Offensive solaire: pourquoi il faut couvrir nos toits plutôt que nos alpages

Les grands projets photovoltaïques alpins pourront-ils produire de l’énergie avant les délais imposés par le parlement, à savoir fin 2025? Il semblerait que leur réalisation soit plus complexe que prévue. Faut-il prolonger ces délais comme le prônait le 2 juin dernier, le rédacteur en chef du Walliser Bote, Armin Bregy dans son éditorial? Au contraire, cela constitue un argument supplémentaire pour les rejeter. Démonstration.

 

Généreux subventionnement

Aujourd’hui en Suisse, la consommation d’électricité se monte à environ 60 TWh par année. La Suisse en produit globalement autant qu’elle en consomme. En été, elle exporte du courant, mais doit en importer en hiver. La loi Solarexpress a été adoptée pour palier à ce manque de production hivernale. Elle vise à installer des panneaux photovoltaïques en haute altitude, car ils produisent davantage que ceux situés en plaine. L’objectif de cette loi, c’est que 2 TWh, dont environ la moitié en hiver, soient produits par ces grandes installations solaires alpines d’ici à 2030, grâce à un généreux subventionnement de la Confédération pouvant se monter jusqu’à 60% des coûts.

 

Ces grands projets rallongeront la durée d’attente pour les privés et les PME

Pour répondre à cette question, on peut s’attarder sur la production supplémentaire d’électricité solaire hivernale en 2022. L’année dernière, les nouvelles installations solaires ont produit près de 1 TWh de courant supplémentaire dans notre pays. Dans son rapport « Production d’électricité en hiver grâce au photovoltaïque » de juin 2021, le Conseil fédéral précise qu’environ 27% de l’électricité d’origine photovoltaïque sur les bâtiments est produite pendant le semestre d’hiver. En reprenant ce pourcentage, cela veut dire que près de 0,27 TWh d’électricité solaire nouvelle a été produit en hiver en 2022.

Autrement dit, au rythme de 2022, on constate qu’en 4 ans, soit d’ici fin 2025, 1 TWh supplémentaire d’électricité solaire par an sera produit en hiver grâce aux installations posées sur les bâtiments existants. Ceci avant même que les premiers kilowattheures des grands parcs solaires soient produits. Et cette production sera très certainement plus élevée car la pose d’installations sur les premiers mois de 2023 est en augmentation comparée à l’année dernière qui était déjà une année record.

C’est là un des arguments principaux qui démontre l’inutilité des ces grands projets alpins: la demande est aujourd’hui supérieure à l’offre et la production d’électricité photovoltaïque décolle, en hiver aussi. Pourquoi dès lors allonger la durée d’attente pour les privés ou les PME qui veulent installer des panneaux solaires sur leurs toits au profit de grands groupes et investisseurs qui veulent réaliser de grands parcs en haute altitude?

En résumé, construire de grandes installations photovoltaïques en montagne ne peut se faire qu’au détriment:

  • des paysages et de la nature, et donc de ce qui fait l’attractivité de notre tourisme
  • du contribuable qui paie à hauteur de 60% la réalisation de ces grands parcs solaires alpins (alors que le privé ou la PME ne peut pas espérer plus que 30% pour une installation photovoltaïque)
  • des propriétaires privés et des entreprises qui vont devoir attendre plus longtemps avant de pouvoir se faire livrer des installations photovoltaïques sur leurs toits et façades.

 

Incohérence du Parlement

Face à ces constats, et aussi incohérent que cela puisse paraître, le Conseil des Etats vient de refuser une proposition émanant du Conseil national de rendre obligatoire la pose des panneaux solaires sur les toits et façades des nouveaux bâtiments ainsi que sur les parkings. Autrement dit, il veut construire de grandes installations photovoltaïques en montagne mais n’en veut pas sur les nouveaux bâtiments!?

Au lieu de renforcer l’énergie solaire sur les infrastructures existantes, le Parlement la freine depuis des années et bricole des solutions dans l’urgence qui aggraveront encore plus la crise climatique et celle de la biodiversité. Pourtant, il existe suffisamment de surfaces adaptées sur les toitures et les façades pour couvrir une grande partie des besoins en électricité de la Suisse grâce à l’énergie solaire. Avec les toits et les façades nous disposons d’un potentiel théorique de 67 TWh annuels. C’est plus que la consommation du pays! Rien qu’en Valais, sur les surfaces de plus de 200m2 (donc sans les maisons individuelles et les petits immeubles), on peut produire de 1 à 1,8 TWh supplémentaire d’électricité solaire, selon une récente étude du canton. Nous devons enfin exploiter ce potentiel!

 

Les Vert.e.s lancent une initiative populaire

Selon le sondage publié le 31 mai par l’Association des entreprises électriques suisses (AES), installer du solaire sur les bâtiments et les façades est de plus massivement plébiscité par la population : 97% des répondants y sont favorables !

Face à l’impossibilité de trouver une majorité au parlement pour une offensive solaire sur les infrastructures existantes, les Vert·e·s lanceront une initiative: “Une installation solaire sur chaque toit”. On peut soutenir son lancement en promettant une signature ici.

 

Taxe aux urgences: une proposition injuste et inefficace

En ne classant pas une initiative parlementaire des Verts libéraux demandant l’instauration d’une taxe de 50 CHF aux urgences, le Conseil national a montré qu’il a une vision court-termiste et agit contre l’intérêt des patient·e·s et des professionnel·le·s de la santé.

 

Crises sanitaire et énergétique, pénurie de médecins, burnout du personnel soignant, vieillissement de la population, hausse des primes d’assurance maladie ou encore la surconsommation de soins. Les menaces qui pèsent sur la durabilité de notre système de santé se sont fortement accrues ces dernières années, faisant craindre une dégradation de sa qualité et un renforcement des inégalités sociales de santé. On peut rajouter à ce constat, le bilan énergétique et écologique très lourd de notre système de santé centré sur des soins (ultra)spécialisés: le bilan carbone du système de santé suisse correspondant à environ 1 tonne de CO2 par habitant par année, soit 6.7% des émissions nationales(1). Il y a urgence pour réformer la manière dont nous organisons les soins et garantissons la meilleure santé de la population.

 

Obnubilé par les coûts de la santé et la hausse impopulaire des primes d’assurance-maladie, le parlement manque cruellement de vision pour notre système de santé et se retrouve dans l’incapacité chronique d’y apporter les réformes nécessaires à sa pérennisation.

