonstration de présence de glyphosate dans les urines de près de la moitié de la population européenne, y compris en Suisse (cf émission RTS A bon entendeur (ABE) du 29.09.2015). Qu’apprend-on dans ces 15 pages? Qu’il n’y a aucun danger de santé humaine pour la population, car les doses sont infimes! Mais pour nous, apiculteurs, la très mauvaise nouvelle c’est que la plupart de nos miels sont contaminés.

…revue de littérature et de l’état des connaissances… Le rapport s’étend en long et en large, sur le labyrinthe que constitue les rapports des agences internationales publiés ces dernières années. On le sait, ces dernières ne sont pas d’accord sur la nocivité du glyphosate pour la santé humaine. Très concrètement, la seule étude indépendante de tous intérêts commerciaux et politiques, celle du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, agence de l’OMS et des Nations Unies) avait classé le glyphosate comme cancérogène probable en mars 2015. Les conclusions de cette étude avaient été rapidement remises en causes par d’autres agences internationales dont l’EFSA (European Food Safety Authority), le comité mixte FAO/OMS (JMPR) et l’ECHA (instance européenne de classification des produits chimiques), organisations au sein desquelles le lobbyisme des représentants de l’industrie chimique et les considérations politiques pèsent de tout leur poids. Sans surprise ces dernières ont conclu que l’étude du CIRC était incomplète, que les données n’avaient pas été analysées de manière suffisamment critique et au final que le risque de cancérogénicité du glyphosate n’était pas démontré.

…c’est la dose qui fait le poison (Paracelse 1493-1541)… Dans son rapport de novembre 2015, l’EFSA avait alors fixé des normes, limites au-dessous desquelles le glyphosate est considéré comme inoffensif pour la santé humaine. Voici un extrait de ces normes:

…dans le labyrinthe des unités de mesures… pour une lecture critique de ces différents rapports, il faut aussi trouver son chemin dans les unités de mesures. L’EFSA donne ses normes en “mg par kg de poids corporel”, ce qui signifie que la DJA est de 30 mg/jour (1 mg=1 milligramme) pour une personne d’un poids de 60 kg. Les résultats de l’enquête d’ABE (A bon entendeur, RTS) sur les traces de glyphosate dans les urines en Suisse sont exprimés en μg/litre (1 μg=1 microgramme = 0,001 mg), soit une unité 1000 fois plus petite que celles de l’EFSA. Une étude récente (Parvez et al. 2018), démontre des effets sur la durée de la grossesse aux Etats-Unis pour des doses exprimées dans des unités encore 1000 fois plus petites (3,4 ng de glyphosate/litre d’urine; 1 ng=1 nanogramme = 0,oo1 μg = 0,000001 mg).

…le postulat posait quatre questions…

Selon le rapport, le postulat demandait au Conseil fédéral d’investiguer les quatre domaines suivants:

  • 1) analyse des résidus de glyphosate dans les aliments destinés à l’alimentation humaine
  • 2) analyse des résidus dans les fourrages d’animaux de rente
  • 3) résumé des ventes et utilisation de glyphosate en Suisse
  • 4) quelles sont les possibilités de remplacer le glyphosate

…dans les limites des ressources disponibles…

Bien qu’étant déjà informé des résultats des études internationales, concluant à l’innocuité du glyphosate, le Conseil fédéral avait cependant jugé “judicieux de réaliser une étude pour déterminer de quelle manière des résidus de glyphosate peuvent se déposer dans les aliments et à quelle fréquence ils peuvent finir dans notre assiette”. Les offices fédéraux compétents ont donc été chargés d’examiner la question “dans les limites des ressources disponibles”. Par quoi il faut comprendre que cela ne doit rien coûter de plus et que l’on ne mettra aucun moyen supplémentaire à disposition. Mener l’étude avec les moyens disponibles, signifie aussi que les priorités doivent être revues et que les ressources disponibles doivent être ré-allouées en fonction de ce nouvel objectif.

Que peut-on faire dans les limites des ressources disponibles? Evidemment guère plus que le minimum. Ecrire un bref rapport de 15 petites pages (titre, table des matières, résumé, conclusions, références et annexes comprises), dont plus de la moitié ne fait que reprendre les connaissances acquises à l’étranger.

