Et 1917 devient Révolution… c’est à Paris !

Pour le centenaire de la révolution d’octobre 1917, la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) présente cet automne à Paris une exposition intitulée « Et 1917 devient Révolution… ». Réputée pour la richesse de ses fonds, cette institution est née au cours de la Première Guerre mondiale, avec pour vocation de réunir témoignages et documents relatifs au conflit. Parmi ces archives, les collections d’images et de manuscrits que le baron de Baye, archéologue et ethnologue, parvint à réunir sur les événements russes d’octobre 1917.

Le centenaire de la Révolution bolchevique coïncide donc avec celui de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine qui a souhaité profiter de l’occasion ainsi que d’une historiographie très dense – qui offre depuis une vingtaine d’années des approches nouvelles, voire inédites sur cet événement historique – pour proposer une exposition originale. Gageons que cette dernière le sera tout autant que le livre de Jean-Jacques Marie sur la guerre des Russes blancs ou celui d’Olivier Besancenot (Que faire de 1917 ?) parus récemment, puisque son originalité relève des documents annoncés en prime time qui offrent une perspective moins orthodoxe que ce à quoi nous a accoutumé la cohorte des jubilés de ces dernières années.

L’exposition est en l’occurrence coiffée par une volée de spécialistes comme Sophie Coeuré et Sabine Dullin, respectivement professeures à Paris Diderot et Science Po Paris, ou encore Jean-François Fayet, professeur à l’université de Fribourg. On se souvient que celui-ci avait publié en 2014 son ouvrage VOKS : le laboratoire helvétique : histoire de la diplomatie culturelle soviétique durant l’entre-deux-guerres (Georg) salué par la communauté scientifique. On ne peut que se réjouir de voir les collaborations internationales se développer pour donner naissance à des projets de qualité telle cette exposition.

À noter également que la Suisse ne reste pas en retrait. Plusieurs expositions ont été programmées dont celle du Musée national à Zurich qui a été proposée cet été. Fruit d’une collaboration avec le Musée historique allemand de Berlin, la démarche a également joué la carte de l’originalité en présentant de nombreux aspects méconnus de cet événement et de ses répercussions en Suisse. Répercussions mais également prémices puisque la Suisse a abrité un nombre particulièrement important d’anarchistes et de révolutionnaires poursuivis ou non par l’Okhrana avant la Première Guerre mondiale. On se souvient ainsi des séjours de Lénine en Suisse et son retour dans la mère-patrie en 1917 dans un wagon plombé. On connaît moins bien le rôle d’Alexandre Gelfand Parvus, cet aventurier politique promoteur de révolution, financier de Lénine et maître-espion à ses heures, dont Arthur Conan Doyle aurait pu s’inspirer pour créer son personnage du docteur Moriarty.

Quoi qu’il en soit, le centenaire de la Révolution russe, vingt-huit ans après la chute du Mur de Berlin, se révèle aussi intense que celui de la Première Guerre mondiale ! Tout comme celle-ci, la révolution, après avoir été commémorée année après année, s’est muée en un objet d’analyse historicisé. Espérons qu’elle ne sera pas gainée par un marketing historique reléguant l’un des événements majeurs du XXe siècle au niveau d’une série télévisée coincée entre le Docteur Jivago et Michel Strogoff. Aux antipodes de cette vision consumériste, l’exposition parisienne du BDIC nous promet un regard autrement plus approfondi sur le bouleversement d’octobre 1917 dont les effets ont secoué la planète entière jusqu’à nos jours.

 

Et 1917 devient Révolution…

Exposition du 18 octobre 2017 au 18 février 2018

Hôtel national des Invalides, 75007 Paris

 

Sorties littéraires sur les 100 ans de la révolution russe

La révolution d’octobre 1917 a un siècle. Un événement dont les causes sont disputées depuis cent ans et dont les conséquences auront été mondiales. La désintégration de l’empire des tsars, véritable séisme dont les effets se sont répercutés jusqu’à nos jours, devait permettre l’application d’une utopie vieille alors de près de soixante ans et qui allait devenir un cauchemar pour les uns, un exemple pour les autres ! Le centenaire de ce grand bouleversement suscite évidemment de nombreuses publications.