Pire, sous l’influence toujours plus grande du lobby des assureurs, il soutient des propositions à rebours du bon sens clinique qui risquent d’affaiblir l’accès aux soins de populations déjà socialement vulnérabilisées. Comme cette décision de septembre 2022 de ne pas classer une initiative parlementaire des Verts libéraux demandant l’instauration d’une taxe aux urgences pour les cas dits « bénins ». Le principe d’une telle taxe est de faire payer un montant, par exemple 50 CHF, à toute personne s’étant rendue aux urgences sans qu’un médecin l’y ait envoyé ou sans qu’une hospitalisation en résulte.

 

Comment savoir a priori qui aura besoin de soins d’urgence?

Sur le plan médical, l’instauration d’une telle taxe posera un problème majeur d’identification des réels besoins des patient·e·s puisque les critères financiers pourraient se substituer aux critères médicaux pour définir l’accès ou la décision d’aller aux urgences.

En effet, différencier une situation clinique nécessitant une consultation dans un service d’urgences d’une situation pouvant être prise en charge par le·la médecin de premier recours n’est pas aisé. Une étude, publiée en 2013 déjà dans un prestigieux journal de médecine américain, avait analysé plus de 34 000 consultations aux urgences aux États-Unis pour distinguer celles que l’on pouvait considérer, a posteriori, comme non urgentes et relevant de la médecine de premier recours de celles nécessitant une hospitalisation ou des soins urgents(2). Seuls 6,3 % des consultations pouvaient être classées dans la catégorie relevant de la « médecine de premier recours ». De plus, les patient·e·s entrant dans cette catégorie arrivaient aux urgences avec 88,7 % de symptômes similaires à celles et ceux ayant un diagnostic nécessitant une prise en charge urgente(3).

Comment donc définir a priori qui aura besoin ou non de soins urgents? De plus, il se posera la question de savoir qui devra déterminer si une visite est justifiée ou non, au risque d’engendrer un ralentissement des flux et surtout de nuire à la relation médecin-patient·e. La taxe jouera un rôle punitif pour les patient·e·s qui ne seraient pas parvenus à convaincre leur médecin de la légitimité de leur consultation.

 

Une taxe socialement injuste

 

L’instauration d’une telle taxe est socialement injuste. On sait que l’utilisation fréquente des services d’urgence est, pour une grande partie des patient·e·s socialement précarisé·e·s, le signe d’un mauvais accès au système de santé ambulatoire et l’absence de médecin généraliste. Cette taxe rendra plus difficile leur accès aux soins et augmentera le risque de consultations tardives aux urgences. Ce qui aura pour conséquence sanitaire supplémentaire une augmentation de la mobilisation de ressources humaines et financières. Il a en effet été démontré qu’une participation aux frais plus élevée pouvait conduire, in fine, à des dépenses de santé plus importantes au niveau du système de santé dans sa globalité(4).

15-20% de la population a déjà renoncé à des soins pour des raisons financières (5,6).

D’ailleurs, la Suisse est déjà équipée de plusieurs instruments financiers incitant à renoncer à des soins tels que la franchise et la quote-part. Il faut ajouter à cela des primes non proportionnelles au revenu des ménages.  On sait que 15-20% de la population a déjà renoncé à des soins pour des raisons financières. Une augmentation de ces renoncements aux soins, y compris pour des besoins cliniques qui auraient nécessité une prise en charge rapide, est donc à craindre.

Pourtant, cela n’a pas empêché le Parlement de soutenir jusqu’ici le principe de l’instauration de cette taxe, contre l’avis de l’ensemble des acteurs de la santé, à l’exception des assurances-maladies.

 

Lutter contre la fréquentation excessive des services d’urgence: des solutions existent

 

Or, des solutions pragmatiques, efficaces et équitables existent pour lutter contre la fréquentation excessive des services d’urgence. On peut citer notamment le case management pour les patient·e·s avec des besoins socio-sanitaires importants, le renforcement de la coordination avec les médecins de premier recours, ou encore l’ouverture de lignes téléphoniques de triage. Ces mesures nécessitent toutefois une certaine volonté politique des autorités, et non pas un recours à des solutions simplistes et contre-productives.

Il est dès lors à espérer que dans la mise en application de cette initiative, le Parlement et le Conseil fédéral sauront tenir compte de l’avis de l’ensemble des acteurs du système de santé, y compris des patient·e·s, pour limiter au maximum les conséquences délétères potentielles de l’instauration d’une taxe aux urgences. En particulier, ils devront veiller à limiter le fardeau administratif pour les professionnel·le·s de la santé, déjà fortement sous pression depuis de nombreuses années et éviter un accroissement des iniquités de santé entre catégories de la population en assurant l’accès universel à des soins de qualité à toutes et tous.

 

La santé ne doit pas être un fardeau financier

 

Finalement, au-delà de cette taxe, il est grand temps que le Parlement se saisisse véritablement de la question des soins et de la santé en Suisse et qu’il y apporte des réformes pour garantir à la population suisse un système de santé durable et équitable. Ceci doit passer par un fort renforcement de la prévention et promotion de la santé – notamment dans les domaines de lutte contre les maladies métaboliques, cardiovasculaires, oncologiques, psychiatriques et les dépendances – et une vision de la santé globale et intersectorielle. Des mesures visant à améliorer la coordination interdisciplinaire et interprofessionnelle dans le suivi et la prise en charge ambulatoire des patient·e·s, en particulier avec maladies chroniques, ainsi qu’à réduire les actes de soins inutiles en généralisant des démarches telles que Smarter Medicine (www.smartermedicine.ch), semblent indispensables. Enfin, une réforme du financement du système de santé permettrait d’assurer son accessibilité à toutes et tous, et ainsi éviter que la santé ne soit un fardeau financier trop important pour les ménages à faible et moyen revenu.

Sources:

[1] Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) (2022) Pour des services de santé suisses durables dans les limites planétaires. Swiss Academies Communications 17 (4).
[2] Raven MC, Lowe RA, Maselli J, Hsia RY. Comparison of Presenting Complaint vs Discharge Diagnosis for Identifying “Nonemergency” Emergency Department Visits. JAMA 2013;309:1145-53.
[3] Ibidem

[4] Chandra A, Gruber J, McKnight R. Patient Cost-Sharing and Hospitalization Offsets in the Elderly. Am Econ Rev 2010;100:193-213.
[4] Wolff H, Gaspoz JM, Guessous I. Health Care Renunciation for Economic Reasons in Switzerland. Swiss Med Wkly 2011;141:w13165. DOI : 10.4414/smw.2011.13165
[6] Guessous I, Theler JM, Izart CD, et al. Forgoing Dental Care for Economic Reasons in Switzerland: A Six-Year Cross-Sectional Population-Based Study. BMC Oral Health 2014;14:121.

