Politique, écologie et société

Taxe aux urgences: une proposition injuste et inefficace

En ne classant pas une initiative parlementaire des Verts libéraux demandant l’instauration d’une taxe de 50 CHF aux urgences, le Conseil national a montré qu’il a une vision court-termiste et agit contre l’intérêt des patient·e·s et des professionnel·le·s de la santé.

 

Crises sanitaire et énergétique, pénurie de médecins, burnout du personnel soignant, vieillissement de la population, hausse des primes d’assurance maladie ou encore la surconsommation de soins. Les menaces qui pèsent sur la durabilité de notre système de santé se sont fortement accrues ces dernières années, faisant craindre une dégradation de sa qualité et un renforcement des inégalités sociales de santé. On peut rajouter à ce constat, le bilan énergétique et écologique très lourd de notre système de santé centré sur des soins (ultra)spécialisés: le bilan carbone du système de santé suisse correspondant à environ 1 tonne de CO2 par habitant par année, soit 6.7% des émissions nationales(1). Il y a urgence pour réformer la manière dont nous organisons les soins et garantissons la meilleure santé de la population.

 

Obnubilé par les coûts de la santé et la hausse impopulaire des primes d’assurance-maladie, le parlement manque cruellement de vision pour notre système de santé et se retrouve dans l’incapacité chronique d’y apporter les réformes nécessaires à sa pérennisation.

Pire, sous l’influence toujours plus grande du lobby des assureurs, il soutient des propositions à rebours du bon sens clinique qui risquent d’affaiblir l’accès aux soins de populations déjà socialement vulnérabilisées. Comme cette décision de septembre 2022 de ne pas classer une initiative parlementaire des Verts libéraux demandant l’instauration d’une taxe aux urgences pour les cas dits « bénins ». Le principe d’une telle taxe est de faire payer un montant, par exemple 50 CHF, à toute personne s’étant rendue aux urgences sans qu’un médecin l’y ait envoyé ou sans qu’une hospitalisation en résulte.

 

Comment savoir a priori qui aura besoin de soins d’urgence?

Sur le plan médical, l’instauration d’une telle taxe posera un problème majeur d’identification des réels besoins des patient·e·s puisque les critères financiers pourraient se substituer aux critères médicaux pour définir l’accès ou la décision d’aller aux urgences.

En effet, différencier une situation clinique nécessitant une consultation dans un service d’urgences d’une situation pouvant être prise en charge par le·la médecin de premier recours n’est pas aisé. Une étude, publiée en 2013 déjà dans un prestigieux journal de médecine américain, avait analysé plus de 34 000 consultations aux urgences aux États-Unis pour distinguer celles que l’on pouvait considérer, a posteriori, comme non urgentes et relevant de la médecine de premier recours de celles nécessitant une hospitalisation ou des soins urgents(2). Seuls 6,3 % des consultations pouvaient être classées dans la catégorie relevant de la « médecine de premier recours ». De plus, les patient·e·s entrant dans cette catégorie arrivaient aux urgences avec 88,7 % de symptômes similaires à celles et ceux ayant un diagnostic nécessitant une prise en charge urgente(3).

Comment donc définir a priori qui aura besoin ou non de soins urgents? De plus, il se posera la question de savoir qui devra déterminer si une visite est justifiée ou non, au risque d’engendrer un ralentissement des flux et surtout de nuire à la relation médecin-patient·e. La taxe jouera un rôle punitif pour les patient·e·s qui ne seraient pas parvenus à convaincre leur médecin de la légitimité de leur consultation.

 

Une taxe socialement injuste

 

L’instauration d’une telle taxe est socialement injuste. On sait que l’utilisation fréquente des services d’urgence est, pour une grande partie des patient·e·s socialement précarisé·e·s, le signe d’un mauvais accès au système de santé ambulatoire et l’absence de médecin généraliste. Cette taxe rendra plus difficile leur accès aux soins et augmentera le risque de consultations tardives aux urgences. Ce qui aura pour conséquence sanitaire supplémentaire une augmentation de la mobilisation de ressources humaines et financières. Il a en effet été démontré qu’une participation aux frais plus élevée pouvait conduire, in fine, à des dépenses de santé plus importantes au niveau du système de santé dans sa globalité(4).