Parmi elles, le livre de Jean-Jacques Marie, La Guerre des Russes blancs, l’échec d’une restauration inavouée, qui revient sur un épisode relativement méconnu du grand public occidental, celui de la résistance des armées fidèles au Tsar. Cette épopée, faite de batailles, d’alliances, de trahisons et d’aventuriers tels le général Wrangel, est dépeinte par un spécialiste de l’histoire russe au fait d’une historiographie destinée à des universitaires. L’auteur ne se prive pas d’évoquer le « culte actuel des Blancs », en vogue à Moscou depuis le temps de Boris Eltsine, une reviviscence liée aux mouvements nationalistes russes et à la politique de Vladimir Poutine qui vise à « célébrer la grandeur passée de la Russie ». Mais la force de cette monographie relève moins de la mise en perspective de l’actualité de notre monde que d’une analyse fouillée et maîtrisée, donnant les clés de lecture nécessaires à la compréhension de la révolution bolchevique.

Olivier Besancenot a opté, quant à lui, pour une approche que l’on imagine volontiers originale avec son essai Que faire de 1917 ? La révolution confisquée. Que faire de cette révolution qui a réussie ? S’agit-il d’une révolution ou d’un vulgaire coup d’État ? Cette relecture de l’un des événements fondateurs de l’histoire du XXe siècle que nous propose l’auteur se révèle bien argumentée mais moins audacieuse que l’on aurait pu l’espérer. Car opposer stalinisme et communisme n’est pas une réflexion inédite. On connaît les dérives que le petit père du peuple a fait prendre à l’idéologie du parti : nationalisme contre internationalisme, libertés publiques contre autoritarisme, travail réduit à la notion d’exploitation contre stakhanovisme. Boris Souvarine, dans sa biographie sur Staline, évoquait déjà ces aspects en 1935. Par ailleurs, l’opposition n’est pas aussi évidente car si Staline exerça une influence sur le fonctionnement du parti, il se borna à développer et renforcer le diktat déjà mis en place par Lénine. La contre-révolution bureaucratique, initiée au cours des années vingt, mise en avant par l’auteur n’apparaît donc pas aussi inédite qu’il n’y paraît.

Dans la même veine, l’essai critique sur l’historiographie récente de la révolution russe de Lucien Sève, Lénine et la terreur, qui cible plus particulièrement l’historien Nicolas Werth – un rival ? – en reprenant et en critiquant les arguments de ce dernier. Des arguments tendant à démontrer une filiation entre Staline et Lénine, succombant tous deux à la violence et à la terreur. Lucien Sève entend ainsi déconstruire une historiographie idéologisée, tout en sombrant dans une autre forme d’appréciation. Un petit livre stimulant pour ceux qui se délectent des discussions de salons parisiens.

Si la biographie est un genre qui a été battu en brèche des années durant, il revient en force, notamment sous la plume de Stéphane Courtois qui, dans son Lénine, l’inventeur du totalitarisme, en manie l’art avec brio. L’auteur nous plonge avec passion dans la vie du révolutionnaire né à Simbirsk dans une famille noble, en nous menant sur les chemins de traverse que celui que l’on appelait encore Vladimir Oulianov emprunta. Un cheminement à travers les plaines de Russie jusqu’à Krasnoiarsk et dans la lointaine Sibérie, à Chouchenskoïé, ou Lénine, après son arrestation par l’Okhrana, purgea une déportation confortable « sans commune mesure avec le calvaire de Dostoievski ». Le lecteur suit également un autre parcours, celui d’un éveil, véritable quête psychologique que l’avocat de Samara, impressionné par des penseurs rejetant l’ordre établi comme Netchaiev, Marx ou Plekhanov, allait accomplir. Un Gueorgui Plekhanov que Lénine rencontra le 24 août 1900 à Genève, entraînant une formidable déception pour Lénine qui vénérait l’inventeur du mouvement social-démocrate en Russie. Cette quête « n’allait pas tarder à semer une formidable pagaille dans la bergerie des marxistes russes. Désormais, Vladimir Oulianov allait devenir son propre héros », assassinant la démocratie russe et faisant de son rêve d’absolu un absolutisme menant à la réification de ses peuples.