Albert Rösti au DETEC: les craintes se confirment

Le nouveau patron du Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a passé mercredi son grand oral devant les principaux acteurs de la branche électrique lors du 14e Congrès suisse de l’électricité à Berne. Lors de son allocution, il a dévoilé les grandes orientations qu’il entend donner dans son département. Et confirmé certaines craintes que sa nomination a amenées auprès des milieux défenseurs de l’environnement. Tour d’horizon en trois points.

 

La protection du paysage et la biodiversité sacrifiées sur l’autel de la production énergétique

Message principal martelé par l’élu UDC : il faut rapidement produire plus d’énergie indigène, en particulier rehausser les barrages existants ou en construire de nouveaux ainsi que réaliser de grandes centrales solaires dans les Alpes. Si accélérer la production d’énergie renouvelable dans le pays est un objectif que tout le monde partage, ce sont les pistes privilégiées qui posent problème. La priorité devrait aller à l’installation de panneaux solaires sur les infrastructures et toits existants ainsi qu’à la sobriété énergétique. Ce dernier point est malheureusement totalement absent dans le radar du nouveau ministre de l’environnement.

Quant à l’affirmation que les intérêts de la production énergétique doivent passer clairement avant ceux du paysage et de la biodiversité, elle montre bien qu’Albert Rösti ne considère pas que la biodiversité en Suisse est en danger. Selon son propre office de l’environnement, la moitié des milieux naturels et un tiers des espèces y sont pourtant menacés. Et qu’il ne comprend pas les interactions entre biodiversité et climat et notamment le rôle important que la biodiversité peut jouer en matière climatique, comme par exemple le captage du CO2 dans les zones humides.

De plus le nouvel élu au Conseil fédéral entend accélérer les procédures concernant les centrales photovoltaïques alpines en évitant que des recours soient déposés par de petites organisations régionales. Autrement dit un nouveau coup de canif dans le droit de recours qui ne respecte pas l’état de droit en voulant abolir la pesée des intérêts entre production d’énergie et protection de la biodiversité.

 

Un message ambigu sur la protection du climat

Le Parlement a adopté en septembre dernier le contre-projet indirect à l’Initiative pour les glaciers. Cette “Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique” ancre l’objectif de la neutralité carbone pour 2050 et met 2 milliards à disposition pour le remplacement des chauffages fossiles et l’assainissement des bâtiments ainsi que 1,2 milliards pour soutenir les innovations dans la décarbonation de l’économie.

Albert Rösti est membre du comité d’initiative qui a lancé le référendum contre cette loi et nous voterons en juin prochain sur ce sujet. Il se veut maintenant rassurant dans son nouvel habit de Conseiller fédéral et reprend à son compte l’objectif du gouvernement d’atteindre la neutralité climatique. Il affirme même que la lutte contre le changement climatique doit être placée tout en haut de l’agenda politique. Très bien. Mais dans quelle mesure Albert Rösti s’engagera-t-il avec conviction contre un référendum qu’il a lui-même lancé ? Dans la même veine, l’ancien président d’auto suisse, l’association des importateurs suisses d’automobiles, va-t-il poursuivre une politique, favorable au climat, de transfert modal des transports individuels motorisés vers les transports publics alors qu’il l’a toujours combattue jusqu’ici ?

 

Le retour du nucléaire

Avec l’acceptation de la Stratégie énergétique 2050, le peuple suisse a clairement approuvé la sortie du nucléaire. Or pour le nouveau conseiller fédéral, ancien lobbyiste du nucléaire, la durée de vie des centrales existantes doit être prolongée au maximum. Dans son discours, il a même évoqué la possibilité d’aider les exploitants des centrales nucléaires afin qu’ils puissent financer les investissements nécessaires à la prolongation de vie de leurs centrales. Cette promesse d’aide au secteur nucléaire marque un clair changement de cap par rapport à Simonetta Sommaruga.

Idem sur la question des nouvelles centrales nucléaires. Là aussi Albert Rösti prend le contrepied du Conseil fédéral en se montrant ouvert à la construction de nouvelles centrales nucléaires. Aucun argument ne plaide pourtant pour la filière nucléaire, à la fois très coûteuse et dangereuse.

 

Les premières prises de parole officielles d’Albert Rösti comme chef du DETEC ne sont guère rassurantes. Pour les Vert.e.s et toutes les personnes préoccupées par les défis environnementaux, il s’agira de se montrer particulièrement vigilants ces prochains mois pour scruter les positions d’Albert Rösti et voir sa capacité à véritablement respecter la collégialité plutôt que défendre les points de vue de l’UDC.

 

 

La croissance économique est le problème, pas la solution

Dans un contexte multi-crises, l’année 2023 s’annonce difficile. Et si c’était l’occasion de changer de cap et de passer à une économie post-croissance?

 

Changer les indicateurs pour mesurer la réussite économique

 

Réchauffement climatique,  effondrement de la biodiversité, contexte géopolitique incertain, problème d’approvisionnement énergétique, hausse des prix de l’énergie, retour de l’inflation, manque de main-d’œuvre dans certains secteurs, à première vue, l’année 2023 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices.

Face à ces crises qui s’accumulent, le moment est venu de s’interroger sur les limites de la croissance économique et sur le « sens de la vie ». Le succès d’un pays et le bonheur d’une société peuvent-ils être mesurés uniquement à l’aune de la croissance continue du produit intérieur brut (PIB) ou devrions-nous fixer d’autres critères pour mesurer la réussite? La croissance nous est présentée comme un indicateur de progrès et de bien-être, et donc de bonheur, et constitue depuis des décennies l’objectif affirmé et indépassable des politiques de développement économique des sociétés modernes. Et aussi comme LA solution à toutes les difficultés sociales et environnementales: il faudrait plus de croissance afin d’amener la richesse qui permettra de résoudre les problèmes de pauvreté, de climat ou de biodiversité.

Le PIB s’est ancré comme mesure universelle du bonheur malgré ses limites aujourd’hui reconnues.

