1815, La sédition vaudoise au fonds d’une bouteille

En 1815, alors que les rêves de grandeur d’un petit caporal devenu empereur disparaissent et que l’Europe sort d’une quasi guerre mondiale, les frontières doivent être redéfinies, les transitions assumées, les modifications entérinées.

Pour le canton de Vaud, il s’agit de conserver son indépendance acquise sur les Bernois lors de l’invasion française de 1798. Ce nouvel ordre des choses ne devait pas être aussi facilement confirmé après la chute de l’aigle, ce d’autant plus que différentes tendances politiques agitaient la population. Certains, nostalgiques de l’épopée napoléonienne, ne cachaient pas leur penchant le soir venu dans les estaminets, alors que d’autres complotaient dans l’ombre, appelant de leurs vœux un retour à la domination bernoise. Parmi ces derniers, des vétérans vaudois des régiments capitulés bernois, des hommes de Watteville ou des anciens d’Erlach qui avaient déposé leur havresac, la poire à poudre et décoché le silex de leur fusil. Les derniers, enfin, les « patriotes », s’activaient à consolider les bases d’un canton devenu autonome. Une situation d’autant plus anarchique que les politiques menées par les différents cantons ne s’harmonisaient pas forcément entre elles, et que la Confédération avait cédé aux Autrichiens la possibilité de traverser le pays pour venir attaquer la France sur son flanc à la fin de l’année 1813, ce que Lausanne avait prudemment refusé par craintes d’éventuelles représailles françaises.

Dire que le canton de Vaud vacillait au bord du gouffre d’une guerre civile ne serait pas totalement exagéré. L’accusateur public, l’équivalent de notre procureur général actuel, la posture révolutionnaire en plus, allait au cours de ces quelques années enregistrer dans ses registres des chansons séditieuses, des libelles politiques, des lettres anonymes de toute nature, des critiques, des rumeurs et de multiples remises en question du gouvernement. Et si les conditions des prisons étaient alors abominables, leur état n’impressionnait guère. En 1809, une bande de malfrats, armés et déguisés, s’était ainsi attaquée de nuit à la prison de district de Nyon pour y libérer un contrebandier notoire, sans avoir à subir de résistance de la part du geôlier ni, d’ailleurs, des portes de l’établissement.

Les exemples de délits de nature politique vont donc connaître une flambée durant les années 1813 à 1815. Ainsi ce jeune homme, « Patriote outré faisant volontiers part de ses opinions politiques exagérées », arrêté pour avoir tiré un coup de feu un soir à la sortie d’un estaminet à Yvonnand en janvier 1814, ou les rixes qui éclatent à Saint-Cergues en mai de la même année, suite à la déclaration pro-bernoise du syndic et du drapeau de l’ours qu’il monte au mât de la maison de péage lors du passage des Autrichiens. D’autres, à Cossonay, font de même et affichent des cocardes aux couleurs de l’ancien dominateur au mois de juillet alors que des manœuvres militaires sont en cours sur le territoire bernois. Quelques jours plus tard, à l’auberge de l’Aile à Echallen, des soldats vaudois du bataillon de Dompierre se battent à coup de point avec des hommes du lieu ne partageant pas leur opinion politique. Certains juges de paix s’affolent, le magistrat de Begnins écrit à Lausanne en toute hâte pour signaler que la commune d’Arzier est « complètement corrompue ». Un homme est encore arrêté à Vevey pour avoir déclaré dans une pinte « que tous ceux de notre gouvernement méritaient d’être tous mis à mort, que si les aristocrates étaient des hommes, ils devaient tomber sur les patriotes, les écraser, raser et brûler leurs maisons ». Quelque temps plus tard, le juge de paix de Grandson lance une enquête contre le ci-devant dénommé Burki, un Bernois domicilié à Neuchâtel, qui colporte des écrits interdits dans le canton de Vaud. Les archives ne nous apprennent pas s’il s’agissait de caricatures…. !

Ce ne sont là que quelques exemples (1) de ces infractions dites « politiques » qui préoccupent les autorités de ce temps, des autorités qui allaient sévir avec modération. Ni gibet ni torture ! Seuls des amendes et les cachots froids, nauséabonds et humides vinrent punir les téméraires. La plupart d’entre eux n’avaient-ils pas trouvé quelques facilités à s’exprimer grâce au vin consommé avec générosité dans les auberges, carnotzets, pintes et autres estaminets ? C’était là l’avis du gouvernement, trop content de noyer les pamphlets à son encontre dans les vapeurs d’un fléau populaire. L’alcoolisme, à une époque ou nombre de journaliers agricoles sont payés en nature, notamment en vin, est alors un mal autrement plus courant que la sédition.

 

(1) ACV, K VII e2 Affaires politiques 1803-1836.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.