Les dangers de la logique des alliances

La Russie « regrette » le rejet de sa résolution à l’ONU, ce 20 février, résolution qui visait à faire cesser les opérations militaires de la Turquie en Syrie[1]. Des opérations visant des combattants kurdes, déclenchées par le récent attentat d’Ankara, commis, selon le gouvernement Erdogan, par le PKK. Kurdes dont d’autres mouvances, tel les YPG et les Peshmergas, contrôlent la frontière syro-turque et luttent avec l’aide de Washington contre ISIS.

La France et les USA, notamment, ne sont donc pas entrés en matière sur la proposition de Moscou, en rappelant que la Russie bombarde depuis plusieurs semaines des bases de rebelles syriens aidés par les Occidentaux dans leur lutte contre ISIS.

À se demander qui défend qui dans ce maelstrom militaire, diplomatique et humanitaire ? À se demander également si l’Occident se rappelle que ce sont les Kurdes, hommes et femmes, qui luttent sans doute le plus âprement contre les criminels de l’État islamique.

On peut se demander surtout si la non entrée en matière de l’ONU sur la résolution russe ne fera pas date et ne légitimera pas une radicalisation des actions russes au Proche-Orient, ce d’autant plus que ce camouflet vient s’ajouter aux mesures de rétorsion économiques prises par l’Occident contre Moscou dans l’affaire ukrainienne[2] ?

Il y a cent ans, presque jour pour jour, débutait la bataille de Verdun, 70'000 victimes chaque mois, dix mois durant. L’enfer ! L’Europe ferait bien de s’en rappeler avant que le jeu des alliances ne s’enclenche et ne puisse revenir en arrière, comme en 1914 ! Quant à l’ONU, peut-être ferait-elle bien de ne pas imiter la Société Des Nations qui s’était montrée incapable de réagir à la montée des tensions avec l’Allemagne dans les années 30 !

Le poids de l’histoire pèse certainement sur la Russie, l’impérialisme des Tsars et plus encore l’ère bolchevique restent dans les mémoires, et notamment dans les mémoires de certains pays comme la Pologne, dont les tendances de plus en plus ultra-nationalistes s’expriment facilement au travers des anciennes haines.

Mais qui en Europe peut être susceptible d’une telle prise de conscience, et de trouver des solutions médianes permettant à Moscou de sortir la tête haute du bourbier de Crimée, et de calmer le jeu en Syrie ? Une équation difficile à résoudre, ce d’autant plus qu’aux intérêts qui travaillent le cénacle de l’ONU répondent ceux de l’Union européenne dont onze de ses membres appartenaient jadis à l’orbite soviétique.

 


[1] www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/02/20/face-a-la-turquie-la-russie-soumet-une-resolution-au-conseil-de-securite-de-l-onu_4868808_3218.html

[2] http://www.hebdo.ch/les-blogs/vuilleumier-christophe-les-paradigmes-du-temps/l%E2%80%99effet-papillon

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.