Depuis le milieu du 20ème siècle, l’indicateur utilisé pour évaluer le succès d’un pays est le Produit Intérieur Brut (PIB). Cet indicateur économique mesure la valeur totale de la « production de richesse » effectuée par les agents économiques (ménages, entreprises, administrations publiques) résidant à l’intérieur d’un pays ou d’une région. Le PIB s’est ancré comme mesure universelle du bonheur malgré ses limites aujourd’hui reconnues.

Le PIB ne tient en particulier pas compte des effets néfastes comme la pollution de l’air, la destruction de la biodiversité ou le bruit. Ni des prestations non marchandes comme le travail domestique et le travail bénévole. Nous sommes toutes et tous influencés par ce type d’indicateurs qui nous sont servis chaque jour comme étalon du bien-être. Ainsi, lorsque nous apprenons que le PIB stagne ou diminue, nous pensons automatiquement que nous allons vers des temps difficiles. Le PIB est donc plus qu’un indicateur “technique”, c’est aussi un puissant colonisateur de nos imaginaires.

D’autres indicateurs ont vu le jour pour mettre le doigt sur des dimensions non prises en compte par le PIB. Par exemple l’empreinte écologique: elle montre qu’en 2022 l’humanité a vécu à crédit depuis le 28 juillet, jour du dépassement, soit le jour où elle a dépensé son quota annuel de ressources naturelles disponibles. En 1970 c’était le 23 décembre et année après année, la date est de plus en plus précoce.

 

Façonner un avenir avec moins de biens et plus de liens

 

En Suisse, l’année dernière, ce jour du dépassement a eu lieu le 13 mai. En 2016, c’était déjà le 18 avril. Autrement dit, la Suisse s’améliore et c’est réjouissant. Mais malgré ce progrès, si tous les habitants du monde consommaient comme nous, il nous faudrait près de 3 planètes pour fournir les ressources dont nous avons besoin pour assurer notre train de vie. Nous vivons donc à crédit au détriment des générations futures et des autres régions du monde, comme le reconnaît clairement la Confédération sur la page du site de l’Office fédéral de la statistique consacrée à l’empreinte écologique.

L’avenir n’est-il pas de favoriser une sobriété heureuse avec moins de biens et plus de liens?

Que faire ? Le progrès technologique et l’action politique peuvent apporter certaines solutions, j’en suis convaincu. Mais ce ne sera pas suffisant. N’est-il pas temps, individuellement et collectivement, de changer nos modes de vie en privilégiant davantage les relations solidaires avec nos proches ainsi que le respect de la nature et des écosystèmes? Et accorder moins d’importance à l’accumulation sans fin de biens matériels comme “l’exige” notre société de consommation basée sur la croissance? L’avenir n’est-il pas de favoriser une sobriété heureuse avec moins de biens et plus de liens en entamant, dans nos pays riches, un processus de décroissance économique ?

Chacun trouvera ses propres réponses à ces questions. Mais une chose est sûre, l’amour et l’amitié sont des sentiments qui eux, doivent incontestablement croître! Je vous souhaite une très belle année 2023.

 

P.S.: si ce sujet croissance/décroissance économique vous intéresse, je vous recommande vivement la lecture du livre de l’économiste Timothée Parrique, Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance, Seuil, 2022.

À quoi pourrait ressembler une politique alimentaire durable?

Sujet hautement émotionnel, remettre en cause la politique agricole et en particulier notre attachement à la viande suscite des réactions parfois violentes. Pourtant, selon un récent rapport, réduire le nombre d’animaux de rente et la consommation de viande sont les plus sûrs moyens pour que l’agriculture suisse atteigne ses objectifs de diminution de ses émissions polluantes.

 

Création d’une assemblée citoyenne


Afin d’impliquer la population dans les réflexions sur ces défis, différentes organisations dont la Fondation Biovision, le Sustainable Development Solution Network (SDSN) et Agriculture du Futur ont décidé de créer une assemblée citoyenne, avec le soutien de trois offices fédéraux.


L’objectif de cet assemblée officiellement lancée en juin dernier est clair. Il s’agit de répondre à la question suivante : « 
À quoi doit ressembler une politique alimentaire pour la Suisse qui, d’ici 2030, mette à la disposition de tous des aliments sains, durables, respectueux des animaux et produits de manière équitable ? ».

 

Quels pourraient être les avantages potentiels de ce type de démarche de démocratie participative?

La situation semble aujourd’hui bloquée au niveau parlementaire pour faire évoluer de manière plus durable la politique agricole et plus généralement la politique alimentaire de la Suisse. Pourtant les défis sont nombreux, entre production de denrées alimentaires, préservation de la biodiversité et du climat et juste rémunération des agriculteurs.trices.

La composition de l’assemblée citoyenne se distingue de celles de nos parlements. En effet, 85 participant·e·s ont été tiré·e·s au sort en fonction de critères garantissant une représentativité des sexes, des âges, des niveaux d’éducation, des opinions politiques ou encore des lieux de vie. Ce type de sélection permet de garantir une diversité au sein de l’assemblée qui se rapproche de celle présente dans la population. Contrairement au Parlement fédéral qui demeure un organe socialement très sélectif se composant essentiellement d’universitaires, d’entrepreneurs·euses, de professions libérales ou de politicien·ne·s professionnel·le·s.

 

Lobbyisme citoyen et participatif

 

De cette manière, des groupes de population ne faisant d’ordinaire pas partie des décideurs politiques sont amenés à réfléchir sur des thématiques précises et à formuler des recommandations à l’intention des élu·e·s. Pour les accompagner, des professionnels chargés de modérer les débats et un panel d’expert·e·s.

 

Si le processus est nouveau à l’échelle suisse, de telles assemblées citoyennes ont déjà vu le jour dans d’autres pays. En France voisine par exemple, une Convention Citoyenne pour le climat – rassemblant 150 personnes tirées au sort et représentant la diversité de la société françaises – avait été créée par Emmanuel Macron à l’automne 2019, avec pour objectif de proposer des mesures pour réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 dans une logique de justice sociale. En juin 2020, 149 propositions avaient été formulées par la Convention Citoyenne. Cela ne suffit toutefois pas à en faire un exercice réussi, la dernière étape étant la reprise de ses mesures par les milieux politiques.

 

Il est à cet effet frappant de constater que seules 10 % des mesures proposées par la Convention Citoyennes ont été reprises sans modification par le gouvernement français!

