Mon oeil

Mondial du Qatar : la fête de la France, pas du français

Cette Coupe du Monde n’a finalement qu’un seul défaut, c’est que l’on a eu le sentiment d’en connaître le vainqueur final dès la 40ème minute du premier match de l’équipe de France. Pour le reste et jusque-là, c’est une brillante réussite, à la hauteur du désespoir que doivent éprouver les moralistes qui appelaient à son boycott. La FIFA réalise un remarquable travail sur son cœur de métier. Elle a fait significativement évoluer la qualité de l’arbitrage grâce à une technologie maitrisée. Résultat : plus de discussion sans fin sur le hors-jeu ou le penalty, moins de simagrées de la part des joueurs qui se savent observés sous tous les angles et plus de pertes de temps inutiles puisque compensées systématiquement par du temps additionnel, autant qu’il en faut. L’arbitrage qui s’élève enfin au-dessus du terrain, de sa comédie de sueur et de larmes, délivre une vue plus objective et plus sereine. On en veut pour preuve le hors-jeu français contre la Tunisie : même les Tunisiens ne l’avaient pas vu, ni, du coup, réclamé. Faut-il y voir un rapport, on ne sait pas mais toujours est-il que l’on constate aussi une plus grande sportivité entre les joueurs, pendant et après les matches.

Du grand spectacle

Ajoutez à cela des images magnifiques, des supporters ravis de célébrer le football et leur équipe, sans violence et sans heurts, des stades somptueux et remplis sans compter le climat estival, vous tenez une édition qui fera probablement date dans l’histoire de la Coupe du Monde. Ses images font tellement envie d’y être qu’elles ont même réussi à déclencher des émeutes dans la dictature communiste chinoise. Elle pourrait également inspirer l’Europe et ses bien-pensants qui n’ont pas été capables d’organiser la dernière finale de la ligue des Champions sans que cela ne tourne à la guerre civile dans la ville, autoproclamée « apaisée », de la très vertueuse Anne Hidalgo.

Zurück nach Hause.

Une belle réussite sur les plans sportif et sociétal mais pas seulement. Ce Mondial nous offre la possibilité de voir les journalistes sportifs se lancer dans la politique. Et ça, c’est du grand spectacle.  Les joueurs, aussi, y sont allés de leurs petites manifestations : les Allemands se sont couvert la bouche (comme si on attendait qu’ils l’ouvrent) pour protester contre l’interdiction de porter un brassard gay-friendly mais ils se sont assez vite calmés après leurs premières piètres prestations footballistiques.

Mais le mieux, ce sont les journalistes. Ceux de la presse écrite nous agrémentent de leurs émotions innocentes en se confrontant à la modernité d’un pays qu’ils considèrent au mieux comme une autocratie pétrolière, au pire comme un désert qui aurait dû rester l’apanage des éleveurs de chameaux. A l’image de leurs consultants qui, sous prétexte d’avoir entraîné un club de ligue B en Suisse romande, prétendent nous expliquer comment Messi aurait dû jouer, ils jugent le Qatar à l’aune de leur petite expérience bobo-de-province : il fait trop froid (à cause de la clim), il fait trop chaud (à cause du réchauffement), il y a trop de stades, ils sont trop près les uns des autres, la ville est trop grande, le Qatar joue trop mal au foot (pour prétendre organiser un Mondial), la FIFA contrôle trop les images. Bref, tout est trop nul.

Quelle “aberration écologique” ?

Les journalistes du service public suisse – notamment l’inénarrable service de sports de la RTS – reprennent en cœur le même refrain en l’adaptant aux harmonies woke qui lui servent de ligne éditoriale. Ainsi, si le Danemark est en dessous des attentes, c’est parce que ses joueurs (tous des garçons très virils) sont contrariés de n’avoir pas pu porter le fameux brassard arc-en-ciel signalant leur support aux droits humains. Mais le motto de nos braves reporters genevois, qui revient à tous propos comme un fait et non une appréciation (confusion toujours ennuyeuse pour un journaliste), c’est « aberration écologique ». Laquelle aberration s’applique à peu près à tout au Qatar, sauf… à leur propre présence en masse sur place. Et pourtant, n’est-ce pas aberrant, du point de vue de l’empreinte carbone, d’envoyer 17 personnes (et 3 ou 4 fois plus au minimum pour l’ensemble de la SSR) pour une couverture qui n’apporte qu’une très faible plus-value aux images et aux infographies diffusées, de base, par la FIFA ? Est-il bien nécessaire d’envoyer une cohorte de journalistes sur place pour nous décrire, avec plus ou moins de talent et de facilité, ce que l’on voit déjà. Pire, pour commenter les images qu’eux-mêmes regardent sur un écran. La preuve : ils décrivent les images de supporters au moment où on les voit.

Des perles et…

“Diego” Messi

Et si, par analogie, on se décidait à mesurer une empreinte neurone, alors le constat serait sans doute encore plus aberrant. On se souvient des commentaires riches, documentés et articulés d’un Jean-Jacques Tillmann cultivé ou d’un subtil Gérald Piaget qui ne craignaient pas d’accompagner un match entier, seuls, avec brio et compétence. Aujourd’hui, à l’ère des donneurs de leçons de morale aux Qataris et au reste du monde, il faut deux journalistes, l’un sur place, l’autre en studio, et deux consultants pour en arriver à entendre : « Avec tout ce que le Qatar a fait parler en mal… », « Ce classement, elle le doit grâce à ce succès » ou encore : « Allez Widmer ! ». Oui, parce que, comme le talent, la langue n’est pas toujours à la fête chez nos amis les journalistes sportifs. Jusque-là (et ce n’est pas encore fini), on relève quelques perles. On a par exemple le classique « cessons d’être pessimisme ! » ou encore « Benzema, une absence qui manque » qui rejoignent au top des Sportverei (sur le mode des Genferei) le toujours plaisant « vieux pieu » désignant une promesse non tenue. On a même entendu « Diego Messi » dans la bouche d’un commentateur pris, sans doute, d’une crise de syncrétisme argentin à la faveur d’un penalty manqué.

… une mine de pépites 

Le consultant des matches de la Suisse est, à lui seul, une véritable mine de pépites. En légère délicatesse avec la syntaxe, il a déjà produit, entre autres, un définitif « ils sont impérial » suivi d’un enthousiaste « c’est si z’important pour la Suisse » tout en ne lésinant pas sur les tautologies : « il faut prendre les opportunités comme des occasions ». Le très sympathique Johan Djourou, c’est de lui qu’il s’agit, est aux commentaires sportifs ce que Kamala Harris est à la politique américaine, choisi pour ce qu’il représente : pas blanc, ancien international et souriant plutôt que pour sa capacité à produire de la valeur informative. A moins que ce ne soit pour sa présumée facilité à décoder le langage des jeunes joueurs : « On va regarder la télé pour savoir on rencontre qui dimanche » confiait un Bleu après le match de la Tunisie.

Un rapport très créatif avec la langue française, donc, qui interroge. Les journalistes sportifs seraient-ils formés à la même école que Sandrine Rousseau, la penseuse française, universitaire éco-féministe qui dézingue la langue plus vite qu’elle ne déconstruit son mari? Sa déclaration après une manifestation écologiste violente : « Nous avions la gorge qui grattions, nous avions les yeux qui brûlions » la qualifie sans hésitation pour un job de commentateur au Mondial où l’on ne serait pas surpris d’entendre : « le foot, c’est onze pleutres qui courent après une balle et, à la fin, ce n’est pas l’Allemagne qui gagnions ».

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