15-20% de la population a déjà renoncé à des soins pour des raisons financières (5,6).

D’ailleurs, la Suisse est déjà équipée de plusieurs instruments financiers incitant à renoncer à des soins tels que la franchise et la quote-part. Il faut ajouter à cela des primes non proportionnelles au revenu des ménages.  On sait que 15-20% de la population a déjà renoncé à des soins pour des raisons financières. Une augmentation de ces renoncements aux soins, y compris pour des besoins cliniques qui auraient nécessité une prise en charge rapide, est donc à craindre.

Pourtant, cela n’a pas empêché le Parlement de soutenir jusqu’ici le principe de l’instauration de cette taxe, contre l’avis de l’ensemble des acteurs de la santé, à l’exception des assurances-maladies.

 

Lutter contre la fréquentation excessive des services d’urgence: des solutions existent

 

Or, des solutions pragmatiques, efficaces et équitables existent pour lutter contre la fréquentation excessive des services d’urgence. On peut citer notamment le case management pour les patient·e·s avec des besoins socio-sanitaires importants, le renforcement de la coordination avec les médecins de premier recours, ou encore l’ouverture de lignes téléphoniques de triage. Ces mesures nécessitent toutefois une certaine volonté politique des autorités, et non pas un recours à des solutions simplistes et contre-productives.

Il est dès lors à espérer que dans la mise en application de cette initiative, le Parlement et le Conseil fédéral sauront tenir compte de l’avis de l’ensemble des acteurs du système de santé, y compris des patient·e·s, pour limiter au maximum les conséquences délétères potentielles de l’instauration d’une taxe aux urgences. En particulier, ils devront veiller à limiter le fardeau administratif pour les professionnel·le·s de la santé, déjà fortement sous pression depuis de nombreuses années et éviter un accroissement des iniquités de santé entre catégories de la population en assurant l’accès universel à des soins de qualité à toutes et tous.

 

La santé ne doit pas être un fardeau financier

 

Finalement, au-delà de cette taxe, il est grand temps que le Parlement se saisisse véritablement de la question des soins et de la santé en Suisse et qu’il y apporte des réformes pour garantir à la population suisse un système de santé durable et équitable. Ceci doit passer par un fort renforcement de la prévention et promotion de la santé – notamment dans les domaines de lutte contre les maladies métaboliques, cardiovasculaires, oncologiques, psychiatriques et les dépendances – et une vision de la santé globale et intersectorielle. Des mesures visant à améliorer la coordination interdisciplinaire et interprofessionnelle dans le suivi et la prise en charge ambulatoire des patient·e·s, en particulier avec maladies chroniques, ainsi qu’à réduire les actes de soins inutiles en généralisant des démarches telles que Smarter Medicine (www.smartermedicine.ch), semblent indispensables. Enfin, une réforme du financement du système de santé permettrait d’assurer son accessibilité à toutes et tous, et ainsi éviter que la santé ne soit un fardeau financier trop important pour les ménages à faible et moyen revenu.

Sources:

[1] Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) (2022) Pour des services de santé suisses durables dans les limites planétaires. Swiss Academies Communications 17 (4).
[2] Raven MC, Lowe RA, Maselli J, Hsia RY. Comparison of Presenting Complaint vs Discharge Diagnosis for Identifying “Nonemergency” Emergency Department Visits. JAMA 2013;309:1145-53.
[3] Ibidem

[4] Chandra A, Gruber J, McKnight R. Patient Cost-Sharing and Hospitalization Offsets in the Elderly. Am Econ Rev 2010;100:193-213.
[4] Wolff H, Gaspoz JM, Guessous I. Health Care Renunciation for Economic Reasons in Switzerland. Swiss Med Wkly 2011;141:w13165. DOI : 10.4414/smw.2011.13165
[6] Guessous I, Theler JM, Izart CD, et al. Forgoing Dental Care for Economic Reasons in Switzerland: A Six-Year Cross-Sectional Population-Based Study. BMC Oral Health 2014;14:121.

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