 

Quelle politique agricole pour la Suisse? La réduction de l’empreinte environnementale du secteur agricole est l’objectif de la démarche de l’assemblée citoyenne. Image: Unsplash

Le système politique suisse étant assez différent du système français, on peut espérer que le Conseil fédéral et le Parlement seront prêts à étudier plus en profondeur les recommandations que l’assemblée citoyenne pour une politique alimentaire rendra publiques en février 2023. Le secteur agricole devra lui aussi participer à l’effort collectif et diminuer son empreinte environnementale, la réduction d’au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de l’agriculture à l’horizon 2050 étant un objectif fixé par la Confédération, même si cet objectif est inférieur à celui imposé à d’autres domaines.

Aujourd’hui les fronts sont bloqués entre tenants de l’agriculture conventionnelle et ceux qui souhaitent une agriculture décarbonée et sans pesticides. Espérons que l’Assemblée citoyenne parviendra à réconcilier (un peu) ces deux fronts.

 

A qui profite vraiment l’élevage industriel?

L’initiative contre l’élevage intensif serait, selon les opposants, une nouvelle lutte acharnée contre le secteur agricole, et elle porterait atteinte à la souveraineté alimentaire suisse. C’est loin d’être le cas. Elle a le mérite de répondre à de nombreux enjeux, tant au niveau éthique, environnemental, économique que de la santé humaine.

Le texte de l’initiative veut inscrire dans la Constitution helvétique la protection de la dignité des animaux de rente et l’interdiction de l’élevage intensif. Il prévoit que, d’ici 25 ans, les exigences de bien-être du bétail et de la volaille atteignent au moins les critères du cahier des charges 2018 du label Bio Suisse.

Et oui, derrière le steak, le filet-mignon, la cuisse, il y a un bœuf, un porc ou un poulet. Des animaux que notre Code civil ne considère pas comme des choses mais comme des êtres qui ont une dignité. Et nous devons améliorer la manière dont nous en élevons une partie.

 

L’élevage intensif nuit à l’environnement et au climat

En Suisse, le bétail est responsable d’environ 10% des émissions de gaz à effet de serre indigènes. Comment? En rotant, pétant ou déféquant, le bétail rejette du méthane dans l’atmosphère, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2. La production de viande a également un impact considérable sur les émissions d’azote et de phosphore. Ces apports excessifs viennent principalement du fait que notre cheptel, dans la filière porcine et de la volaille principalement, n’est pas dimensionné en fonction de notre base fourragère et dépend de l’importation de 1,4 million de tonnes de fourrages étrangers chaque année. L’équilibre est rompu. Le lisier sursature nos sols et nos eaux en azote et en phosphore. (A lire également: Pollution à l’azote: l’autre fardeau de l’élevage.) Cet excès porte donc préjudice à la fois à la qualité des eaux, du sol, de l’air, au bilan des gaz à effet de serre, aux fonctions sylvicoles ainsi qu’à la biodiversité.

 

Une énorme part de fourrage est importé

Dans notre pays le cheptel d’animaux de rente ne cesse d’augmenter alors même que le nombre d’exploitations agricoles ne cesse lui de diminuer. Les élevages industriels de poulet se multiplient (27% de plus entre 2009 et 2019). Pour nourrir ces bêtes, il faut beaucoup de fourrage. Si deux tiers des terres arables en Suisse sont cultivées pour nourrir les animaux de rente, on importe également énormément de fourrage, parfois d’outre-mer. Si les chèvres ou les moutons sont nourries à 94% et les bovins à 86% par des fourrages indigènes, cette part tombe à 48% pour les porcs et même à 26% pour la volaille. Les poulets suisses sont ainsi quasiment des produits «hors sol» dont la nourriture est produite en grande partie sur des terres agricoles étrangères.

 

Une feuille A4 par poulet

Dans une exploitation de production animale intensive, les besoins fondamentaux des animaux ne sont pas respectés. De grands groupes d’animaux n’ont pas d’accès régulier à l’extérieur, ni de suivi vétérinaire approprié. Ils sont de plus concentrés sur la plus petite surface possible. C’est particulièrement le cas pour l’élevage des porcs (jusqu’à 10 cochons sur une place de parking) et de la volaille (une feuille A4 par poulet).

 

Poules heureuses
Le peuple peut décider si la publicité montrant des poulets ou des porcs heureux gambadant à l’extérieur doit correspondre à la réalité. Photo: Canva

Risques pour la santé

L’élevage intensif nuit à notre santé. Non seulement par l’apport excessif d’azote et de phosphore comme mentionné plus haut, mais aussi par les risques de propagation de maladies virales. Par ailleurs, les effets négatifs d’une trop grande consommation de viande sur la santé humaine sont aujourd’hui bien documentés. Chaque suisse mange en moyenne 51kg de viande (sans compter la viande achetée à l’étranger).

 

La production suisse pas pénalisée

Cet objectif d’interdire l’élevage intensif va-t-il contraindre nombre d’exploitations à la faillite comme le proclament les opposants? Dans les faits, plus de 90% des exploitations ne sont pas concernées par l’initiative car elles ont aujourd’hui déjà des modes d’élevage respectueux des animaux. Pour les autres – cela concerne essentiellement des élevages de volaille ou de porcs – un délai de mise en œuvre de 25 ans est prévu par l’initiative. De quoi avoir largement le temps de s’adapter à la nouvelle législation ou d’amortir d’éventuels investissements.

Contrairement à ce que proclament les opposants, la production suisse serait même avantagée par rapport à la production étrangère. Ces critères de bien-être animal proposés par le texte devront aussi être appliqués aux importations d’animaux et de produits d’origine animale. Aujourd’hui, nous importons en quantité des produits d’origines animales qui ne respectent pas les règles suisses et qui font une concurrence déloyale à nos propres produits. La Suisse pourra-t-elle imposer ces règles aux importations tout en respectant les accords de l’OMC? Les avis des juristes divergent. Mais c’est une bonne occasion de remettre en cause le libre-commerce dans le secteur agricole.

 

Dans la production animale industrielle, les principaux bénéficiaires sont aujourd’hui les fabricants et négociants de fourrage ainsi que la grande distribution.

 

Conscient de la nécessité de mieux tenir compte du bien-être animal tout en préservant les différents intérêts, le Conseil fédéral avait proposé un contre-projet direct, soutenu notamment par la majorité des cantons ainsi que par la Société des Vétérinaires Suisses. Il estimait en effet que des progrès doivent être réalisés en termes d’hébergement et de soins respectueux des animaux, d’accès à l’extérieur et d’abattage des animaux.