..reformulation des objectifs…

Dans le résumé du rapport, on nous explique que “pour répondre au postulat, il a été décidé de lancer un programme de monitorage destiné à mesurer l’exposition de la population suisse au glyphosate, en vue de déterminer le risque sanitaire“.  Une reformulation qui paraît censée et susceptible de répondre à l’objectif principal du postulat, surtout “dans les limites des ressources disponibles”.

.. mais trois points du postulat sont bottés en touche…. en effet le rapport n’aborde que la première des trois questions du postulat, et de manière très tendancieuse comme on le verra plus bas. Pas un mot sur les résidus dans les fourrages destinés au bétail, pas un mot sur les vente et l’utilisation de glyphosate en Suisse et juste quelques vagues considérations sur les raisons pour lesquelles il n’est de toute façon pas envisageable de renoncer à cet herbicide.

 …développement d’une méthode d’analyse…

L’OSAV (Office fédéral de la Santé alimentaire et des Affaires Vétérinaires du DFI (Département fédéral de l’Intérieur dirigé par le Conseiller fédéral Alain Berset) a donc pris les choses en main. Ses travaux et ses conclusions sont décrites sur une petite page et demie et 2 pages d’annexes. On y apprend que l’OSAV “a développé et validé une méthode d’analyse permettant de mesurer des concentrations de glyphosates inférieures à 0,001 mg/kg dans les aliments solides et inférieures à 0,0005 mg/litre dans les liquides. On est relativement surpris, que sans moyens supplémentaires, l’OSAV développe une technique ad hoc pour une micro-étude, alors que des ces méthodes sont publiées et connues de tous. A moins que par “développé et validé” il ne faille comprendre que l’OSAV a reproduit des méthodes standard.

…. toutefois pas suffisamment sensible pour détecter les concentrations rapportées dans les urines des Helvètes… en effet, la sensibilité  de la méthode développée par l’OSAV (0,001 mg/kg=1 μg/kg pour les solides et 0,0005=0,5  μg/l pour les liquides ) ne permet pas de détecter les concentrations de de glyphosate dans les urines, du moins aux concentrations rapportées par ABE (0,1 à 0,155 μg/l) dans son émission de sept. 2015!

Chap. 7  du rapport: les résultats: “Exposition de la population au glyphosate” (p. 9-10)

L’OSAV rapporte avoir analysé “243 échantillons de denrées alimentaires, réparties dans 19 catégories (…) prélevées dans le commerce de détail”. L’échantillonnage réalisé laisse plus que dubitatif : on se serait attendu à un échantillon représentatif de la nourriture consommée quotidiennement par un Suisse moyen au cours de ses 3 repas, sur la base, par exemple, d’une assiette type (salade, pâtes/riz, légumes, fruits) permettant d’évaluer la dose en glyphosate à laquelle la population est effectivement exposée. Au lieu de cela, une liste à la Prévert (avec toutes mes excuses aux grand poète dont les listes n’avaient aucune prétention scientifique):

  • – produits à base de céréales: 93 (38% de l’échantillon)
  • – boissons: 49, dont vin (21), bière (15), jus de fruits (11),  eau minérale (2);
  • – eau du robinet? non pas d’eau du robinet…
  • – oeufs: 1 (oui, vous avez bien lu, un seul oeuf !)
  • – produits laitiers : lait (3), ni fromages, ni yogurts
  • – pommes de terre et produits dérivés, légumes: 10
  • – fruits? non pas de fruits
  • – riz? non pas de riz
  • – miel: 16

et le rapport de justifier cet échantillon peu représentatif de l’assiette du consommateur comme suit: “les produits alimentaires susceptibles de contenir des résidus significatifs étaient sur-représentés“, comme si c’était un indice de qualité et celui d’une étude équilibrée!

une interprétation des résultats pour le moins surprenante

Sur les 243 échantillons analysés, le tableau de l’annexe 1 indique que des résidus de glyphosate ont été identifiés dans 121 cas, soit 49,8%. Curieusement, alors que tout un chacun arrondirait ce chiffre à une bonne moitié, on est surpris de l’interprétation qui est formulée comme suit dans le rapport (p.15): “Les résultats montrent qu’environ 40% des denrées alimentaires présentent des traces quantifiables de glyphosate” (la version allemande indique également 40%, ce n’est donc pas ni une erreur de traduction, ni une coquille de la version française).

