Les épidémies du début du siècle

Les rapports récents de l’OMS indiquent qu’Ébola a déjà infecté quelques 5'800 personnes. 2'800 d’entre elles sont mortes en Guinée, en Sierra Leone et au Libéria, et ce serait potentiellement plus de 20'000 victimes que le fléau pourrait entraîner en Afrique de l’Ouest, dans une poignée de semaines seulement.

Peste, Choléra, Typhus, Grippe, Ébola, le cortège des pestilences avance d’un pas lent dans l’histoire de l’humanité.

En 1910, le choléra se répand dans le monde comme une traînée de poudre. L’Italie, au début de l’année, est d’abord touchée où l’on recense quelques dizaines de morts avant de voir une intensification de la crise. En septembre, Naples enregistre en vingt-quatre heures trente-deux nouveaux cas de choléras. Vingt-six personnes en mourront. Mais c’est l’ancien Empire allemand qui est le plus durement frappé avec près de 80'000 victimes qui meurent lentement de la maladie durant les sept premiers mois de l’année. En Russie, les autorités allaient renoncer à faire des comptages, se contentant de déclarer Moscou officiellement contaminée. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, un aristocrate allait être arrêté à Odessa pour avoir détourné l’argent qui lui avait été confié et qui aurait dû payer les gages des médecins engagés contre la maladie. La Turquie, l’Empire austro-hongrois, le Yémen, l’Égypte, le choléra est partout. Il ne cède sa place qu’en Manchourie où la peste fait des ravages, frappant des tribus entières de nomades et décimant des villes entières.

L’Occident réalise alors qu’en quelques jours seulement le mal noir pouvait l’atteindre par le biais du transsibérien. La Chine n’allait pas tarder à demander, en février 1911, l’aide du reste du monde en sollicitant médecins et experts pour lutter contre le fléau. Le pays n’en n’était pas à sa première contamination de peste. Le Suisse Alexandre Yersin avait d’ailleurs découvert le bacille de la peste à Canton en 1894, lors d’une épidémie précédente. Mais le Morgien avait isolé le facteur de la peste bubonique et non celui de la peste pulmonaire qui dévastait alors le pays du Milieu.

En mars de cette même année, une épidémie de typhus avait éclaté en Suisse, parmi les ouvriers du tunnel du Loetschberg. Quarante personnes devaient être évacuées à Brigue pour se faire soigner à l’hôpital. Cinq mois plus tard, c’est Hérémence, dans le cœur du Valais, qui connaît une épidémie de typhus. Un modeste constat, fort heureusement, par rapport à la Turquie qui enregistre au même moment une forte recrudescence de choléra, et à l’Espagne où Barcelone est touchée tout comme plusieurs villages de la province de Gérone entraînant l’exode de centaines de familles dans le sud de la France. Le mois suivant, les Espagnols allaient subir un autre fléau. Le typhus allait ainsi frapper près de 2'500 personnes en l’espace de quelques jours, en tuant vingt-sept quotidiennement dans la province d’Oviedo.

En janvier 1912, l’Occident réagit enfin. Plusieurs pays organisent en janvier une conférence sanitaire internationale qui se déroule à Paris. Une convention devait être signée réglant les mesures sanitaires afin d’enrailler les propagations, plus particulièrement de trois maladies pestilentielles : la peste, le choléra et la fièvre jaune. Les dispositions furent prises sur le rapport du docteur Calmette, alors directeur de l’Institut Pasteur à Lille.

La Suisse, quant à elle, allait mettre une année de plus à consolider son système sanitaire. Les cantons allaient demander au peuple de se prononcer sur un nouvel article constitutionnel concernant la lutte contre la maladie et les épizooties donnant à la Confédération la possibilité de légiférer de manière centrale sur les mesures de police sanitaire à prendre contre les maladies transmissibles. La Berne fédérale n’avait toutefois pas attendu de mesurer l’ampleur du problème des épidémies dans le monde pour entamer différentes démarches dans le domaine. En 1908 déjà, elle avait subventionné un comité de scientifiques chargés d’étudier les causes et les moyens de lutter contre le crétinisme endémique, maladie qui affectait gravement certaines contrées de Suisse, mais le projet législatif de 1913 représentait une réponse plus ambitieuse aux préoccupations du temps.

Rien ne devait toutefois permettre à l’Europe d’endiguer l’épidémie sans doute la plus dramatique du XXème siècle, la grippe espagnole, qui devait tuer plus de personnes en quelques mois que les quatre années de la Première Guerre mondiale qui avaient pourtant vu périr vingt millions d’êtres humains. 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.