Né en 1916 à Zurich, le mouvement dada s’est réincarné la semaine dernière à New York dans le cadre d’un festival intitulé “Zürich meets New York” organisé par le Consulat de Suisse en collaboration avec la Ville et l’Université de Zurich ainsi que l’Ecole polytechnique fédérale (EPFZ), Subversif, le spectacle créé par Giants are Small, une société dont le producteur est le Romand Edouard Gétaz et le metteur en scène l’Américain Doug Fitch, s’est révélé décapant. Des mots pour décrire l’absurde, pour dénoncer la disparition de la sphère privée à la suite des révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden qui a mis au jour d’innombrables documents montrant l’étendue des activités de surveillance électronique et téléphonique de la NSA, l’agence américaine nationale de sécurité (NSA). La magie des mots et de l’absurde font merveille dans une salle un peu baroque du Lower East Side, The Box, qui est généralement le théâtre, aux petites heures du matin, de soirées interlopes. Un Cabaret Voltaire version Lower East Side.
Quelque temps plus tôt, à la White Box, Clarina Bezzola, actrice alémanique vivant à New York, interpelle les invités. Son visage est un écran de type iPad qui crache des mots de bienvenue et des paroles visant à se connecter à la foule anonyme. En arrière-fond, vêtu de noir et chaussé de lunettes noires, Marc Mueller s’applique à donner à l’événement Dada Bomb, avec son didgeridoo, un air ésotérique venu du fin fond du bush australien. Au mur, les invités se servent d’amuse-gueule transpercés par des piques plantées dans les parois de la White Box.
Les phrases paraissent décrire une réalité insaisissable, imaginée. Les gestes paraissent eux-aussi absurdes. Le présentateur en chef de la soirée, Anthony Roth Costanzo, fait virevolter les vocables pour dénoncer les abus de Big Brother. Il parle de “nouvelle conscience” et interroge: “Voulez-vous que ceux qui sont au pouvoir vous dupent?” Il relève le risque de voir l’Etat conserver “les traces de nos pensées”. La presse n’est pas épargnée, car elle est parfois décrite comme faisant partie du système pour valider l’action de l’Etat. Anthony Roth Costanzo cite ainsi un article du jour du New York Time qui évoque la nécessité de “repenser le financement des campagnes électorales”. Dada Bomb rend aussi hommage au poète Hugo Ball en laissant le réalisateur Doug Fitch (photo Sarah Sterner/2014/Giants are Small) incarner une espèce d’Edward aux mains d’argent (film de Tim Burton) qui débite des absurdités sans queue ni tête.
Même à New York, devenue plus policée depuis que Rudolph Giuliani et Michael Bloomberg ont présidé à sa destinée, le dadaïsme zurichois version Cabaret Voltaire, apparaît déjanté, livrant une image pour le moins différente d’une Suisse parfois perçue outre-Atlantique comme un pays des banques, des montres et du chocolat incapable de sortir de ses traditions. Manifestement, les Zurichois ont ressorti la “tradition dadaïste” pour en faire un remake adapté au monde d’aujourd’hui. Avec succès.