De l’obus au BIT

Un livre sur Albert Thomas vient d’être publié aux Presses universitaires de Rennes.

Mais qui est Albert Thomas ?

Né en 1878 à Champigny-sur-Marne, Albert Thomas allait être le grand organisateur de la production d’armements et du travail ouvrier en France au cours de la Première Guerre mondiale, contribuant à « imposer la méthode d’organisation scientifique du travail qui, avant le conflit, est très marginale en France ». Son rôle, au cours de la guerre, reste méconnu, pourtant il fut ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre de mai 1915 à septembre 1917.

Au cours de son mandat, il allait développer le principe cardinal, pour un belligérant, de fournir un approvisionnement suffisant en munitions aux troupes se trouvant sur le front. Il devait non seulement apposer son rythme à l’industrie française mais encore signer de nombreux contrats de fourniture militaire avec des industriels suisses comme le Neuchâtelois Jules Bloch qui allait lui faire parvenir des tonnes de fusées d’obus durant toutes les années de guerre.

Actif avant 1914 dans la sidérurgie et l’horlogerie, Jules Bloch avait modifié ses productions et ses commandes auprès des horlogers jurassiens et neuchâtelois pour satisfaire la nouvelle demande mortifère qui venait remplacer les traditionnels mouvements d’horlogerie. Son matériel de guerre joua un rôle d’une certaine importance puisqu’en raison de sa minutieuse précision, il fut notamment utilisé lors des tirs de repérage pendant la bataille de Verdun. En quatre ans, il écoula à l’armée française des armes, pour un montant de près de 85 millions de francs suisses, une manne qui soutint un grand nombre de petites industries de l’arc jurassien durant toute la période du conflit. À la fin de celui-ci, l’Office fédérale des contributions allait lui réclamer un impôt de guerre extraordinaire de vingt-deux millions. Une fraude dans les déclarations douanières allait conduire à une affaire de corruption et à l’arrestation de l’industriel qui allait passer sous les fourches caudines de la justice et des impôts.

Jules Bloch allait pouvoir reprendre ses affaires dans les années qui suivirent la guerre, notamment grâce à Albert Thomas qui avait été son hôte à plusieurs reprises. Fort curieusement, le ministre français allait occuper l’une des propriétés de l’industriel à Genève qui avaient été saisies par le fisc en guise de compensation. Choisi pour diriger le Bureau International du Travail (BIT) en novembre 1919, Albert Thomas allait partager son temps entre Londres et l’ancienne propriété de Jules Bloch devenu le siège du l’organisation.

Albert Thomas allait encore fonder le Bureau International des Autoroutes à Genève en 1931 afin d'établir un plan continental cohérent d'infrastructures. L’année suivante, il allait s’éteindre après avoir contribué pendant plus d’une décennie à la renommée du BIT et d’une Genève devenue internationale.

 

 

Adeline Blaszkiewicz-Maison, Albert Thomas. Le socialisme en guerre 1914-1918, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.  

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.