Politique, écologie et société

Procès climatiques: les tribunaux ont-ils une responsabilité d’agir?

Depuis maintenant plusieurs années, les tribunaux helvétiques, comme ceux d’autres États, doivent traiter des «affaires climatiques». Ceci amène à réfléchir sur les conflits de compétence entre le pouvoir judiciaire et le monde politique.

 

Qu’il s’agisse d’actions en justice contre des États pour inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique, de plaintes contre des entreprises pour atteintes à l’environnement ou encore d’actes de désobéissance civile pour le climat, les «affaires climatiques» se sont multipliées dans les tribunaux du monde entier. La Suisse a aussi connu quelques affaires retentissantes, parmi lesquelles la partie de tennis dans les locaux d’une succursale de la banque Crédit Suisse et le recours des Ainées pour la protection du climat, toutes deux actuellement en cours de traitement par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

 

Que faire lorsque les États ne respectent pas leurs engagements?

Les États se sont engagés à prendre des mesures fortes en matière de lutte contre le réchauffement climatique, par le biais notamment de traités internationaux tel que l’Accord de Paris. Que peuvent faire les citoyen·ne·s lorsque les États ne respectent pas ces engagements?

Sur le plan juridique, en l’absence de juridiction internationale à même de sanctionner l’inaction des États, les citoyen·ne·s n’ont d’autre choix que d’actionner les tribunaux nationaux.

Au nombre des instruments classiques de mobilisation telles que les manifestations, les actions de désobéissance civile ou les pétitions s’ajoutent donc les actions en justice. Si le phénomène n’est pas nouveau, il a pris une ampleur considérable, forçant les tribunaux à prendre des positions parfois novatrices, à l’image de la Cour suprême des Pays-Bas qui en 2019 condamna l’État néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans la célèbre affaire Urgenda.

Comme l’ont démontré différents procès, les tribunaux peuvent s’engager sur la voie de la justice climatique tout en respectant les cadres législatifs existants et en ne portant pas atteinte à la séparation des pouvoirs. Pour ce faire, deux éléments particulièrement importants ressortent des contentieux climatiques ayant marqué le monde juridique.

En premier lieu, les juges peuvent s’appuyer sur les travaux scientifiques et entendre des expert·e·s. Si les connaissances scientifiques en matière de climat et d’environnement influencent les modifications législatives, elles peuvent aussi peser sur les décisions juridiques, notamment lorsqu’il s’agit d’analyser le caractère imminent d’une atteinte ou le risque qu’une atteinte se produise à l’avenir.

 

Droit à un environnement sûr, propre, sain et durable

En second lieu, les contentieux climatiques ont accentué le phénomène de «verdissement» des droits fondamentaux, à savoir l’intégration de considérations écologiques dans l’interprétation des droits humains. Le 8 octobre 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a même franchi un pas de plus en adoptant une résolution visant à reconnaître un droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. Le respect des droits humains implique donc une préservation de l’environnement. Dans l’affaire Urgenda, la Cour suprême des Pays-Bas avait par exemple estimé que les droits fondamentaux à la vie et à la protection de la vie privée et familiale n’étaient plus garantis si les Pays-Bas ne réduisaient pas leurs émissions de gaz à effet de serre. En veillant au respect des droits fondamentaux, les juges ne font qu’exercer une de leurs missions essentielles dans un État de droit.

 

 

Les affaires climatiques replacent donc les tribunaux dans une position active, au cœur des enjeux sociétaux. Une position critiquée par certain·e·s juristes ou politiques.

Les tribunaux doivent-ils se contenter de réciter la loi ? Ou ont-ils le devoir d’appliquer la loi en y apportant une certaine interprétation?

Quelle que soit sa vision du rôle des juges – qui varie selon différentes théories du droit – l’on peut admettre qu’il leur est difficile pour de rendre une décision absolument objective. Les juges restent des êtres humains, et leurs décisions ne sauraient s’affranchir d’une certaine forme de jugements de valeurs, nécessaires pour passer de la loi, générale et abstraite, au cas, singulier et concret.

 

Responsabilité d’agir

Au vu de l’urgence climatique, les juges ne peuvent se contenter d’observer passivement une crise planétaire qui les dépasserait. Leur rôle n’est-il pas au contraire d’occuper une place dans le contentieux climatique ? Osons même reconnaître au pouvoir judiciaire une certaine responsabilité d’agir. Les enjeux environnementaux sont trop importants pour qu’un des trois pouvoirs garantissant l’équilibre de notre démocratie s’en désintéresse.

Quitter la version mobile