L’instrumentalisation de la peur

Le 20 octobre dernier, le conseiller national UDC Christoph Mörgeli évoquait l’idée d’interdire aux requérants d'asile et aux réfugiés l’entrée en Suisse, afin de "protéger la population" d'une  propagation du virus Ebola [1].

Une position qui n’est pas sans rappeler celle du Conseiller fédéral von Steiger durant la dernière guerre mondiale. En 1942, année qui vit l’application de la « solution finale » par l’Allemagne nazie, année du premier convoi à destination du camp de concentration d’Auschwitz, de la Rafle du Vélodrome d’Hiver, de la déportation de 300’000 Juifs du ghetto de Varsovie vers les camps de Belsec et de Treblinka, de la bataille de Stalingrad, le Conseil fédéral décrétait la fermeture des frontières en refusant aux migrants juifs le statut de réfugiés politiques. L’un des arguments mit alors en avant par les autorités fédérales, et plus particulièrement par Éduard von Steiger, fut le danger de propagation de maladies contagieuses susceptibles d’être portées par des populations indigentes. Le souvenir de la grippe espagnole de 1918 qui avait tué plus de personnes en quelques mois que la Première Guerre mondiale restait encore vivace dans les esprits. Ce d’autant plus que cet épisode sombre était rappelé périodiquement par la presse qui rapportait les foyers d’épidémie en Europe et dans le monde.

Ainsi, la Gazette de Lausanne écrivait dans ses colonnes, en 1933, que le typhus avait tué quelques 12'000 personnes en Sibérie, suivi quelques mois plus tard par une épidémie de peste bubonique en Mandchourie emportant 600 personnes. En février 1935, ce journal indiquait que la grippe avait causé la mort d’une centaine de personnes à Saragosse. En janvier 1937, la presse allait revenir sur la grippe, signalant que les foyers principaux se trouvaient en Allemagne, en Angleterre, au Danemark et aux Pays-Bas, précisant par ailleurs que le Reich avait enregistré plus de 500 morts. En 1938, c’est à nouveau d’une épidémie de typhus dont il est question, qui se développe alors en Angleterre.

La crainte de la contagion était ainsi une réalité dans la Suisse des années 40. Au sein même du Conseil des États, certains parlementaires s’étaient inquiétés de la situation sanitaire de la Confédération, notamment eu égard au rationnement alimentaire de la population et des épidémies qui pouvaient en découler. Une peur qui allait être instrumentalisée dans le cadre de la politique menée sur la problématique des réfugiés et qui céda le pas à la morale, du moins au politiquement correct, lorsque le sort réservé dans les camps de concentration aux populations juives d’Europe fut dévoilé au grand public.

Si les mesures sanitaires à l’entrée de la Suisse étaient, à cette époque, quelque peu rudimentaires, les progrès de la médecine au cours de ces 70 dernières années devraient permettre aux promoteurs de l’idée d’une nouvelle fermeture du pays, d’imaginer la possibilité d’un dépistage des symptômes d’Ébola et d’un contrôle médical renforcé pour les requérants d'asile et les réfugiés, contrôle médical qui au demeurant existe déjà. Un contrôle, s’il nous faut être logique, qui pourrait être également appliqué à l’ensemble des personnes en provenance des pays touchés par le fléau.

 

[1] « L’UDC évoque une suspension de l’asile pour contrer Ebola » in RTS Info, 20.10.2014.

 

 

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.