La désinformation au service des puissances

2015, conflits et crises diplomatiques se succèdent à un rythme infernal. Mais quelle est la réalité des informations qui nous parviennent ? Car s’il est une vérité immuable dans l’art de la guerre, c’est bien de tenir son ennemi désinformé, autant que son « peuple » motivé et confiant.

Les situations actuelles en Ukraine et au Proche-Orient relèvent d’une complexité qui fera sans doute cas d’école dans les académies miliaires de ces prochaines décades. Syrie et Irak, ravagés par des mafias génocidaires, Turquie ou les progrès de la démocratie sont en train de fondre comme neige au soleil face à une répression de plus en plus aveugle, les pays du Levant sont devenus le champ de bataille de la planète. Les FA-18 Hornet de McDonnell Douglas rivalisent ainsi avec les Soukhoï 24 et 25, ou les Rafales de Dassault, et peut-être bientôt les Shenyang J-11, dans les cieux du désert syrien. Véritable who’s who militaire, cette guerre de coalisés non alignés ne peut être que sources d’ambiguïtés et de non-sens schizophréniques, tel ce récent accès de colère d’Ankara relayé par l’OTAN à la suite de la violation de l’espace aérien turc par des chasseurs russes se battant pourtant officiellement contre un ennemi commun. Une pétaudière dans laquelle le vétéran de la bataille de Stalingrad, le Generalfeldmarschall Erich von Manstein, y perdrait son Hochdeutsch !

Quel crédit accorder, dès lors, aux informations qui peuvent nous parvenir ? Des informations qui présentent des risques majeurs de manipulation, d’instrumentalisation et d’interprétations. Et si les journalistes portent une attention toute particulière à leurs sources, il n’en va pas de même des sites de « désinformation » qui se multiplient sur Internet et qui polluent les réseaux sociaux. Des sites dont il est difficile d’estimer l’audience et qui se plaisent à détourner, voire inventer l’information. Des sites qui prônent l’intolérance, la haine et, en fin de compte, la guerre.

« Rien de neuf à l’Est » toutefois, puisque ces procédés sont vieux comme le monde. Lors de la Première Guerre mondiale, cette guerre de l’information destinée à tromper l’ennemi, et à dire de manière très manichéenne qui étaient les bons des méchants, allait connaître une accélération, notamment grâce à la photographie. Chaque camp allait diaboliser son ennemi, les uns faisant des tirailleurs sénégalais des cannibales, les autres « arrangeant » les photographies à convenance en entassant, par exemple, des corps de victimes afin de mettre en évidence la cruauté de l’adversaire, les derniers faisant prendre des pauses théâtrales à des soldats simulant un combat dans le but de glorifier leur héroïsme.

Soumis à une consommation effrénée de l’information, nous perdons très souvent de vue que celle-ci prédispose l’opinion publique et qu’il n’est moralement pas possible de faire l’économie d’un regard critique.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.