Malheureusement la majorité du parlement a refusé tout contre-projet. C’est donc maintenant au peuple de montrer, en disant oui à l’initiative, qu’il souhaite que la publicité montrant des poulets ou des porcs heureux gambadant à l’extérieur corresponde à la réalité. Et qu’il soutient les éleveurs car dans la production animale industrielle les principaux bénéficiaires sont aujourd’hui les fabricants et négociants de fourrage ainsi que la grande distribution.

A lire: L’élevage intensif nuit-il au climat

Procès climatiques: les tribunaux ont-ils une responsabilité d’agir?

Depuis maintenant plusieurs années, les tribunaux helvétiques, comme ceux d’autres États, doivent traiter des «affaires climatiques». Ceci amène à réfléchir sur les conflits de compétence entre le pouvoir judiciaire et le monde politique.

 

Qu’il s’agisse d’actions en justice contre des États pour inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique, de plaintes contre des entreprises pour atteintes à l’environnement ou encore d’actes de désobéissance civile pour le climat, les «affaires climatiques» se sont multipliées dans les tribunaux du monde entier. La Suisse a aussi connu quelques affaires retentissantes, parmi lesquelles la partie de tennis dans les locaux d’une succursale de la banque Crédit Suisse et le recours des Ainées pour la protection du climat, toutes deux actuellement en cours de traitement par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

 

Que faire lorsque les États ne respectent pas leurs engagements?

Les États se sont engagés à prendre des mesures fortes en matière de lutte contre le réchauffement climatique, par le biais notamment de traités internationaux tel que l’Accord de Paris. Que peuvent faire les citoyen·ne·s lorsque les États ne respectent pas ces engagements?

Sur le plan juridique, en l’absence de juridiction internationale à même de sanctionner l’inaction des États, les citoyen·ne·s n’ont d’autre choix que d’actionner les tribunaux nationaux.

Au nombre des instruments classiques de mobilisation telles que les manifestations, les actions de désobéissance civile ou les pétitions s’ajoutent donc les actions en justice. Si le phénomène n’est pas nouveau, il a pris une ampleur considérable, forçant les tribunaux à prendre des positions parfois novatrices, à l’image de la Cour suprême des Pays-Bas qui en 2019 condamna l’État néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans la célèbre affaire Urgenda.

Comme l’ont démontré différents procès, les tribunaux peuvent s’engager sur la voie de la justice climatique tout en respectant les cadres législatifs existants et en ne portant pas atteinte à la séparation des pouvoirs. Pour ce faire, deux éléments particulièrement importants ressortent des contentieux climatiques ayant marqué le monde juridique.

En premier lieu, les juges peuvent s’appuyer sur les travaux scientifiques et entendre des expert·e·s. Si les connaissances scientifiques en matière de climat et d’environnement influencent les modifications législatives, elles peuvent aussi peser sur les décisions juridiques, notamment lorsqu’il s’agit d’analyser le caractère imminent d’une atteinte ou le risque qu’une atteinte se produise à l’avenir.

 

Droit à un environnement sûr, propre, sain et durable

En second lieu, les contentieux climatiques ont accentué le phénomène de «verdissement» des droits fondamentaux, à savoir l’intégration de considérations écologiques dans l’interprétation des droits humains. Le 8 octobre 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a même franchi un pas de plus en adoptant une résolution visant à reconnaître un droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. Le respect des droits humains implique donc une préservation de l’environnement. Dans l’affaire Urgenda, la Cour suprême des Pays-Bas avait par exemple estimé que les droits fondamentaux à la vie et à la protection de la vie privée et familiale n’étaient plus garantis si les Pays-Bas ne réduisaient pas leurs émissions de gaz à effet de serre. En veillant au respect des droits fondamentaux, les juges ne font qu’exercer une de leurs missions essentielles dans un État de droit.

 

 

Les affaires climatiques replacent donc les tribunaux dans une position active, au cœur des enjeux sociétaux. Une position critiquée par certain·e·s juristes ou politiques.

Les tribunaux doivent-ils se contenter de réciter la loi ? Ou ont-ils le devoir d’appliquer la loi en y apportant une certaine interprétation?

Quelle que soit sa vision du rôle des juges – qui varie selon différentes théories du droit – l’on peut admettre qu’il leur est difficile pour de rendre une décision absolument objective. Les juges restent des êtres humains, et leurs décisions ne sauraient s’affranchir d’une certaine forme de jugements de valeurs, nécessaires pour passer de la loi, générale et abstraite, au cas, singulier et concret.

 

Responsabilité d’agir

Au vu de l’urgence climatique, les juges ne peuvent se contenter d’observer passivement une crise planétaire qui les dépasserait. Leur rôle n’est-il pas au contraire d’occuper une place dans le contentieux climatique ? Osons même reconnaître au pouvoir judiciaire une certaine responsabilité d’agir. Les enjeux environnementaux sont trop importants pour qu’un des trois pouvoirs garantissant l’équilibre de notre démocratie s’en désintéresse.

Frontex: les dérives de la politique migratoire européenne

Dans son édition du 26 avril, Le Temps nous apprend qu’un article lié à Frontex est censuré par l’Office fédéral des douanes (OFDF). Le journaliste du Temps cherchait à répondre à la question fondamentale de cette votation : « En participant à Frontex, la Suisse renforce-t-elle la protection des droits fondamentaux des migrants ou ne se fait-elle pas la complice des corps nationaux de garde-frontières – notamment celui des Grecs – qui n’hésitent pas à les refouler sans scrupules ? »

 

Censure

L’OFDF n’a pas autorisé la parution de l’article qui contenait le portrait déjà réalisé d’un garde-frontière genevois et a refusé toute demande d’interview de son vice-directeur, membre du conseil d’administration de Frontex. On ne peut que regretter cette attitude, qui met forcément la puce à l’oreille.

La question du journaliste était pourtant dans le mille. En moins d’une décennie, des dizaines de milliers de personnes ont péri en Méditerranée. Aux portes de l’Europe, de ses ports, de ses plages, de ses stations balnéaires. Chaque année, ce drame humain se reproduit, et de nouveaux corps agrandissent le grand cimetière bleu, sous les yeux indifférents des dirigeant·e·s et des populations européennes. Ce tragique constat, il convient de le garder à l’esprit lorsque l’on parle de politique migratoire européenne et lorsque se pose la question de l’augmentation du budget de l’Agence Frontex.

