Les seigneurs du Léman fêtent leurs 50 ans

Les Seigneurs du Léman seront à Morges le 11 septembre. Quelques vingt voiliers mythiques régateront dans la Baie des Dieux à l’occasion de leur 50ème anniversaire.

Emblématique du lac Léman, le Toucan avait été imaginé par l’architecte naval André Fragnière et Pierre Noverraz justement à Morges en 1970. Leur idée était alors de créer un voilier de régate monotype révolutionnaire permettant d’embarquer un équipage de trois à quatre personnes. L’idée devenue projet, les deux hommes s’adjoignirent Bernard Dunand, un autre navigateur chevronné médaillé des Jeux olympiques de 1968, pour élaborer les esquisses et les plans du bateau. La réalisation devait être confiée au constructeur naval René Luthi, à Crans.

Pour ces rêveurs, le planning était serré puisque leur espoir était d’aligner le nouveau venu sur la ligne de départ du Bol d’Or du 12 juin 1971. Les efforts furent à n’en point douter considérables, mais l’équipe allait parvenir à respecter les délais… ou presque. Mis à l’eau à la veille de la régate sans banc d’essai préalable, le premier Toucan baptisé « Toucan XI » était encore largement dégarni de son accastillage. L’équipage de régate composé de Marcel Stern, Philippe Durr, André Fragnière et Daniel Girardet allait donc devoir terminer de poser winchs et taquets en début de course…, une gageure.

Le pari était gagné, le Toucan allait être une réussite incontestée puisque le Bol d’Or serait dès lors dominé par les voiliers de cette classe de 1971 à 1978, skippés par les premiers acteurs de cette aventure mais également par René Luthi, Jean-Jacques Eternod, Henri Breitenmoser ou Jean Psarofaghis. « Toucan XI », « Samaoui », « Méphisto, », « Altaïr » deviendraient rapidement des noms de course craints par leurs concurrents.

De nos jours, ces magnifiques oiseaux demeurent performants malgré leur âge puisqu’ils parviennent encore à tenir tête aux classes plus récentes et inévitablement plus technologiques.

Mais le Toucan n’est pas qu’une affaire de compétition, c’est également une histoire à part entière faite d’aventures et d’hommes forts en caractère. En 1972, Alain Gliksman, navigateur, journaliste, coureur océanique, se lançait dans un défi inconcevable pour plus d’un marin, participer à la Transat anglaise en solitaire à bord du Toucan bien nommé « Le Transat » ; une course de géants entre deux continents ayant assuré le succès de plus d’un de ses vainqueurs comme Tabarly qui l’a gagna en 1964 et en 1976, Alain Colas, en 1972 ou Loïck Peyron en 1992. Gliksman se lançait ainsi contre les vents dominants et les fréquentes dépressions de l’Atlantique à bord d’un voilier lacustre conçu pour les régimes de vent du Léman, coiffé d’un casque de moto pour pouvoir affronter les paquets de mer de face … L’aventurier survivrait !

Le Toucan deviendrait vite une légende d’ampleur internationale dans le monde de la voile, notamment grâce à Alain Gliksman, mais aussi en raison de ses performances et de ses lignes esthétiques inimitables.

Des amoureux en firent venir un modèle à New-York, d’autres estimant que ce voilier pouvait concourir à Cannes, en Méditerranée, aux côtés de dragon et de yachts classiques tel le célébrissime “Elena of London”.

En 1986, deux monstres sacrés allaient encore donner à ce bateau ses lettres de noblesse au cours d’un événement resté dans les mémoires de nombreux Morgiens. Pierre Fehlmann et Eric Tabarly s’affrontaient cet été là dans un match amical à bord de deux Toucan sous les yeux de plusieurs milliers de spectateurs médusés qui avaient envahi les quais de la petite cité vaudoise pour assister au duel des champions.

Le 11 septembre, ce voilier sera donc mis à l’honneur en un lieu emblématique pour son histoire, avec parade et régate, grâce notamment à plusieurs membres actifs de l’association Asprotoucan et du Club Nautique Morgien dont le président Jean-Marie Salina et son excellent comité ont accepté bien volontiers de jouer le rôle d’hôte. On leur souhaite bon vent.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.