C’est à une autre biographie que l’écrivain français Christian Salmon s’est attelé dans son ouvrage Le projet Blumkine. Celui-ci se dévore comme un roman. Il en prend d’ailleurs la forme oscillant entre les observations d’un narrateur contemporain sur la piste d’un mythe vieux d’un siècle, et la mise en récit de son sujet, Iakov Grigorievitch Blumkine. Une biographie d’investigation, pourrait-on dire, sur le personnage o combien énigmatique de cet agent de la Tchéka dont certains estiment qu’il fut inventé de pied en cape par les services secrets soviétiques. Blumkine, à qui l’on prêta des dons exceptionnels, « les prouesses physiques d’un cascadeur, l’instinct d’un fauve, la sensibilité d’un poète, l’érudition d’un vieux rabbin […] parlant plusieurs langues parmi lesquelles l’allemand, le français et l’hébreu sans oublier l’arabe, le chinois et le persan ancien », aurait ainsi participé à l’assassinat d’un ambassadeur d’Allemagne avant de réorganiser le réseau d’espions soviétiques du Proche-Orient, opérant de la Turquie à l’Égypte, créant à Jaffa une blanchisserie ou l’on chiffrait les rapports, allant jusqu’à conseiller le bandit révolutionnaire persan Koutchouk-Khan. L’auteur se plait à laisser planer le doute, évoquant à la fin de son livre les recherches menées à Vincennes dans les documents des services de renseignement français confisqués par les Russes à Berlin en 1945 et rendus à la France en 2001, tout en tendant le voile diaphane de l’intrigue sur un personnage appartenant au panthéon alternatif du bolchevisme.

Moins romanesque, le livre de Claire et Claude Torracinta-Pache sur les lettres de Julien Narbel est touchant de sincérité. Le témoignage émouvant de ce Vaudois parti comme précepteur à la fin du XIXe siècle dans la Russie des Tsars nous relate une révolution observée par des yeux étrangers. Un regard porté depuis la résidence du prince Orloff à Saint-Pétersbourg, là-même ou devait éclater les premières insurrections en février 1917. Les auteurs ne font pas œuvre d’historien dans cet ouvrage Ils ont pris le palais d’hivers car sa dimension analytique en est réduite à sa portion congrue, mais c’est bien plutôt un documentaire historique qui sous-tends à l’ensemble de ces lettres écrites entre 1917 et 1919.

En perspective à cette relation épistolaire, l’ouvrage de Victor Serge, L’an 1 de la révolution russe, paru en France en 1930, propose la vision d’un dissident du parti aux prises avec le Stalinisme à Leningrad. Une œuvre qui paraît à nouveau aux éditions Agone, pourvu d’une préface de Wilebaldo Solano, révolutionnaire antistalinien espagnol qui fut l’ami de Serge, et d’une postface que l’auteur rédigea en 1947, peu de temps avant sa mort. Ce texte que l’on peut considérer à certains égards comme une source fait écho à un autre livre historique, l’essai autobiographique de Trotsky, intitulé Ma vie, réédité par Alfred Rosmer. Fresque s’étalant sur des décennies, le récit du célèbre révolutionnaire idéologue doit être lu avec recul quand bien même il constitue une mine d’informations.

 

Jean-Jacques Marie, La guerre des Russes blanc : l’échec d’une restauration inavouée : 1917-1920, Tallandier, 2017.

Léon Trotsky, Ma vie, Alfred Rosmer (dir.), Folio, (1929), 2017.

Victor Serge, L’an 1 de la révolution russe, Agone, (1930), 2017.

Claire et Claude Torracinta-Pache, Ils ont pris le Palais d’hiver, Slatkine, 2013

Olivier Besancenot, Que faire de 1917 ?: La révolution confisquée, Autrement, 2017.

Stéphane Courtois, Lénine, l’invention du totalitarisme, Perrin, 2017.

Christian Salmon, Le projet Blumkine, La Découverte, 2017.

Lucien Sève, Lénine et la terreur, Éditions sociales, 2017.

 

 

(Paru dans Aimer Lire, septembre 2017)