 

Bafouement du droit international

Frontex, c’est l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Cette agence fait l’objet de nombreuses critiques, en raison notamment de son manque de transparence et des violations des droits humains qu’elle ne dénonce pas ou dont elle se rend coupable. Des enquêtes journalistiques et des rapports d’organisations d’aide aux réfugié·e·s font état de renvois collectifs et de refoulements bafouant le droit international. Des violences à l’encontre des personnes migrantes sont relatées aux frontières de l’Europe, sans que les pays membres de l’UE n’interviennent. Du fait des agissements de Frontex, les droits des réfugié·e·s ne sont pas respectés. L’agence est notamment accusée d’avoir participé à des opérations consistant à repousser des embarcations de migrant·e·s au large des côtes (opérations dites «push-back»). Le 27 avril, une enquête publiée par le quotidien Le Monde et Lighthouse Reports a démontré qu’entre mars 2020 et septembre 2021, Frontex a répertorié des renvois illégaux de migrants, parvenus dans les eaux grecques, comme de simples “opérations de prévention au départ, menées dans les eaux turques”.

Image: pixabay.com

En couvrant – voire en prenant part à – ce genre de pratiques au lieu de les dénoncer, Frontex empêche les personnes migrantes de faire valoir leurs droits et de déposer une demande d’asile, étape initiale et indispensable de toute procédure d’asile.

 

L’augmentation massive du budget de Frontex de la part de la Suisse et des autres États membres des accords Schengen contribuera à renforcer davantage la militarisation de l’Agence, alors même qu’elle souffre de graves dysfonctionnements.

 

La contribution de la Suisse à Frontex s’élevait à 24 millions de francs en 2021. L’extension prévoit une contribution de 61 millions en 2027. L’augmentation massive du budget de Frontex de la part de la Suisse et des autres États membres des accords Schengen contribuera à renforcer davantage la militarisation de l’Agence, alors même qu’elle souffre de graves dysfonctionnements, ayant entre autres conduit à la récente démission de son directeur le 28 avril dernier. L’objectif principal de cette augmentation de budget n’est pas de garantir un meilleur respect des droits humains des personnes migrantes, mais de continuer à fortifier les frontières européennes et à mener une politique de repli incompatible avec les traités internationaux relatifs aux droits des réfugié·e·s.

 

Plus simple de fermer les yeux?

Contrairement à ce que l’on peut parfois entendre et lire autour de Frontex, la votation ne porte pas sur le retrait ou non de la Suisse de l’espace Schengen, avec ses conséquences en matière de sécurité ou de voyages touristiques. Les Vert·e·s soutiennent d’ailleurs les accords Schengen et la collaboration interétatique qu’ils prévoient. L’objet de la votation du 15 mai prochain, c’est l’arrêté fédéral ayant trait à l’extension de Frontex. En cas de non, la Suisse ne serait pas automatiquement exclue des accords Schengen mais des négociations avec les États membres de l’UE et la Commission européenne auraient lieu.

En effet, il serait plus simple de continuer à fermer les yeux sur ce qui se passe aux frontières de l’Europe. Mais au prix de rendre la Suisse coresponsable de violations des droits humains en soutenant une telle politique migratoire?

 

En s’opposant à l’extension de Frontex, le peuple suisse a la possibilité d’envoyer un signal fort non seulement au Parlement et au Conseil fédéral, en les exhortant de retravailler un projet davantage orienté sur le respect des droits humains.

 

Pourquoi ce référendum?

Durant les débats parlementaires concernant la reprise du règlement européen relatif à Frontex, des propositions visant un engagement plus important de la Suisse en matière de droits humains avaient été émises par les partis de gauche. Mais elles ont été refusées par le Parlement!

 

Image: flickr.com

En s’opposant à l’extension de Frontex, le peuple suisse a la possibilité d’envoyer un signal fort non seulement au Parlement et au Conseil fédéral, en les exhortant de retravailler un projet davantage orienté sur le respect des droits humains, mais aussi à l’agence Frontex elle-même, en montrant que ses actions et sa politique ne sont pas acceptables. De ce fait, la Suisse rejoindrait les critiques proférées par le Parlement européen ainsi que de nombreux médias et associations d’aide aux personnes migrantes à l’encontre de Frontex. Dans le but de conduire à une réforme plus large de la politique européenne, aujourd’hui dans l’incapacité de répondre aux défis migratoires avec humanité et respect de la dignité des personnes en exil. Les migrants ne sont pas des délinquants mais des personnes qui sont en situations de détresse !

 

 

La désobéissance civile est-elle légitime pour sauver le climat?

Les « procès climatiques » en cours questionnent les formes de l’engagement politique.

Menées par des jeunes activistes, personnalités publiques ou citoyen·ne·s engagé·e·s, de nombreuses actions militantes pour le climat ou l’environnement finissent devant les tribunaux. Si le phénomène n’est pas nouveau, il prend une ampleur considérable depuis quelques années. Blocage de la circulation automobile, match de tennis dans une banque, occupation d’une carrière (ZAD du Mormont) ou de la place fédérale à Berne, de telles actions visant à sensibiliser à la question climatique divisent l’opinion publique.

 

Criminels ou éveilleurs de conscience?

Tandis que certain·e·s défendent avec ferveur les activistes du climat, considérés comme des éveilleurs de conscience qui bousculent un monde politique trop attentiste face à l’urgence climatique, d’autres les condamnent sans réserve pour leur violation des lois et règlements, en particulier l’occupation non autorisée d’espaces publics ou privés.

L’acte citoyen dans une démocratie ne consiste pas seulement à glisser un bulletin de vote dans une urne ou à défendre son avis comme élu·e au sein d’un parlement.

 

A cet égard, la vision que nous avons de la démocratie ne doit pas être trop étroite. L’acte citoyen dans une démocratie ne consiste pas seulement à glisser un bulletin de vote dans une urne ou à défendre son avis comme élu·e au sein d’un parlement. Manifester dans la rue, partager son opinion sur un réseau social, revendiquer un changement dans une discussion entre ami·e·s ou encore récolter des signatures pour une initiative populaire sont aussi des moyens de participer à la vie démocratique.

La désobéissance civile constitue un pas supplémentaire. Elle ne peut pas être uniquement considérée comme l’exercice d’une activité illicite nuisant à l’ordre public. Il s’agit avant tout d’une manière – qui doit rester non-violente – d’interpeller l’opinion publique sur une situation existante jugée profondément préoccupante, tout en exprimant souvent un projet commun alternatif pour l’avenir.