Donc non seulement, le rapport minimise la proportion de produits dans lesquels du glyphosate a été détecté dans son échantillon peu représentatif de notre alimentation, mais en plus il induit ses lecteurs en erreur sur l’état réel de la situation, car avec 40% on est plus près d’un tiers que de la moitié. Mais le bouquet, plutôt que de fournir une estimation des doses auxquelles le consommateur est potentiellement exposé,  alors que les auteurs n’ont pas adressé 3 des 4 question du postulat, ils se livrent à des calculs exotiques : “Pour être éventuellement exposée à une atteinte à la santé (…) , une personne adulte devrait consommer, par jour au moins 72 kg de pâtes, 655 kg de pain, 10 kg de poids chiches, ou 1600 litres de vin (sic) des échantillons les plus fortement contaminés”.

…tous les vins testés contaminés… Si nous sommes plutôt rassurés pour le poivrot du café du coin qui prend son premier coup de blanc avant le petit déjeuner, nous aurions trouvé plus judicieux de se pencher sur l’eau du robinet, les sodas, et eaux minérales qui constituent encore, nous osons l’espérer, la base des boissons de consommation les plus courantes. Comme le relève judicieusement un internaute, le vin contient de 10 à 15 g d’alcool par litre, soit une dose bien plus concentrée d’une substance classée comme cancérogène certain, avec approximativement 10% des cancers liés à la consommation d’alcool. Pour rappel, les spécialistes recommandent de ne pas dépasser 1-2 verres de vin par jour et il est clair qu’en comparaison, le glyphosate n’est pas le premier souci de santé publique pour ce produit.

… et presque tous les miels… idem pour le miel: 15 des 16 échantillons sont contaminés dans les mêmes concentrations que les vins. Ici encore, pas de souci pour la santé humaine, il ne viendrait à l’idée à personne de consommer une tonne et demie de miel par jour!

… mais pas un mot sur les causes de contamination…

Le lecteur que je suis aurait été intéressé à connaître les causes de la contamination de nos vins et de nos miels par le glyphosate. A ma connaissance, le glyphosate n’est ni un produit de traitement des maladies de la vigne, ni de lutte contre le varroa. Mais pas un mot sur le sujet. Il ne nos reste donc que nos propres hypothèses et conjectures. Si l’on peut exclure la contamination par les eaux de surface ou d’arrosage (selon le rapport une étude de Démeterre démontre que le glyphosate n’est ni absorbé ni transporté dans les plantes par les racines), il ne reste que le désherbage des bandes herbeuses entre les lignes des vignobles comme source de contamination des vins.

Pour les miels c’est encore plus mystérieux, car les abeilles ne se nourrissent généralement pas des “mauvaises herbes” dont on cherche à se débarrasser à l’aide de cet herbicide. Les deux causes les plus probables sont les pollens de plantes récemment traitées au glyphosate, ou pire, la récolte directe du produit brumisé sur les plantes comme source d’eau en périodes sèches où l’eau est difficile à trouver pour les abeilles.

… pas un mot sur le suivi au cours du temps… En conclusion, le rapport conclut à l’innocuité du glyphosate pour la santé humaine en Suisse et ne propose, ni n’envisage, la moindre mesure de suivi de la problématique au cours de ces prochaines années, alors qu’un “monitorage” (terme barbare issu de l’anglais et qui signifie “suivi dans le temps”) avait été prévu, ne laissant à l’apiculture que les yeux pour pleurer la mort de ses avettes et pour seule consolation, la consommation de ses miels contaminés…

————————————————————————————————————————————-

Accès au rapport: Bericht_glyphosate_CF_20180509_ F

—————————————————————————————————————————————-

Petite nomenclature des instances politiques citées:

 

Quitter la version mobile