Les guerres syndicales des années vingt

Le livre d’Alexandre Elsig, La ligue d’action du bâtiment, l’anarchisme à la conquête des chantiers genevois dans l’entre-deux-guerres (éd. D’en bas&Collège du travail, 2014) nous fait entrer dans un monde méconnu et dur, celui des luttes syndicales des années vingt et trente dans nos cantons, et plus particulièrement à Genève. Un âge d’exaltation politique faisant de l’Union soviétique un modèle ou une menace, un temps de nationalisme violent et d’accession au pouvoir de dictateurs, l’époque des fusillés de Plainpalais, de Léon Nicole et de Georges Oltramare !

Cela, nous pouvons nous le remémorer. Mais qui se souvient de ces samedis de chasse aux kroumirs durant lesquels les membres de la Ligue d’action du bâtiment, la LAB, débarquaient sur les chantiers où des ouvriers non syndiqués faisaient des heures sup. ? Les ligueurs dénonçaient alors la violation des conventions de travail avec véhémence : « Nous en avons marre. A la trique, nous répondrons par la trique, au nerf de bœuf de même et s’il le faut, au rigolo par le rigolo » (terme argotique désignant pistolets et révolvers). En rébellion, les contestataires les plus virulents allaient ainsi démolir les travaux réalisés « indûment » les samedis et faire rendre des comptes aux jaunes (ouvriers chrétiens-sociaux).

Le 3 septembre 1932, alors que la récession économique devait atteindre des profondeurs abyssales et que les ténors de la gauche ouvrière parlaient de nouvelle économie collective, la fédération des ouvriers allait déclarer une grève sur le chantier emblématique d’une Genève devenue internationale, celui de la Société des Nations qui employait de nombreux travailleurs étrangers. 600 grévistes se heurtent alors à 300 ouvriers italiens ou savoyards qui loin de se laisser faire se défendent au coude à coude. Gourdins, marteaux, manches de pioche, tout est bon pour briser les phalanges ou casser le nez de l’adversaire, une bataille que la police allait parvenir à disperser.

Certains cénacles genevois restreints peuvent encore se remémorer ce procureur général, Charles Cornu, monté sur un toit afin de négocier avec les casseurs menés par Lucien Tronchet, les durs du syndicat, anarchistes pour certains, communistes pour d’autres, qui s’étaient mis en tête de détruire pierre par pierre ce que l’on appelait alors les taudis de Genève, en commençant par les charpentes des toitures. On imagine mal de nos jours qu’une pareille scène puisse se reproduire, avec un Olivier Jornot juché sur une bâtisse encourageant un squatteur éventuel à se rendre !

Des heures sombres donc qui sont évoquées dans ce livre pour lequel l’auteur a exploré les archives d’État du canton de Genève mais également les archives fédérales, les documents du Centre international de recherches sur l’anarchisme à Lausanne et ceux du Collège du travail à Genève.

On ne peut que conseiller la lecture de cet ouvrage à ceux qui veulent comprendre le passé de certains groupements politiques actuels, ou qui aimeraient saisir le cœur des débats qui secouèrent la Suisse de ces années pas si lointaines. 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.