 

La désobéissance civile au service de la collectivité

Il ne faut pas oublier que les activistes du climat qui pratiquent la désobéissance civile investissent leur temps, leur énergie, et parfois leur argent pour interpeller la collectivité, les entreprises, ainsi que les institutions dirigeantes de notre pays. En exprimant leur inquiétude quant à l’état de notre planète, en réclamant des actes plus conséquents en matière de lutte contre le réchauffement climatique ou en matière de protection de la biodiversité, les activistes participent aux débats qui animent notre société.

Les actions qui poursuivent ces objectifs – qu’elles soient licites ou non – s’inscrivent dans le cadre d’un engagement civique au sens large, et ce même lorsque une partie de leurs auteur·e·s se revendiquent «anti-système» et appellent de leurs vœux une réforme de nos institutions politiques.

 

Les actions des activistes sont complémentaires à celles prises dans le cadre des processus politiques ou des manifestations autorisées qui cherchent elles aussi à trouver des réponses à la crise climatique.

La frontière entre un acte licite et un acte illicite peut s’avérer ténue. Les libertés d’expression et de réunion, garanties fondamentales de nos ordres juridiques, ne se limitent pas à couvrir des actions ou prises de position autorisées, mais s’étendent au-delà, tant que lesdites actions font preuve d’une certaine mesure. Ainsi, la limite de la désobéissance, parfois nécessaire pour questionner le droit et susciter des réflexions sur des thématiques d’intérêt public, reste naturellement la mesure. Au lieu de réprimer certaines actions du fait de leur nature-même, il s’agit d’analyser si elles ont été effectuées de façon proportionnée, permettant ainsi l’émergence de débats bienvenus dans toute démocratie.

 

Au regard des connaissances scientifiques actuelles sur les effets du réchauffement climatique, les juges pourront de moins en moins contester l’état de nécessité revendiqué par les activistes du climat.

 

Le dernier rapport du GIEC sur la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels face au changement climatique, qui vient d’être publié[1], apporte à ce titre une preuve supplémentaire qu’il faut impérativement et rapidement agir pour la protection du climat et du vivant. Et ce constat est particulièrement vrai pour la Suisse où le réchauffement climatique, deux fois plus rapide qu’à l’échelle mondiale, se traduit notamment par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des dangers naturels qui pourrait rendre impossible la vie dans certaines régions alpines. Il va devenir en effet de plus en plus difficile, techniquement et financièrement, d’assurer la sécurité des personnes et des infrastructures.

 

[1] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/press/press-release-french/

Notre économie creuse la dette environnementale: une initiative des Jeunes Vert·e·s entend y remédier

C’est une des premières choses que l’adulte responsable apprend en grandissant: gérer son budget et ne pas vivre au dessus de ses moyens. On n’en attend pas moins d’un service étatique ou d’une entreprise: qu’ils gèrent et respectent les limites budgétaires.

On devrait, en toute logique, s’attendre à ce que notre civilisation respecte les ressources que la terre lui alloue. Or, c’est exactement le contraire que prône notre système capitaliste basé sur une économie “court termiste” qui favorise l’accumulation du capital et des biens matériels. En terme de ressources, les Suisses consomment l’équivalent de près de 3 planètes et le reste du monde nous emboîte le pas.

La capacité de renouvellement de notre planète n’est pas infinie. Conceptualisée en 2009 puis actualisée en 2015 par un groupe de chercheurs·euses internationaux·ales, la notion de limites planétaires définit les seuils à ne pas dépasser dans neuf domaines pour que la Terre reste durablement viable pour l’humanité. Une nouvelle initiative populaire des Jeunes Vert·e·s nous invite donc à respecter ces limites planétaires.

 

4 limites planétaires déjà dépassées

Quels sont les 9 domaines de ces limites planétaires? Il s’agit de 1. réchauffement climatique, 2. érosion de la biodiversité, 3. acidification des océans, 4. diminution de l’ozone stratosphérique, 5. charge en aérosols atmosphériques, 6. perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, 7. (sur)consommation mondiale d’eau douce, 8. changement d’usage des sols et 9. pollutions chimiques.

Limites planétaires selon le rapport de Rockström et al. publié dans Nature en 2009. Les zones en rouge représentent l’état actuel estimé et le cercle vert définit les limites estimées.

 

Ces domaines peuvent paraître lointains ou abstraits. Toutefois, ils sont les garants d’un environnement planétaire permettant la vie et l’épanouissement des sociétés humaines. Or, à l’échelle mondiale, au moins quatre limites ont déjà été dépassées (climat, biodiversité, cycles d’azote et de phosphore et utilisation des sols).

C’est dans ce contexte que les Jeunes Vert·e·s Suisse viennent de lancer une initiative populaire « Pour une économie responsable respectant les limites planétaires (initiative pour la responsabilité environnementale) ». Cette initiative demande que l’économie nationale respecte les limites planétaires les plus facilement quantifiables en Suisse, rapportées à l’échelle de notre pays. Ces limites concernent les domaines du climat, de la disparition des espèces, de la déforestation et de la pollution de l’air, de l’eau et du sol.

 

Une dette environnementale croissante

On l’a déjà dit, si la population mondiale consommait autant que la moyenne suisse, il faudrait près de trois planètes Terre pour garantir cet équilibre essentiel entre consommation des ressources et capacité de renouvellement de la nature. L’initiative exige que l’impact environnemental de la Suisse se réduise, dans les dix ans, de manière à respecter ces limites planétaires définies scientifiquement. Elle demande également que cet objectif soit atteint d’une manière socialement acceptable.

L’article 73 de notre Constitution fédérale pose certes déjà le principe de développement durable et insiste sur l’importance de la capacité de renouvellement de la nature. L’article 2 de cette même Constitution définit les buts de la Confédération et cite à son alinéa 4 le fait de s’engager « en faveur de la conservation durable des ressources naturelles ». Le principe de durabilité est donc au cœur de notre Constitution. Toutefois, lorsqu’il s’agit de véritablement le mettre en application au quotidien, les aspects écologiques sont trop souvent laissés au second plan au profit du développement économique à court terme.

Tant que nos activités économiques ne tiendront pas compte des limites planétaires, nous continuerons à creuser une dette environnementale toujours plus grande sur le dos des générations futures. Et sur le dos des populations des pays les plus pauvres qui subissent déjà, encore plus fortement que nous, les conséquences de cette crise environnementale alors qu’historiquement elles n’ont que très peu contribué à la détérioration des écosystèmes et du climat.

Signer l’initiative « Pour la responsabilité environnementale » c’est donc aussi opter pour plus de justice environnementale.