D'ici et d'ailleurs

Touche pas au brocoli

Tomates, brocolis et poivrons sont les héros d’une saga judiciaire haletante. Ne ris pas trop vite, lecteur, ce n’est ni une fable, ni une publicité déguisée pour te faire ingurgiter tes “5 par jour”. Hélas, tomates, brocolis et poivrons sont appelés à témoigner à la barre dans une guerre juridique autour des brevets. Et on ne parle pas ici de cornichons mutants ou de salsifis hybrides, mais bel et bien de croisements conventionnels, que certaines firmes – Syngenta, au hasard – font breveter. Si cela continue, il faudra donc préciser à votre maraîcher préféré la même chose qu’à la pharmacie: “Bonjour, j’aimerais un kilo de tomates. Des génériques, s’il vous plaît.”

J’exagère? À peine.  Fin janvier,  Syngenta a retiré un brevet sur une tomate, issue de croisements conventionnels, “normaux”, comme les paysans et semenciers ont font depuis la nuit des temps. C’est une victoire d’étape pour la coalition d’organisations qui militent contre les brevets sur les semences, parmi lesquelles, en Suisse, Pro Specie Rara, Swissaid et Public Eye. En 2016, ces organisations avaient fait recours contre la décision de l’Office européen des brevets qui accordait une licence à une tomate issue de croisements de tomates issues d’Amérique latine, leur continent d’origine.

Il n’y a toutefois pas lieu de triompher. Ces dernières années, selon les organisations citées plus haut, l’Office européen des brevets a délivré environ 200 brevets sur d’innocents légumes tels que des brocolis, des tomates, des laitues ou des poivrons, tous issus de croisements conventionnels et n’ayant rien à voir avec le génie génétique.

Sur le plan juridique, on patauge dans la choucroute: les 38 États faisant partie de la Convention sur le brevet européen, dont la Suisse, ont interdit les brevets sur les plantes issues de la sélection conventionnelle en juin 2017, en adaptant l’ordonnance d’exécution de cette convention. Syngenta a fait recours contre cette décision, faisant valoir que cette règle est contraire à la convention. La chambre de recours a donné raison à la multinationale. Et paf, c’est le chaos juridique. Vous suivez? Moi pas tout à fait. Et pourtant, l’issue de cette bataille aura des conséquences sur nos assiettes, du moins sur ce que nous mettons dedans, et sur les paysans qui cultivent de quoi nous nourrir.

Une quarantaine d’organisations ont demandé au président de l’Office européen des Brevets, António Campinos, d’instaurer un moratoire en suspendant toutes les procédures concernant les brevets sur des plantes et des animaux issus de méthodes conventionnelle. Le but du moratoire est de laisser aux États le temps de définir un cadre juridique adapté.

Le temps presse, car un autre recours contre un poivron Syngenta sera traité au début du mois de mars.

Vous reprendrez bien un peu de piment?

 

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